Dans l’intérieur foisonnant de Kuki de Salvertes, l’impresario parisien de la mode belge

L'intérieur de Kuki de Salvertes fait référence notamment aux trente premières années du xxe siècle et à l'effervescence créative qui y régnait. On y voit entre autres un hommage à Serge LIfar, danseur des Ballets russes qui fréquentait les cercles artistiques mondains du couturier Paul Poiret et du peintre Pablo Picasso. © Tim Van De Velde

Il est considéré comme l’impresario parisien de la mode belge. Un personnage haut en couleur… parfaitement en phase avec son intérieur surchargé, véritable imbroglio de matières et de teintes.

« Relancer Paul Poiret en 2018 ? Je n’en vois vraiment pas l’intérêt, que ce soit pour les connaisseurs ou, à plus forte raison, pour les influenceurs asiatiques, qui n’ont souvent aucune notion de l’histoire de la mode.  » Le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour cela comme pour le reste – et en particulier pour dénicher les talents -, l’agent de presse parisien a un avis tranché. C’est que Kuki de Salvertes connaît parfaitement ses classiques : on en veut pour preuve son appartement au décor éclectique, bourré de références à l’époque du grand couturier français qui fit fureur entre 1903 et 1929. On y remarque notamment plusieurs portraits de Sarah Bernhardt mais aussi de Serge Lifar, le célèbre danseur des Ballets russes qui fréquentait les cercles artistiques mondains de Poiret et Picasso.

Dans l'intérieur foisonnant de Kuki de Salvertes, l'impresario parisien de la mode belge
© Tim Van De Velde

Le fait que la Belge Anne Chapelle ait contribué à la résurrection de la maison de luxe, qui a à nouveau défilé le 27 février dernier, ne change rien à l’affaire. L’homme de communication connaît pourtant bien l’Anversoise, qui a ouvert la voie à des icônes comme Ann Demeulemeester et Haider Ackermann – un domaine où lui-même a été particulièrement influent avec son agence Totem PR, qui révéla entre autres Raf Simons ou Walter Van Beirendonck.  » J’ai découvert le travail de Walter en 1988, à l’époque où il dessinait de façon anonyme, pour Gianfranco Ferré, une ligne parallèle aux couleurs vives et aux motifs animaliers déjantés, baptisée Rhinosaurus Rex, raconte-t-il. Quand je suis allé le voir dans son atelier, il planchait sur des pièces en tricot avec sa maman, sa soeur et Dirk Van Saene (NDLR : un autre des fameux Six d’Anvers). J’ai signé avec lui dès le lancement de Totem, en 1991. Il n’avait qu’un budget limité mais bossait sur sa propre collection W&LT, parsemée de clins d’oeil à la scène rave et techno. A mille lieues du minimalisme intellectuel en vogue à l’époque, son style était empreint de fantaisie, d’intuition, de fétichisme, de sexualité et d’avant-garde. Son premier défilé, au Lido, a fait l’effet d’une bombe. Je reste d’ailleurs convaincu qu’il a davantage marqué l’histoire de la mode que Raf Simons.  »

Dans l'intérieur foisonnant de Kuki de Salvertes, l'impresario parisien de la mode belge
© Tim Van De Velde

Grâce à Walter Van Beirendonck, il découvre les acteurs les plus audacieux de la mode belge des années 90, dont A.F. Vandevorst et Olivier Theyskens.  » Walter a attiré mon attention sur Bernhard Willhelm dès son show de première année à l’Académie. Veronique Branquinho aussi était l’une de ses étudiantes préférées.  » Avec sa toute jeune agence, le Français commence à collaborer avec cette nouvelle garde dont il présente les créations à ses amis stylistes et journalistes.  » J’ai rencontré Raf Simons, alors scénographe et dessinateur de meubles, lors de son stage chez Walter. Voyant qu’il était attiré par la mode, je lui ai lancé le défi de dessiner une collection capsule. La présentation de ses premières créations à la presse internationale, dans un squat parisien miteux, a été un coup d’éclat. Il y avait dans la salle Suzy Menkes, Carine Roitfeld… Raf avait imaginé d’emblée un look à la fois cohérent et complètement différent. Les fragiles ados filiformes, le tailoring architectural, l’ambiance musicale sombre : tout tenait la route. Il a suffi d’un défilé pour que son nom soit sur toutes les lèvres.  »

