Expo décryptée: Jacques Benoit chez Dubois Friedland
L’artiste Jacques Benoit est né en 1955 à Alger. Il vit et travaille à Paris. Venu sur le tard au pinceau, il développe à la fin des années 90 une oeuvre picturale chevillée à l’architecture pour laquelle il nourrit une grande passion, s’inscrivant de la sorte à la suite d’une copieuse brochette de peintres qui, de Pierro Della Francesca à Giorgio De Chirico, ont interrogé le rapport de l’individu à l’espace. Ses premières séries ont comme toile de fond l’architecture moderniste d’Oscar Niemeyer, icône du genre, célèbre pour avoir redessiné les contours de Brasilia. À la faveur d’une palette chromatique heurtée, libérée des convenances, Jacques Benoit provoque dans un style magique proche de la Figuration narrative – on pense à Jacques Monory – un dialogue entre le corps humain et le corps du bâtiment. On y ressent toute la fascination du peintre pour les esprits utopistes, les visionnaires un peu fous, les fervents fidèles de la religion du progrès. Si l’esthétique de science-fiction un peu grandiloquente et surannée de ces toiles laisse entendre par endroits l’accent dissonant du kitsch, avec Orly (Sud), la série que Jacques Benoit présente chez Dubois Friedland, on ne perçoit plus que la mélodie douce-amère d’une nostalgie chantée avec élégance et justesse.
L’expo L’aéroport d’Orly Sud, édifié par Henri Vicariot, condense toute une époque, celles des Trente Glorieuses, du plein emploi et de l’insouciance à portée de bourse. On sait comment la pop culture actuelle fantasme les expressions formelles – il est vrai très joliment fanées – de cette parenthèse enchantée du XXe siècle : voyez le succès de Mad Men ou, mieux encore, dans le cas qui nous occupe, celui de la série Pan Am, ode télévisuelle à l’âge d’or de l’aviation. La suite de onze tableaux qui forment Orly (Sud) s’inscrit à sa manière dans ce mouvement typiquement dans l’air du temps de revalorisation d’une esthétique vintage. Portées par une tension cinématographique, tant par leur cadrage que par leur atmosphère saturée de suspense, les toiles de Jacques Benoit multiplient les signes et les références aux sixties et aux seventies. Que ce soit frontalement avec Yves Montand et Annie Girardot croqués dans une scène imaginaire du Vivre pour Vivre de Claude Lelouch ou en filigranes avec ces personnages évoquant ici Peter Sellers, là Sean Connery. Le traitement très pop des couleurs – les carnations évoquent les portraits solarisés des Beatles de Richard Avedon – achèvent de nous transporter cinquante ans en arrière à la vitesse de l’Aérotrain, petite merveille technologique qui devait relier l’aéroport au centre de Paris à plus de 400 km/h. Mais qui, sous la pression des lobbies, mourut avec son concepteur, Jacques Bertin, représenté ici dans un état de vague à l’âme profond dont on soupçonne qu’il parle à son portraitiste nostalgique.
Jacques Benoit: Orly (Sud). Jusqu’au 3 mars prochain à la galerie Dubois Friedland, 99, rue du Prévôt, à 1050 Bruxelles. Tél. : 0470 54 98 98.www.duboisfriedland.com
Baudouin Galler
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