Edgar Kosma
« Quitter un groupe Whatsapp, n’est-ce pas s’exclure d’une communauté en lui criant qu’on a mieux à faire? »
Au royaume des réseaux sociaux, les jours passent et ne se ressemblent pas. Entre les buzz et les likes, le vrai et le fake, Edgar Kosma scrolle le fil d’actu d’un siècle décidément étrange. Hashtag sans filtre.
La vie numérique est quand même bien faite. Dans Messenger ou Whatsapp, il nous est loisible de modifier le nom de la conversation, le thème, les couleurs ou l’émoji. De charmantes attentions qui ont pour effet immédiat de rendre l’environnement plus familier, comme lorsqu’on repeint une chambre en bleu ou rose avant l’arrivée d’un bébé non binaire. Si jamais ça ne plaît pas, aucun souci, tout est 100% réversible. Par exemple, si on avait opté pour des coeurs rouges dans une discussion de couple et qu’on se sépare, il suffit de revenir au bleu froid originel pour papoter à l’amiable de la revente de l’appart et de la garde des enfants. Le meilleur des mondes, je vous dis!
Attention, toutefois: au centre de cet écosystème bien codé, il existe une action irréversible, sorte d’arme de dissuasion massive qu’on espère ne jamais devoir brandir et qui doit donc être utilisée, le cas échéant, avec la plus extrême prudence. Non, je ne parle pas du fait de bloquer quelqu’un, mais de « quitter le groupe ». Pour ceux et celles qui débarquent: quitter un groupe Messenger ou Whatsapp signifie sortir définitivement de la conversation sans plus pouvoir y rentrer par la suite. Ce n’est ni une retraite ni une trêve, mais bien un repli définitif des troupes.
Je suis certain que vous êtes nombreux à rêver de vous extraire de ce groupe de parents qui envoient chaque jour des photos de leur progéniture ou de ce groupe de votre club de sport dont les vidéos de fitness vous gavent grave. Me trompe-je? Pour tout vous avouer, je suis moi aussi membre de plusieurs groupes dont j’ai désactivé les notifications et qui semblent depuis vivre leur petite vie sans moi. Pour les membres actifs, je dois passer pour une brebis égarée dont la photo de profil reste bloquée là-bas très haut. Tout le monde sait qu’il est trop tard et que la petite photo ne retombera plus jamais, mais personne ne dit rien. C’est la loi de l’o-Meta. Or, ce serait tellement plus sain pour les deux parties de se quitter définitivement, en bons termes, comme on le ferait dans la vie physique, où il nous arrive de mettre fin à une conversation dont la tournure nous déplaît.
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Ce faisant, que penserait-on de nous après cet acte fort aux conséquences insoupçonnées? Quitter un groupe, n’est-ce pas s’exclure d’une communauté en lui criant qu’on a mieux à faire que d’être sans cesse dérangé par ses mots et émojis creux? N’est-ce pas prendre le risque de passer définitivement pour celui qui faisait semblant de jouer le jeu et qui a soudain décidé de siffler la fin du match avant la fin du temps réglementaire? Vous en conviendrez: il faut une sacrée dose de courage pour poser un tel acte. Une qualité que notre monde digital contemporain n’a pas particulièrement développé ces dernières décennies chez ses utilisateurs. Pourtant, certains osent franchir le pas. Nous avons tous et toutes en souvenir ces Jean-Claude, Brigitte, Sergio, Alma, Pieter ou Karima qui ont un jour quitté l’un de nos groupes, laissant les autres stupéfaits par tant de couardise. « Quoi? Alma a quitté le groupe? J’en reviens pas… »
La bonne nouvelle? Il n’est pas forcément utile de prendre un tel risque de disgrâce, puisque Messenger et Whatsapp offrent la simple possibilité d’ignorer les messages, une fonctionnalité qui a pour effet de désactiver les notifications et d’archiver la conversation… sans que cela en avertisse les autres membres. Mais pourquoi donc nous propose-t-on ce choix cornélien de quitter un groupe ouvertement ou de le faire discrètement? Bonne question. Lors d’une réunion tendue avec plusieurs ingénieurs, Mark Zuckerberg a probablement décidé de couper l’appli en deux: « Okay, guys, on va imaginer une fonctionnalité pour les plus téméraires et une autre pour les lâches… Next, please! » Pour ceux et celles qui m’ont lu jusqu’ici sans quitter cette chronique en douce, je n’ai qu’une chose à dire: « Merci émoji coeur mes chers lecteurs. »
Edgar Kosma: linktr.ee/edgarkosma
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