Se faire tatouer pour la première fois après 50 ans: pourquoi les « vieux » sautent le pas?

vieux senior tatouage
Se faire tatouer après 50 ans, pourquoi ? © Getty Images
Amélie Micoud Journaliste

Ils ont 50, 60 ou 70 ans voire plus. Ils se sont faits tatouer pour la première fois à un âge où, si l’on n’est pas encore très vieux, on n’est plus tout jeune non plus et donc, a priori, en âge de faire des folies de son corps. Pourquoi franchir le pas du premier tattoo à un âge canonique? Nous avons posé la question aux principaux intéressés, nos « vieux » nouvellement tatoués, mais aussi à des tattoo artists. Décryptage.

On le sait, le tatouage n’a (presque) plus rien de subversif. A moins, bien évidemment, de l’arborer sur le visage ou de façon extrême, comme feu Zombie Boy. Se faire marquer la peau à l’encre s’est largement démocratisé, sortant des champs d’une contre-culture et d’une classe sociale populaire… On peut donc aller bosser les bras tatoués, qu’on soit banquier, instit’ ou juge. De là à dire qu’aujourd’hui, « tout le monde est tatoué », il n’y a qu’un pas. Selon les derniers chiffres du Service fédéral de santé publique, qui datent un peu (2017), 500 000 Belges se feraient tatouer chaque année. Et si une petite partie d’entre eux regrette parfois cet acte laborieusement réversible, on peut parier que de plus en plus de gens se feront tatouer dans les années à venir, personnes âgées comprises. Soit parce qu’elles seront ces jeunes tatoués vieillissants, soit parce qu’elles voudront suivre leurs compères de vieillissement déjà tatoués.

Commencer petit

Le tattoo, s’il reste la marque d’une appartenance à un groupe et un moyen d’expression de soi, est aussi devenu un accessoire de mode. On peut arborer un petit motif tatoué sur le poignet au même titre qu’un bracelet. D’ailleurs, le tatouage mini aux lignes fines a la cote. En Belgique, Minus Tattoo, cartonne avec ses – petits mais pas que – tatouages aux traits fins, qui séduisent toutes les générations. « J’ai régulièrement des jeunes qui viennent pour leur premier tatouage accompagnés de leurs parents, et je vois ces parents revenir ensuite pour se faire tatouer eux-mêmes, pour la première fois. » Celui-ci raconte aussi que, lorsqu’il a commencé son activité, une petite mamie était venue se faire tatouer pour la première fois à presque 80 ans. « De temps en temps, je la croisais au marché et elle me demandait si je n’avais pas un créneau rapide pour un petit tatouage. Les mini tattoos aident sans doute à passer le cap, pour beaucoup. On ne passe pas de rien du tout à un gros motif tatoué sur l’épaule. Cette petite dame a fini par arborer plusieurs petits tatouages! Sans doute plus facile à assumer à 80 ans… »

« Ce tatouage me rappelle à tout instant que j’ai encore plein de choses à faire et que j’ai envie de les faire »

A bientôt 45 ans, Marie confirme que la tendance small tattoo l’a aidée à sauter le pas. La benjamine de nos témoins explique: « C’est une amie qui a lancé l’idée qu’on se fasse tatouer le même motif, un petit piment en couleurs, sans remplissage. J’avais toujours eu envie de me faire tatouer, mais c’était resté au stade du fantasme. Et puis il y avait cette petite voix: « Fais gaffe, tu risques de le regretter un jour ». Cette année, j’ai eu une espèce de crise de la quarantaine (rires), et tout d’un coup, je me suis sentie hyper libre de faire ce que je voulais. Ce n’était peut-être qu’un petit tattoo, mais pour moi, c’était une sorte de prise de conscience que, finalement, je n’avais plus aucun regard extérieur, notamment familial, qui entrait en ligne de compte. La génération de mes parents, décédés tous les deux, vieillit, et je ressens véritablement un basculement. Cette génération commence à disparaître, et la mienne prend la suite, tout doucement. Plus personne « au-dessus » ne peut me dire quoique ce soit. Ça peut paraître bête mais me faire tatouer a été assez grisant: je n’en ai plus rien à foutre, je fais ce que je veux! (Rires). Ce qui m’a aidée aussi à franchir le cap? Le côté mignon, fin et discret du mini tattoo. Je ne me sentais pas, en tout cas pour une première – je ne garantis rien pour l’avenir (rires) – de me faire faire un bon gros motif. En quelques mois, je me suis déjà faite tatouer trois fois, et je repasse sous l’aiguille bientôt pour deux nouveaux mini tatouages. »

