A Dakar, des architectes bataillent pour conserver le patrimoine sénégalais en péril (en images)

Un homme passe devant la cathédrale Notre-Dame des Victoires à Dakar le 13 janvier 2025. Autrefois un monument emblématique de l'architecture traditionnelle ouest-africaine, la grandeur du légendaire marché Sandaga de Dakar ne peut désormais être émerveillée qu'à travers de vieilles photographies. © SEYLLOU / AFP via Belgaimage

« Regardez, ici se dressait le marché Sandaga », montre l’architecte Carole Diop sur une photo d’archives de ce lieu naguère emblématique de Dakar, symbole disparu d’un patrimoine architectural sacrifié sur l’autel de l’argent et de la modernisation.

Construite en 1933, cette halle de béton aux lignes traditionnelles hérissées de tourelles et inspirées des mosquées sahéliennes a été démolie 2021. Elle était un exemple d’architecture néo-soudanaise, mais aussi un lieu de retrouvailles, qui constituait une part de « l’identité » dakaroise, explique Mme Diop au petit groupe de touristes qu’elle accompagne dans la visite du centre de la capitale sénégalaise.

A l’instar de cet édifice, de l’ancien bureau d’étude de l’architecte Henri Chomette ou de la maternité de l’hôpital Le Dantec (élégant bâtiment blanc aux fenêtres ajourées et colonnades rouge vif), détruits en 2022, une majorité de bâtiments historiques sont en danger, quand ils ne sont pas déjà en ruines ou remplacés par de grands immeubles impersonnels.

Un bâtiment rénové de la capitale sénégalaise. (Photo par SEYLLOU / AFP, via Belgaimage)

Le marché Sandaga – détruit car il menaçait de s’effondrer – et l’hôpital Le Dantec doivent être reconstruits, mais dans une architecture moderne. « La partie historique (de Dakar) malheureusement est en train de disparaître petit à petit », déplore Mme Diop. « Beaucoup de bâtiments qui étaient classés (..) ont été déclassés et démolis, dont des bâtiments emblématiques ».

Ces destructions ou dégradations concernent des bâtiments historiques et Art déco hérités de la colonisation française, mais aussi des périodes moderniste et brutaliste, au tournant de l’Indépendance. La pierre est un investissement lucratif dans une métropole qui draine comme elle peut l’afflux de Sénégalais et d’étrangers au point que la population a presque doublé depuis 2000 pour atteindre quelque 4 millions d’habitants.

Des gens passent devant la Chambre de commerce de Dakar le 13 janvier 2025. (Photo par SEYLLOU / AFP, via Belgaimage)

« Inventaire avant disparition »

« L’une des principales causes de cette situation, c’est la pression foncière et la spéculation immobilière », relève Mme Diop. « On est à Dakar avec un mètre carré qui avoisine les 3.000 euros; on se retrouve dans une situation où les bâtiments, quand bien même ils ont une valeur historique, valent moins que le terrain sur lequel ils se trouvent ». C’est pourquoi Carole Diop et son confrère Xavier Ricou se sont lancés dans un travail « d’inventaire avant disparition » de quelque 400 bâtiments qu’ils considèrent comme « remarquables ».

Au-delà de cette collecte de données, ils se sont fixé comme objectif de raconter l’histoire de cette cité bordée par l’Atlantique, coeur battant du Sénégal, foyer de création artistique et intellectuelle, dans un ouvrage nommé « Dakar, métamorphoses d’une capitale », publié aux éditions françaises de l’Aube. Page 235 s’y trouve un manifeste pour « sauver » l’âme de Dakar et « siffler officiellement la fin de cette partie d’autodestruction ». « Nous refusons de considérer le Sénégal comme une page blanche où tout serait à reconstruire; nous refusons de perdre notre identité et notre âme dans cette course au profit immédiat », est-il écrit.

Des bulldozers en action au début des travaux de démolition du marché Sandaga de Dakar, en août 2020. (Photo par Seyllou / AFP, via Belgimage)

Pour Xavier Ricou, il est important de « savoir d’où l’on vient, de quelle brique on est constitué » et le patrimoine de Dakar « fait partie de cette histoire-là ». Mais cette valeur « n’est pas complètement partagée par les autorités », estime-t-il. Sénégalais métis, à la croisée des cultures européenne et africaine, il repense avec nostalgie au Dakar de sa jeunesse, une ville sans embouteillages, aux couleurs claires. Désormais, Dakar est polluée, agressive, étouffée par une population qui explose, déplore-t-il.

Impuissance

Féru d’histoire, il a collecté des vieilles photographies – dont certaines remontent à plus de 150 ans – des gravures, des cartes postales, des plaques de verre, qu’il conserve comme un trésor dans son havre de paix, sa résidence sur l’île de Gorée, à quelques encablures de Dakar. Toutefois les acteurs de la conservation semblent bien désarmés.

Chantier de construction, en janvier 2025. (Photo par SEYLLOU / AFP, via Belgimage)

Oumar Badiane est directeur du patrimoine culturel national, sous la tutelle du ministère de la Culture. Il explique ne pas avoir les moyens d’arrêter un chantier. Seul le Bureau d’architecture et des monuments historiques (BAMH) est assermenté pour le faire. Parfois, ils y parviennent. Mais la plupart du temps, les bâtiments sont détruits par surprise, le weekend ou la nuit. Ne reste alors qu’à constater les dégâts et engager des procédures. « Quand le projet est porté par une agence spécialisée de l’État, logée directement à la présidence de la République, vous imaginez ce que ça peut donner », se lamente-t-il. Il impute à l’Etat la destruction ces dernières années de nombreux édifices classés.

Les sanctions prévues en cas de démolition sont rarement appliquées et sont, dans tous les cas, pas assez dissuasives par rapport aux enjeux financiers. « Il faut que tout le dispositif change, (il faut) une révision complète de la loi », plaide M. Badiane. Il espère une prise de conscience de la part des nouvelles autorités, élues en 2024 sur une promesse de rupture, ou « ce sera la catastrophe ».

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