La Grande Dérive: une promenade insolite pour voir Charleroi autrement

promenade insolite Charleroi
La Centrale électrique de Monceau-sur-Sambre. © Christophe Vandercam
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Inauguré en mai dernier, le GRP 1666 Grande Dérive trace un parcours de 54 kilomètres autour de Charleroi. Une grande boucle pour découvrir la surprenante diversité paysagère de l’ancien pays noir, entre perles patrimoniales et bain de nature.

Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur Charleroi et laissez-vous aller à la Grande Dérive! A la fin du mois de mai dernier, une cinquantaine de marcheurs téméraires ont étrenné ce nouveau sentier métropolitain rayonnant autour du centre-ville carolorégien. 54 kilomètres traversant forêts, champs, parcs et anciens sites industriels, parcourus ici en trois jours, mais qu’il est possible de découper en quatre ou deux tronçons, voire, pour les plus audacieux, d’effectuer d’une seule traite.

Sportifs aguerris et flâneurs du dimanche partageaient pour l’occasion le même point de ralliement: l’auberge de jeunesse de Charleroi, nichée au cœur de la ville basse, à proximité des quais de la Sambre et de la gare. Inauguré en 2018, le lieu arbore les labels Clé Verte et Bienvenue Vélo. C’est d’ici que, chaque jour, les randonneurs rejoignent en transport en commun (métro, bus ou train) les différentes étapes de cette Grande Dérive, reprenant au matin la marche là où elle s’est arrêtée la veille. Le petit-déjeuner «durable» sous forme de buffet de produits régionaux est évidemment parfait avant d’aller user ses souliers…

© National

Une réserve naturelle Natagora

Démarrant du métro Moulin à Monceau sur Sambre, directement accessible depuis la gare de Charleroi-Central, l’étape initiale du circuit ne tarde pas à dévoiler sa première surprise. Alors que quelques minutes plus tôt nous longions les modestes maisons ouvrières de l’ancien coron des

charbonnages de Marchienne et l’impressionnante conduite de gaz aérienne de la centrale de Monceau, nous voilà dans un cadre bucolique, dans un coin de forêt où coule l’Eau d’Heure. Quelques enjambées de plus et c’est au milieu d’une réserve naturelle Natagora de plus de 16 hectares qu’on se trouve: le Brun Chêne, avec sa roselière, ses mares forestières, son roncier et ses falaises de calcaire. Occupant le site de deux anciennes carrières, l’endroit abrite notamment plusieurs espèces d’amphibiens menacés comme le crapaud calamite, vingt-sept espèces de papillons, des faucons crécerelle et des choucas des tours, nichant dans de saisissants vestiges de fours à chaux: les uns, artisanaux, de taille réduite, et les autres, industriels, immenses, s’étalant telle une forteresse.

Ici, au XXe siècle, on exploitait le calcaire pour le calciner à 900 degrés et le transformer en chaux grâce à ces fours alimentés par le haut. Ce ne sera pas, et de loin, la seule zone verdoyante traversée par les marcheurs. Fermes, pairies et champs fraîchement fauchés, bois du Prince, bois de Soleilmont et bois de la Charbonnière ponctuent le parcours pour un dépaysement bienvenu. «A Charleroi, les contrastes sont énormes. Entre les chaussées traversées par la Grande Dérive, se trouvent la plupart du temps des fragments de campagne, des parcelles agricoles. On traverse des endroits où l’on ressent ce côté campagnard, alors qu’on est dans la banlieue, toujours à moins de 5 kilomètres du centre-ville de Charleroi», explique Micheline Dufert, formée à l’UNamur en analyse du paysage et initiatrice avec son mari Francis Pourcel de ce nouveau GRP 1666.

La grande piscine en plein air du Centre de Délassement de Marcinelle.
La grande piscine en plein air du Centre de Délassement de Marcinelle. © Christophe Vandercam

Ainsi naquit la Grande Dérive

Pour Micheline et Francis, respectivement 64 et 72 ans, la passion pour l’exploration du territoire carolo a commencé par… la musique. «J’ai commencé dans les années 70, mon tout premier groupe s’appelait Kosmose, raconte Francis. C’était de la musique improvisée, alternative, un peu planante à la Klaus Schulze. J’habitais Monceau-sur-Sambre à l’époque, avec un train derrière, un train devant, le tram au milieu et les terrils tout proches, alors forcément, on faisait de la musique industrielle. Pour les photos des pochettes, on posait souvent dans les environs, avec un fond de terril, ou un fond d’usine. Puis j’ai voulu faire quelque chose de plus structuré. Avec le claviériste, on a monté un autre groupe, Sic. Il nous fallait une chanteuse, quelqu’un qui savait gueuler, et Micheline est arrivée.»

