À la découverte de Noursoultan, l’iconoclaste capitale du Kazakhstan
Capitale opulente mais étincelante d’un Kazaksthan qui n’en demande pas tant, Noursoultan est une véritable curiosité perdue au milieu des steppes. Bienvenue dans une oasis artificielle à l’architecture bichonnée pour fasciner.
Nous sommes au sommet du Bayterek, qui domine la ville de ses 97 mètres de hauteur. Cette tour inspirée du mythique arbre de vie et couronnée d’un imposant oeuf en or (déposé par l’oiseau du bonheur) attire les Kazakhs des quatre coins du pays. Ils y font la file des heures durant pour pouvoir placer leur main dans l’empreinte dorée de leur ancien président, Noursoultan Nazarbaïev, et faire un voeu en admirant l’opulent palais présidentiel. Le chef d’Etat, qui a passé près de trente ans à la tête du pays, est ici un héros: après avoir démissionné en mars dernier, on a même décidé de donner son prénom à la ville, qui s’appelait jusque-là Astana.
Nazarbaïev disposait d’un pouvoir absolu et il en a d’ailleurs profité, un beau jour, pour déplacer la capitale méridionale d’Almaty – son nom avant Astana, en espérant que vous suivez – vers le nord glacial et nuageux. Voici maintenant une quinzaine d’années que les citoyens essaient de trouver une raison à cet étrange déménagement…
Noursoultan se situe au coeur de la steppe la plus vaste au monde, où le mercure atteint les -40 °C en hiver (ce qui en fait la capitale la plus froide du monde après Oulan-Bator en Mongolie), et où le vent n’épargne rien ni personne. Aucune ville digne de ce nom à des centaines de kilomètres à la ronde. Il y a bien quelques petits villages semi-nomades aux environs, mais à part cela, Noursoultan est entourée de vide à n’en plus finir.
Toutefois, le secteur de la construction en sort gagnant: ministères, palais, ambassades, musées, centres commerciaux et appartements fleurissent à une vitesse incroyable. Des gratte-ciels de béton, d’acier et de verre aux teintes de bleu, vert, jaune, cuivre et d’or décorent l’horizon, en alternance avec d’immenses grues. Dans ce pays, où les réserves de pétrole et de gaz semblent encore inépuisables, l’argent ne manque pas, et ça se voit.
Certains Kazakhs à l’âme créative s’amusent aujourd’hui à trouver des petits surnoms à toutes ces nouvelles constructions. Ils ont ainsi renommé le Bayterek « Chupa Chups » et l’académie d’art « l’abreuvoir ». Le ministère des transports est, quant à lui, devenu « le briquet » tandis que deux tours de bureaux aux reflets dorés ont été baptisées officieusement « les cannettes de bière ».
Le Nouvel-Orient
Noursoultan est une ville artificielle, à l’instar de Brasilia ou Canberra. Et comme pour ces deux capitales, un architecte renommé a été appelé pour faire de cette utopie urbaine une réalité: Kisho Kurokawa. Le Japonais, maître absolu du métabolisme, est connu pour la Nakagin Capsule Tower à Tokyo, le Technopolis de Singapour et le musée Van Gogh à Amsterdam. Il a dessiné le plan global de la capitale kazakhe, avec, au centre, le vaste Nurzhol Boulevard menant au palais présidentiel.
Selon les rumeurs, la tour Bayterek aurait été dessinée par Nazarbaïev en personne, sur une serviette lors d’un banquet d’Etat, et peaufinée par un architecte kazakh. De nombreux autres experts de talent du monde entier ont été réquisitionnés pour concevoir le reste de la ville. La salle de concert est signée Manfredi Nicoletti. Quant au Danois Bjarke Ingels, il a remporté le concours lancé pour concevoir la Bibliothèque nationale en 2009, mais il n’a toujours pas envoyé les plans. Dans une interview au New Yorker, l’architecte a expliqué ne pas avoir envie de verser les pots de vin requis.
