En images: Visite de la Casa Fornasetti, petit bijou surréaliste milanais
Barnaba Fornasetti a fourni les iconiques et très reconnaissables dessins en noir et blanc de son père à Louis Vuitton pour sa dernière collection d’hiver. Nous avons pu nous infiltrer dans sa magnifique maison-atelier à Milan.
Jeff Koons, Takashi Murakami, Yayoi Kusama, Stephen Sprouse, Richard Prince, Cindy Sherman, Urs Fischer: Louis Vuitton aime que ses sacs à main servent de canevas à des artistes. Le dernier candidat en date est Fornasetti, qui se caractérise par ses dessins néoclassiques en noir et blanc ornant assiettes, armoires, cendriers, murs, vases, etc. Aujourd’hui, ils gagnent donc le monde de la mode. Nicolas Ghesquière, directeur artistique chez Vuitton, a compilé les dessins de Fornasetti en vue d’en faire des imprimés destinés à des vestes, des robes, des pulls et des sacs. « A la façon d’un DJ qui remixe un disque pour en faire sa propre musique très originale, Nicolas utilise, retravaille et revisite les anciens dessins pour produire quelque chose de très moderne, voire futuriste », commente Barnaba Fornasetti, fils de l’artiste Piero Fornasetti (1913-1988), qui gère le patrimoine de son père.
Des fouilles archéologiques
La collaboration entre Vuitton et Fornasetti n’est pas une histoire éphémère. Cette collection d’hiver sera suivie d’une collection capsule comportant notamment une version trompe-l’oeil de la « Petite Malle ». Et en novembre, Vuitton organisera à Milan une exposition sur Fornasetti, dont Nicolas Ghesquière lui-même est le commissaire. Le créateur de mode français est depuis longtemps un grand fan de Fornasetti. Lors des préparatifs de la collection, Nicolas Ghesquière a eu accès à la terre sainte: la Casa Fornasetti à Milan, où les archives contenant pas moins de 13 000 dessins sont conservées. « Me plonger dans les archives de Fornasetti s’apparentait à des fouilles archéologiques: chercher d’anciens dessins auxquels je pourrais offrir une nouvelle vie, pour aujourd’hui et demain, raconte Nicolas Ghesquière. En tant que designer, j’essaie toujours d’éveiller à la fois le passé, le présent et le futur. C’est aussi ce que Piero Fornasetti faisait à sa façon. Il reconsidérait et retravaillait le patrimoine de l’antiquité classique pour en faire quelque chose de nouveau. »
Barnaba s’est immédiatement enthousiasmé pour la demande de Vuitton: « Nous partageons le même amour de l’artisanat, un lien étroit avec le monde de l’art et un talent pour réaliser quelque chose de spécial au départ d’objets du quotidien. La collaboration avec Nicolas Ghesquière et son équipe s’est passée de façon très naturelle. Il est également important que cette collection permette à un tout autre groupe cible de découvrir Fornasetti. »
Total look
Nous avons nous aussi pu franchir la barrière toute simple de la Casa Fornasetti, à Città Studi, le quartier universitaire situé au nord de Milan. Agrémentée d’un somptueux jardin, la maison est plutôt bourgeoise. Le père de Piero Fornasetti, un importateur fortuné de machines à écrire allemandes, l’acquiert à la fin du XIXe siècle. Piero y passe la majeure partie de sa vie et Barnaba s’y installe à sa mort, en 1988. Il a transformé l’habitation familiale en un petit bijou surréaliste à la Fornasetti. C’est ce qu’on appelle un « total look » dans le jargon de la mode. Tout visiteur qui franchit le pas de la porte a l’impression d’être tombé dans le terrier du lapin blanc d’ Alice au pays des merveilles. Chaque coin recèle quelque chose de singulier. Presque tous les éléments sont à la sauce Fornasetti: depuis le carrelage de la cuisine aux tentures, en passant par le papier peint et le revêtement des chaises. Et comme la maison est constituée d’un enchevêtrement de couloirs et de petites pièces, on a l’impression de s’enfoncer dans l’univers Fornasetti.