Quelques albums en 45 et 33 tours témoignent de cette période rock’n’roll. La marche, le couple s’y met vraiment en parcourant un petit morceau du GR 412: le Sentier des terrils, 300 kilomètres courant de Bernissart, en province de Hainaut, à Blegny-Mine, sur le plateau de Herve. «On s’est alors rendu compte que ce GR des terrils ne passait pas par Charleroi même, se souvient Francis. Ni par la ville ni par la chaîne des terrils, qui est une suite de terrils incroyables de Marchienne-Docherie à Dampremy. On s’est dit que ce serait chouette de relier ces terrils entre eux.» Le projet prendra plusieurs années pour aboutir, mais la Boucle Noire verra le jour en 2016, avec le soutien de l’Eden (le Centre culturel régional de Charleroi) et des Sentiers de Grande Randonnée. Connecté au GR 412 au niveau de Marchienne, ce parcours «poético-punk» bénéficie dès lors du fameux balisage rouge et blanc.

Mais Francis et Micheline ne s’arrêtent pas là. Pendant la pandémie et les confinements Covid, ils proposent à l’Eden des «marches exploratoires», profitant de la possibilité de réunir un nombre limité de personnes en extérieur. Une série de boucles d’une dizaine de kilomètres plus éloignées du centre-ville, vers les quatre points cardinaux. C’est à nouveau un succès.

Et puis l’idée germe de connecter entre elles les parties extrêmes de ces différentes balades, pour former un circuit plus grand: la Grande Dérive, GRP numéroté 1666, c’est-à-dire l’année de la fondation de Charleroi. «Alors que les GR, balisés en rouge et blanc, tracent des lignes allant d’un point A à un point B, les GRP – pour sentiers de grande randonnée de pays – balisés en jaune et rouge forment une boucle sur un territoire, précise Micheline. Ça peut être une boucle de 300 kilomètres, mais c’est un «tour», par exemple le GRP tour du Brabant wallon, tour de la Wallonie picarde, tour de l’entre-Sambre-et-Meuse.»

Le site commémoratif du Bois du Cazier.
Le site commémoratif du Bois du Cazier. © Christophe Vandercam

Jusqu’au sommet du terril

Pour la Grande Dérive, Francis et Micheline voulaient au départ se limiter à 50 kilomètres. Finalement, ils ont dépassé un peu, tout en se forçant à des choix cornéliens. «Pour le tracé du parcours, on cherche les points intéressants à relier par des sentiers déjà existants, précise Francis: un site industriel, un bâtiment remarquable ou, autant que possible, un terril.» Car si la Grande Dérive est bien plus campagnarde que la Boucle Noire, elle ne fait certainement pas l’impasse sur ces petites collines de l’ère industrielle, apparues progressivement de l’amas de rebuts et résidus divers de l’exploitation minière – pour une tonne de charbon, il fallait extraire de six à sept tonnes de terre «stérile».

Passant à proximité du terril du Bois du Cazier, site de la catastrophe de Marcinelle de 1956, du terril du Boubier, dont le profil caractéristique lui a valu le surnom de «mont Fuji carolo», des terrils Saint-Charles, du Martinet et du Hameau, le parcours inclut une véritable ascension: celle du terril numéro 7 du Gouffre, à Châtelineau. Le terril préféré de Micheline. Le sentier grimpe parmi la luxuriante végétation poussant sur le sol de schiste minier, jusqu’à un sommet plat où croissent de nombreux bouleaux. Une fois redescendus, un peu plus loin, autre épiphanie: au milieu des robiniers et des aubépines surgit la silhouette gigantesque des bâtiments du charbonnage du Gouffre. Site prisé des amateurs d’urbex, l’endroit impressionne par sa taille et le charme de ses ruines, presque romantiques. «J’aime les lieux abandonnés, s’enthousiasme Francis. Pas pour aller faire le singe au-dessus des cheminées, mais pour la végétation qui reprend ses droits, qui vient envahir les murs et qui un jour fera tout disparaître.»