Se faire tatouer quand on est vieux? Un pied de nez au vieillissement

Pour Marie, le tatouage est sans nul doute un moyen d’envoyer balader la vieillesse et tout ce qui va avec: « Si je vois du négatif dans le vieillissement, voilà au moins un truc cool: se détacher du qu’en dira-t-on, et donc, finalement, se lâcher. Je peux me tromper mais je pense qu’on risque moins de regretter un tatouage fait à 50 ans qu’à 20, donc exit la petite voix! Enfin, il y a chez moi l’idée de faire un pied de nez au vieillissement, et même à la mort, en rendant tout ça un peu moins sérieux. Je pense souvent aux aide-soignant.e.s dans les maisons de retraite: qu’est-ce qu’elles vont se marrer dans quelques années! J’espère avec la complicité de ces papis et mamies tatoués. Il y a quelques semaines, j’ai vu la photo d’un smiley tatoué sous le gros orteil. J’ai trouvé ça génial: imaginer un type à la morgue avec cet emoji qui sourit sous le doigt de pied… C’est rendre la mort un tout petit peu moins triste. »

Anne, tatoueuse à Marseille sous le nom de Peur Bleue, raconte elle aussi une belle anecdote de tatoueur.euse qui caresse du bout de l’aiguille la question de la fin de vie: « Quand j’ai commencé à tatouer, ma grand-tante a voulu que je la tatoue pour la première fois… A 87 ans. J’ai galéré, tatouer la peau d’une personne de cet âge… (Rires). Lorsque je lui ai donné les recommandations d’usage pour le bon vieillissement de son tatouage, elle m’a répondu avec beaucoup d’humour un truc du genre ‘Oh tu sais, à quoi ressemblera mon tatouage à l’avenir, quand on a mon âge…' »

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Continuer à briller

A l’approche de la soixantaine, quand on est encore jeune mais qu’on n’a tout de même plus 20 ans, ni 40, le tatouage peut s’inscrire comme un moyen de (se) dire que la vie continue. Alain, 58 ans, a lui-même franchi le cap l’année dernière: « Ça faisait très longtemps que je pensais à me faire tatouer ce motto: « Shine on » (NDLR: continuez à briller), inspiré d’une chanson de Pink Floyd, sur le bras. Je reportais toujours le projet, je faisais quelques dessins et les événements de la vie se sont succédé. A chaque étape, le projet devenait de plus en plus incontournable: il fallait que j’ai ce tatouage. Après avoir été mis en pré-retraite anticipée de mon travail dans la banque, j’ai sauté le pas en me disant ‘La vie n’est pas finie, la vie continue, et continue bien’. Depuis, j’ai l’impression d’avoir un plus. Ce tatouage me rappelle à tout instant que j’ai encore plein de choses à faire et que j’ai envie de les faire. »