Deux des bâtiments les plus extravagants des environs sont l’oeuvre de lord Norman Foster. En 2010, inspiré par les yourtes des nomades, il a fait construire la plus grande « tente » du monde à Noursoultan, appelée Khan Shatyr ( » tour royale »). En matière transparente, cette tour de 382 mètres de haut absorbe la chaleur du soleil, de sorte qu’il y fait toujours agréablement bon, même lorsqu’il gèle à pierre fendre à l’extérieur. Cette création futuriste ressemble à un chapiteau de cirque incliné et accueille un centre commercial. Au dernier étage, les visiteurs peuvent profiter du Sky Beach Club, de ses 35 °C éternels et de son sable importé des Maldives. L’extérieur a beau couper le souffle, l’intérieur est curieusement très ordinaire.
Pour l’autre édifice de Norman Foster, c’est tout le contraire. Vu de dehors, le Palais de la Paix et de la Réconciliation (2006) n’a rien d’extravagant, mais il est à visiter absolument. L’entrée se fait par les souterrains en granite noir, ce qui accentue le contraste avec la luminosité de ses murs en marbre blanc, et l’atrium de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Au sommet, un jardin verdoyant mène à la salle de congrès dans la pointe de la pyramide, où les croyants du globe se réunissent tous les trois ans lors du Congrès des dirigeants des religions mondiales, sous les colombes de l’artiste-verrier Brian Clarke.
Tout autour, la steppe
Noursoultan se situe au milieu de la plus grande steppe du monde: la steppe eurasienne, une vaste étendue de prairies et de pâturages qui relie les pusztas hongroises à la Corée. A trois heures de route de la capitale (un jet de pierres, selon les locaux), on découvre la réserve naturelle Korgalzhyn, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco pour son incroyable biodiversité. Là-bas, les tons vert et jaune typiques de la région laissent place aux nuances de bleu des lacs d’eau douce, salée ou saumâtre.
Dans cet environnement riche, évoluent loups des steppes, marmottes bobak et flamants roses – la colonie la plus au nord du monde – mais aussi des espèces menacées comme la grue de Sibérie (dont il ne reste plus que quelques centaines d’individus), le pélican frisé, le pygargue de Pallas et l’antilope saïga, dont le museau particulier ressemble à une petite trompe et lui permet de filtrer l’air.
En avril, les prairies se parent de millions de tulipes sauvages et la saison des flamants roses dure d’avril à septembre. Arrivent alors d’Afrique, d’Europe et d’Asie les oiseaux migrateurs, qui se reposent un instant avant de poursuivre leur voyage vers la Sibérie. En hiver, quand la steppe et les lacs sont gelés, les Kazakhs s’adonnent à leur activité hivernale favorite: la pêche sur glace.
L’immensité de cette réserve naturelle, les kilomètres qui séparent les lacs et le manque d’infrastructure y rendent les escapades solitaires presque impossibles. Mieux vaut réserver une visite guidée en anglais et profiter des services des rangers du parc, qui vous raconteront tout ce qu’il faut savoir de l’endroit. Ceux-ci ne parlent souvent que le russe, mais votre guide deviendra alors votre interprète.
Ne comptez pas sur le paysage pour vous divertir pendant les longues heures de route qui séparent Noursoultan du Korgalzhyn. Vous apercevrez de temps en temps un petit hameau de quelques maisons et, si vous avez de la chance, vous rencontrerez peut-être un shaban, la version kazakhe du cow-boy. Ce qui frappe, c’est la largeur de l’horizon: une steppe sans fin face à la skyline scintillante de la ville.
Voyage dans le temps
De retour à Noursoultan, nous nous plongeons dans son passé, à la recherche de bâtiments plus anciens que « l’abreuvoir » et « les cannettes de bière ». Les palais n’ont rien de majestueux, pas plus que les places ne sont grandioses. Il faut dire qu’à l’échelle de l’histoire, la ville n’en est qu’à ses balbutiements, même si elle a déjà connu quelques remous… en plus de ses modifications de nom incongrues.