Les coussins bariolés ont été fabriqués avec des foulards de Per Spook, un créateur de haute couture norvégien aujourd'hui quelque peu oublié.
Les coussins bariolés ont été fabriqués avec des foulards de Per Spook, un créateur de haute couture norvégien aujourd’hui quelque peu oublié.© Tim Van De Velde

Une liaison fructueuse

Dans l'intérieur foisonnant de Kuki de Salvertes, l'impresario parisien de la mode belge
© Tim Van De Velde

En 1999, le second défilé de celui qui est aujourd’hui à la direction artistique de Calvin Klein va bouleverser la vie de l’agent. La Fédération française de la couture vient alors d’engager un nouveau directeur, Didier Grumbach.  » Il était dans la salle et m’a proposé de me ramener chez moi après l’événement, se souvient notre hôte. Il avait une trentaine d’années de plus que moi… mais c’est ainsi qu’a commencé une histoire qui allait durer quinze ans. Je lui ai ouvert les yeux sur une génération de concepteurs, sur des gens comme Jeremy Scott et A.F. Vandevorst. C’est donc un peu grâce à notre liaison qu’ils ont eu leur chance à Paris.  » Kuki de Salvertes n’est par contre pas impliqué dans les grands labels de  » l’avant-garde actuelle  » tels que Vetements, GmbH ou le Y/Project de Glenn Martens.  » Leur soi-disant révolution stylistique n’a en réalité rien de nouveau : ils ne font rien d’autre qu’aller rechercher ce qui se faisait déjà à Anvers vers le milieu des années 90, développe l’homme, qui ne mâche décidément pas ses mots. Des tee-shirts à slogans  » marginaux « , un défilé dans un sex-club, tout ça, c’est du déjà-vu. Et quel que soit son talent, Glenn Martens n’est pas le nouveau Walter Van Beirendonck. Je sens déjà que son vocabulaire commence à s’essouffler.  »

Les murs sont tapissés de personnalités cultes du xxe siècle : Maria Callas, Cléo de Mérode, Sarah Bernhardt, Serge Lifar, George Sand ou encore Marcel Proust. C'est, pour reprendre les propres termes du propriétaire,
Les murs sont tapissés de personnalités cultes du xxe siècle : Maria Callas, Cléo de Mérode, Sarah Bernhardt, Serge Lifar, George Sand ou encore Marcel Proust. C’est, pour reprendre les propres termes du propriétaire,  » une maison de rencontres « .© Tim Van De Velde

Kuki de Salvertes ne fait pas ses 55 ans.  » Dans ce milieu, on ne peut pas se permettre de négliger son apparence « , glisse-t-il entre deux bouffées de cigarette. Il était pourtant promis à une vie bien différente. Elevé en Alsace dans une famille bourgeoise, il a rompu avec celle-ci à l’âge de 17 ans.  » Un papa avocat extrêmement sévère, une maman absente : ils n’étaient pour moi que des étrangers, d’autant que j’ai passé l’essentiel de ma jeunesse dans un internat catholique. Lever à 6 h 30, messe à 7 heures, ma scolarité a été une sorte de service militaire à la gloire de Dieu. Il fallait que je sorte de là ! La rupture a été radicale et définitive. Je n’ai jamais revu mes parents. J’ai commencé à étudier l’histoire de la mode à Paris, et les personnes que j’ai rencontrées dans ce secteur, à partir de 1980, sont devenues ma nouvelle famille. J’ai trouvé une mère de substitution en la personne de Nicole Ciano, une comtesse italienne qui tenait, dans la capitale, l’une des toutes premières agences de com’ du secteur.  »

Il sort une photo en noir et blanc où elle pose entourée des jeunes Karl Lagerfeld et Jean-Charles de Castelbajac.  » Le début des années 80, c’était l’époque de Thierry Mugler, Giorgio Armani, Jean Paul Gaultier – autant de noms que j’ai appris à connaître grâce à Nicole. J’avais beau être timide, après cinq ans dans son agence, je savais que je voulais adopter son mode de vie : un mix de rencontres incroyables, d’une bonne dose d’extravagance et surtout de beaucoup de plaisir. Les mannequins, stylistes, créateurs et artistes maquilleurs avec qui nous travaillions formaient une sorte de famille. Vivre, bosser, faire la fête, dormir, coucher, on faisait tout ensemble. Ma vie est comme mon intérieur : une histoire de rencontres, avec tous les excès et les abîmes que cela implique. Enfin, si je meurs demain, au moins je ne me serai pas ennuyé !  »

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