Alain n’avait pas spécialement eu cette envie de tatouage plus jeune. C’est son amie, pour laquelle il avait dessiné un projet de tatouage il y a quelques années, qui lui en a vraiment donné l’envie. « Ça a été une émotion à laquelle je ne m’attendais pas du tout. A partir de là, j’ai commencé à dessiner dans l’optique de réaliser moi-même des tatouages. Pourquoi je ne pourrais pas tatouer moi-même? J’ai passé la certification pour les mesures d’hygiène dans le tatouage et le piercing, et je cherche maintenant quelqu’un qui pourrait me former. C’est une autre direction que de me faire tatouer moi-même, mais je ne suis pas pressé, je n’ai plus de plan de carrière, je fais les choses par envie. J’ai appris à skier il y a deux semaines, j’ai eu mon flocon! (Rires) »

Une réaffirmation de soi

Mais comment réagit l’entourage quand on se fait tatouer à presque 60 ans? « J’en avais quasiment rien à faire, affirme Alain. Au contraire, j’ai passé l’âge de me soucier du regard des autres pour ces choses-là. Certaines réactions m’ont amusé, mes sœurs et ma mère par exemple, n’ont pas dit le moindre mot! Ma mère fait comme si elle ne le voyait pas. Mes filles trouvent ça super, ma compagne me motive à lui dessiner son projet de tatouage… Me faire tatouer à mon âge, c’est une réaffirmation de soi, en fait. »

De son côté, Anne, 59 ans, a toujours été détachée de la perception sociale badass du tatouage: « Ça ne m’aurait posé aucun problème de me faire tatouer plus tôt dans la vie. J’ai un beau frère tatoué de la tête aux pieds, je n’ai jamais eu d’aversion ni de préjugés envers les tattoos. » La presque sexagénaire vient tout juste de se faire faire son premier tatouage, par Minus justement, avec ses deux filles.  » J’ai une phobie des aiguilles au départ. Donc c’est uniquement la peur d’avoir mal qui m’a retenue toutes ces années. L’an dernier, la plus jeune de mes filles m’a dit qu’elle aimerait bien qu’on se fasse un tatouage représentant les trois fleurs de nos mois de naissance. L’idée a germé, et je la trouvais tellement belle! Une illustration de notre clan… C’était le moment, j’ai été poussée par mes filles, et la sensation d’avoir le même tatouage que quelqu’un qu’on aime… c’est comme le signe distinctif d’une appartenance, d’autant que mes filles ne me ressemblent pas! (Rires) Minus nous a tatouées toutes les trois à la suite, mes filles m’ont faite passer en premier, de peur que je me dégonfle. Je n’ai pas eu mal, et ça a été une super expérience. Aujourd’hui, je pense déjà à un deuxième tatouage, une toute petite frise très fine sur le cartilage de l’oreille. Que ce soit sur la tête? Rien à foutre. C’est à moi que ça doit faire plaisir! »

©Minus Tattoo

Le droit de changer d’avis

Si Anne est très détendue quant à l’idée d’être tatouée pour la première fois à son âge, ça n’est, cependant, pas si évident pour tout le monde. Tania, 52 ans, va enfin se lancer « mais pour un tatouage discret quand même » parce que, ajoute-t-elle,  » si le tatouage n’est plus considéré comme vulgaire, comme c’était le cas il y a encore quelques années, nous, qui appartenons à cette génération du tatouage old school, avons grandi avec l’idée que le tatouage l’était (vulgaire), et il faut un peu de temps pour s’affranchir de cette idée-là. Il y en a de tellement beaux, simples, raffinés que j’ai enfin le courage de me lancer! »

Et enfin, il y a celles et ceux qui changent d’avis, au fur et à mesure des événements de la vie. « A la base, je n’étais pas fan de tattoo, explique Laurence, 54 ans. Mais les choses changent. Il y a quelques années mon fils s’est fait tatoué et j’ai trouvé cela pas mal. L’idée a donc germé. Je voulais les premières lettres des prénoms de mes enfants représentées dans un battement de cœur. Comme je suis graphiste, j’ai dessiné le projet. Je suis vraiment fan de mon tatouage. Je pense que je vais en faire un autre ou ajouter la lettre du prénom de mon petit fils qui va naître en avril! » Le tatouage de la maturité?

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