En 1830, les cosaques sibériens ont construit un fort le long de la rivière Ichim: Akmoly, qui deviendra ensuite Akmolinsk. Pendant une centaine d’années, la région ne connait pas d’évolutions majeures, jusqu’à l’ouverture d’un camp de concentration en 1937, destiné à accueillir les femmes et les enfants des « ennemis du peuple » envoyés au goulag par Staline.
Dans les années 60, le successeur de ce dernier, Nikita Khrouchtchev, attribue une nouvelle fonction à Akmolinsk: il en fait l’épicentre de sa campagne des Terres vierges. Ce projet de construction pharaonique visait à transformer 40 millions d’hectares de steppes en terre cultivable. Akmolinsk devient alors la grange de l’Union Soviétique et change de nom pour l’occasion: Tselinograd, « ville des Terres vierges ».
Après la chute de l’URSS, Tselinograd redevient Akmola, tout comme l’oblast qui l’entoure encore aujourd’hui. Fin 1997, le président du Kazakhstan en fait la capitale du pays, et change à nouveau son nom pour Astana. A l’époque, la ville comptait seulement 300.000 habitants. Aujourd’hui, il y en a 800.000. Et les experts estiment que, d’ici 2030, pas moins d’1,2 million d’habitants vivront à Noursoultan – du moins si elle conserve cette appellation -, tant la ville attire des investisseurs des quatre coins du globe. Le tourisme, lui aussi, est en train de booster les arrivées dans le pays…
Pour avoir une idée de ce qu’Akmola était à ses débuts, il faut se rendre sur la rive droite de l’Ichim. Dans le quartier entourant le musée du Premier Président de la République du Kazakhstan (l’ancien palais présidentiel) et l’avenue Abay, plane encore l’ombre de l’URSS, avec ses immeubles de béton, ses places pompeuses avec fontaines et sculptures, et ses bâtiments postmodernes, comme l’ancien palais des congrès.
A l’heure du déjeuner, nous entrons par hasard dans un hôtel, et nous sommes transportés en pleine heure de gloire de Staline. Le Tourist, ouvert en 1987, était le plus grand hôtel de la République socialiste soviétique kazakhe. Il comprend un restaurant, une salle de billard, un sauna, un salon de coiffure, un magasin de souvenirs, une agence de voyage et 161 chambres. Le seul changement marquant depuis cette époque? Le Wi-Fi est disponible. Enfin, en théorie, puisque les choses qui ne tournent pas rond font partie de l’ambiance soviétique…
Y aller
Brussels Airlines et LOT Polish Airlines proposent des vols via Varsovie, à partir de 450 euros A/R. La bonne affaire: les billets Charleroi-Noursoultan avec escale à Minsk, via la compagnie aérienne biélorusse Belavia, à partir de 285 euros A/R.
Langue
La langue officielle du Kazakhstan est le kazakh, mais au nord, la population parle russe. La différence est évidente: le kazakh est une langue turque, même si elle utilise l’alphabet cyrillique. Noursoultan n’est pas une destination très prisée des touristes occidentaux. Au restaurant, le menu n’est souvent disponible qu’en russe et en kazakh.
Se loger
Ritz-Carlton. Pour un séjour de luxe, ce 5-étoiles daté de 2017 dispose de 157 chambres et suites, trois restaurants et un spa. Dès 170 euros la nuit. www.ritzcarlton.com/astana
Hilton Garden Inn. Bon rapport qualité-prix, cet hôtel se trouve au centre de la capitale et propose de vastes chambres, un petit déjeuner bien fourni et le Wi-Fi gratuit. Dès 140 euros la nuit. www.hiltongardeninn.hilton.com
Tourist Hotel. Envie d’un peu de nostalgie soviétique? Ce lieu offre le voyage dans le temps. Dès 42 euros la nuit. www.hoteltourist.kz
Visiter
La tente géante Khan Shatyr, sur la Turan Avenue, est ouverte tous les jours, de 10 à 22 heures. L’accès au Sky Beach Club coûte environ 15 euros. Les mordus d’architecture seront également comblés par la visite du Palais de la Paix et de la Réconciliation, sur la Tauelsizdik Avenue. Guide de 30 min obligatoire (en anglais) pour 1,50 euro.
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