Le terril du Gouffre.
Le terril du Gouffre. © Christophe Vandercam

On s’y délasse… et on y mange bien

Le parcours réserve plusieurs apparitions de ce type. Au milieu du bois du Prince, ce sont les eaux azur de la grande piscine en plein air du Centre de Délassement de Marcinelle qui interrompent le vert de la végétation. Signé par l’architecte Jacques Depelsenaire, terminé en 1970 et rénové dans les années 2010, ce centre nautique est l’un des lieux phares des loisirs carolos. Le parc Appaumée, le parc de la Serna, proche de l’aéroport de Charleroi Brussels South, et le parc Bivort offrent également plusieurs respirations paisibles dans cette Grande Dérive. Pour une pause roborative, on peut aussi compter, à Fleurus, sur le restaurant Le Saint Clou, établi dans l’ancien site de l’abbaye cistercienne de Soleilmont (ravagée par un incendie pendant la nuit de Noël 1963) et disposant d’une agréable terrasse dans la cour.

Site du charbonnage du Gouffre.
Site du charbonnage du Gouffre. © Christophe Vandercam

Paré d’un jardin à l’anglaise, le site accueille également Circomédie, l’école de cirque de Charleroi, qui propose, en plus des cours et stages circassiens, un atelier de boulangerie et un espace yoga. En traversant le village de Bouffioulx, on s’arrête à la Brasserie de la Poterie Dubois, une des dernières poteries en activité de cette région où le travail du grès constitue un savoir-faire ancestral, mis à mal par l’apparition de la porcelaine et de la faïence, par l’arrivée des réfrigérateurs qui ont remplacé les pots de conserve et celle des tuyaux en PVC qui se sont substitués à ceux en grès. Une partie de la vénérable bâtisse accueille un musée de «la Grange aux potiers» qui retrace une histoire d’artisans remontant au XVIe siècle. Une autre occasion de sortir des clichés au fil de cette étonnante Dérive.

EN PRATIQUE

Se renseigner

Le Topoguide GRP 1666 Grande Dérive est disponible sur le site grsentiers.org au prix de 9 euros.

Où dormir

Auberge de jeunesse de Charleroi. C’est le point de ralliement de la balade, avec 43 chambres (2, 3, 4 ou 6 lits, avec salle de bains privative) logées dans un cadre moderne et spacieux. 3, rue du Bastion d’Egmont. lesaubergesdejeunesse.be/charleroi

Où manger

– Le Saint Clou. Située dans une ancienne abbaye, cette adresse concocte des plats inspirés de la cuisine française de brasserie. Au menu: entrecôtes, steaks, pâtes ou poissons. 251, ruelle de l’Abbaye, à 6220 Fleurus. lesaintclou.be

– La Grange aux Potiers by SD. Après la visite du musée et de la poterie, place à une parenthèse gourmande dans ce lieu qui régale de plats aussi copieux que savoureux. 20, rue Emile Hermant, à 6200 Bouffioulx. poteriedubois.be

– Chez Duche. Au Guide Michelin depuis 2014, le lieu vient de changer de patron: Christophe («Duche») passe la main à Joris, après 29 ans de service, mais la convivialité et la qualité demeurent. 5, avenue de Waterloo. chezduche.be

– Emozione latina. Au vu de son histoire, Charleroi foisonne de restaurants italiens. A la ville basse, on a un faible pour cette adresse proposant une cuisine authentique. 29, rue de Dampremy. emozionelatina.be

– Au Provençal. Cette adresse fait pétiller les saveurs du Sud depuis 1968. Un lieu incontournable de la ville basse en matière de cuisine française. 10, rue Puissant d’Agimont. restoauprovencal.be

– Athena. Un resto grec comme on les aime, servant des plats traditionnels généreux, avec un large choix de grillades. Le tout dans un cadre sobre et cosy. 144, boulevard Joseph Tirou.

– Robert la Frite. Interdit de repartir sans avoir goûté les frites de cette baraque, véritable institution carolo. Chez Robert, depuis 1952, l’objectif est de «préparer la meilleure frite que vous ayez jamais mangée». Un must. Place de l’Ouest.

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