Collectionnite aiguë
Barnaba (71 ans) a conféré à chaque pièce une atmosphère, un thème et une palette de couleurs différents, comme en témoignent la salle de bains en noir et blanc couverte de mains et de visages, la suite pour les invités aux airs de sous-marin et une chambre à coucher parée de nuages. Les motifs du carrelage du sol, des chaises et de la table du coin petit-déjeuner ont comme thème le dessin de papier journal et les papillons. Bien entendu, les assiettes mondialement connues à l’effigie de la chanteuse d’opéra Lina Cavalieri ne font pas défaut. La fièvre de collectionneur éclectique de Fornasetti est perceptible dans toute la maison. Il suffit de regarder le living vert et ses fauteuils Chesterfield blancs ou encore la vaste collection de miroirs antiques. La pièce de musique secrète de Barnaba est tout aussi fantastique. Accessible uniquement par une porte d’armoire sérigraphiée presque invisible, elle renferme l’immense collection de disques du propriétaire, qui est DJ à ses heures.
Barnaba a hérité des gènes créatifs de Piero, mais il a aussi le sens des affaires. Depuis quarante ans, il exploite l’oeuvre de son père, en organisant des expositions, en publiant des livres et en concluant des collaborations lucratives, notamment avec Kartell, la marque de papier peint Cole & Son, le label de céramiques Bitossi et des acteurs de la mode tels que Comme des Garçons et Valentino. Après des rééditions des réalisations de son père, Barnaba a lancé, en tant que directeur, de nouveaux produits basés sur des dessins issus des immenses archives. En fait, cela fait quatre-vingts ans que Fornasetti fait exactement la même chose: imprimer des gravures néoclassiques sur toutes sortes d’objets du quotidien, des cendriers aux armoires. Ce qui rend le label unique, c’est son côté à la fois moderne et intemporel. Peut-être parce que Piero attachait de l’importance à l’artisanat à l’ancienne et qu’il a trouvé de l’inspiration dans le passé, surtout dans l’Antiquité classique: « La principale leçon que mon père m’a apprise était de ne pas me laisser influencer par les tendances passagères et de résister au conformisme et à la médiocrité. A ses yeux, le pouvoir de l’imagination était essentiel. »
De Gio Ponti à Louis Vuitton
La maison regorge de meubles que Piero Fornasetti a réalisés avec Gio Ponti. Ce célèbre architecte et designer italien a été un personnage-clé dans l’histoire de Fornasetti. Et sans Ponti, Nicolas Ghesquière aurait dû chercher un autre imprimé pour sa collection d’hiver. Jusque dans les années 30, Fornasetti travaillait surtout comme graveur et imprimeur pour des artistes tels que Fontana et De Chirico. Jusqu’à ce qu’il réalise un jour en projet annexe – et comme cadeau pour sa femme – une collection de foulards en soie sur lesquels étaient imprimés ses propres dessins néoclassiques. Lorsque Gio Ponti les a vus, il a convaincu Fornasetti d’utiliser ses dessins sur d’autres objets du quotidien. La suite de l’histoire, vous la connaissez déjà.
A ce jour, la date et le lieu exact de l’exposition Vuitton Imagination Takes Flight: The World of Fornasetti Through the Eyes of Nicolas Ghesquière sont tenus secrets.
En bref – Barnaba Fornasetti
- Barnaba Fornasetti (71 ans) entame à 18 ans des études à l’Accademia di Brera à Milan et travaille comme étudiant pour le créateur d’étoffes Ken Scott. Parallèlement, il est directeur artistique du magazine underground Get Ready.
- Après ses études, il part en Toscane, où il rénove des fermes. Il rentre à Milan en 1982 pour travailler dans l’atelier de son père, où il prendra la relève après la mort de ce dernier, en 1988.
- Au début des années 90, il organise une exposition Fornasetti au Victoria & Albert Museum à Londres, accompagnée d’une monographie.
- Il lance dans les années 2000 une série de vases sur la base de croquis inédits et crée de nouvelles lignes de produits, notamment de papier peint et de parfums d’intérieur.
- Il a été marié pendant dix-sept ans avec la créatrice de bijoux américaine Betony Vernon mais vit aujourd’hui seul à la Casa Fornasetti avec ses chats Fay et Smoke.
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