Les bonnes adresses du chef belge Christophe Pauly à la Mer du Nord
Depuis vingt ans, il veille aux destinées de son Coq aux champs. Quand le chef étoilé ne met pas ses tripes dans l’assiette, il part à la Mer du Nord pour saluer ses amis de NorthSeaChefs, taquiner la crevette, regarder son fils surfer et rêver de voyages marins.
C’est marée basse. Le soleil levant colore le ciel d’aplats rose orangés, la plage est pratiquement vide à cette heure-ci, c’est celle solitaire des promeneurs de chiens et des pêcheurs de crevettes, fils de pêcheurs de crevettes, eux-mêmes fils de pêcheurs… Dans le grand vent matinal, le chef Christophe Pauly s’offre une balade les pieds dans l’eau, aujourd’hui, c’est jour de pêche, un peu pour la galerie, beaucoup pour le plaisir – surtout ne pas laisser mourir ce métier qui remonte au XVIe siècle, si l’on en croit les livres d’histoire. Günther Vanbleu a enfilé sa salopette et son ciré jaune, attelé son robuste Brabançon qui ne craint ni l’eau salée ni le froid piquant du vent venu du Nord. Si tout va bien, il ramassera 5 kg de ces petites bêtes grises de la famille des Crangonidae qui font la renommée de la Côte belge.
Il est porté par un élan singulier, mélange de tradition, de fierté locale et d’amour ancestral, il se sait reconnu au patrimoine culturel immatériel mondial, cela date de 2013, merci l’Unesco. La plage d’Oostduinkerke est le théâtre de ses activités de dernier des Mohicans. De la voix, il encourage Martha, son fidèle cheval qui entre dans l’eau jusqu’au poitrail, avance en longeant la côte, tire un filet en forme d’entonnoir, que deux planches en bois maintiennent ouvert. Une chaîne racle le sable mouillé, ses vibrations font bondir les crevettes et hop dans le filet.
Au bout d’une demie heure, retour sur la plage, Günther le vide dans ses deux tamis superposés, d’un geste rapide, précis, il rejette à la mer ce qui ne ressemble pas à une crevette, ici une méduse, là une petite lotte, des crabes en pagaille. Christophe Pauly se penche avec lui sur la moisson du jour. « Et combien de kilos ramènes-tu en une journée de pêche ? Et quelle est la meilleure période ? Novembre ? Alors c’est à ce que moment-là que je vais devoir les travailler… » Il savoure son plaisir, les deux pieds dans le terroir. « On réalise ainsi que le produit ne vient pas du camion ! Et on se rend compte de tout le travail qu’il y a derrière… C’est la meilleure manière de comprendre les difficultés et les impératifs des gens, ce qui me permet ensuite de faire une cuisine plus raisonnée. »
Le chef étoilé a saisi une crevette, l’a épluchée dans les règles de l’art, exactement comme le lui avait appris sa grand-mère, Marie-Ange, 92 ans aujourd’hui. Il en a décortiquée une pour nous, on l’a dégustée, crue, les embruns en plus, le chef a murmuré « c’est magique », il avait tellement raison.
Les souvenirs de son enfance
On est du pays de son enfance et le sien, l’été, avait un air prononcé de Mer du Nord. Avec ses grands-parents, Christophe Pauly séjournait à Coxyde, il ne sait plus exactement où, ce n’est pas faute d’avoir cherché à localiser ce lieu de villégiature qui n’a plus que les contours flous du souvenir. Il a gardé le goût de ce mois de vacances, qui s’étirait à jouer sur le sable, faire des pâtés, ranger la pelle et le petit seau dans la cabine de plage. Il se souvient qu’il y faisait aussi des stages d’équitation, il était « fou de cheval ». « On dormait dans une ferme derrière le golf de Knokke, on se promenait sur la plage, c’était dans un coin que les gens d’ici appelaient le Far West. »
On comprend donc qu’il vient à la Côte comme d’autres feraient un pèlerinage, de préférence hors saison, l’automne lui convient bien. En 2h30 de voiture, il change d’air, le Coq aux champs est loin derrière lui, du moins le poids de son restaurant, pas l’envie de cuisinier ni la gourmandise. Et s’il vient aussi ici, c’est pour son fils, ou plutôt grâce à lui, le « gamin », 18 ans, pratique la planche à voile et le kite surf au Surfers Paradise. Direction donc le paradis des fous et folles de sports nautiques, à la sauce Beach Boys. Au milieu des dunes, l’inénarrable Frank, visage buriné et look qui colle au genre, a fait de ce spot un club à la hauteur. On pourrait presque se croire en Californie, n’était ce petit fond de l’air un peu frisquet. « On n’a pas les vagues comme à Hawaï, s’excuse le boss, mais on a tout le reste. »
« Mon métier, ce n’est pas la mer… »
On s’est assis face à la mer, Zeedijk, à Knokke-Heist, au Bristol, Christophe Pauly est ici incognito, ça lui va bien, il n’aime pas l’esbroufe. A la carte, de la lotte, le poisson du diable, l’occasion pour lui d’en raconter la légende qui veut qu’elle porte malheur aux pêcheurs. Alors ils lui coupent la tête à peine sur le pont du bateau pour mieux la rejeter à la mer instantanément, il faut reconnaître qu’il a une drôle de tronche, ce poisson-là, carrément laid, avec de grandes dents. Voilà pourquoi à la criée, on n’en trouve guère.
Christophe Pauly n’a pas oublié sa première visite dans ces grands hangars à Zeebrugge où dans les bacs bleus s’empilent les tonnes de poissons locaux vendus aux enchères. Il avait été étonné du calme qui y régnait et en était ressorti nourri. « Cela m’a donné plein d’envies, c’est une vraie source d’inspiration… On tombe sur un poisson qu’on n’a pas travaillé depuis longtemps, on pose des questions et on apprend parce que moi, mon métier, ce n’est pas la mer… » Dans la foulée, on a poussé jusqu’à la Visserskapel Onze Lieve Vrouw Ster der Zee, sous-titrée « Moeder van Troost », la mère de la consolation, sur la place Cornelius Bassens, à Heist toujours.
Une chapelle faite de briques rouges tendance néo-gothiques en mémoire de ceux qui ont les flots pour cercueil. Sur les murs blancs troués de vitraux aux dominantes bleues, des ex-votos, un bateau miniature, des bouées où les familles en deuil ont glissé des photos désormais jaunies et écrit les noms et prénoms d’un fils, d’un mari, d’un frère, leur date de naissance et celle de leur disparition en mer. Louis Popelier avait 24 ans, il pêchait sur l’Atlantis, c’était le 14 décembre 1973, « vermist ». Les gens d’ici s’en souviennent, jeudi prochain, on donnera une messe puis on mangera un pistolet au haché arrosé d’un café sucré.
Et comme on n’était finalement pas si loin de chez Filip Claeys, Christophe Pauly a tenu à faire le détour par Bruges et par le Jonkman, le restaurant doublement étoilé de son ami, celui-là même qui l’a entraîné à sa suite dans l’aventure NorthSeaChefs. « C’était il y a un peu moins de dix ans, Filip m’a contacté pour y participer, j’ai tout de suite dit oui – un collectif, c’est bien, mais c’est encore mieux qu’and on s’investit et qu’on y croit. J’ai découvert plein de poissons que je ne connaissais pas, le tacaud, la roussette et même le rouget grondin, cela m’a obligé à les travailler, à sortir des sentiers battus. Et cela m’a ouvert des portes par rapport à ma créativité. »
Le Wallon ne sait même plus de quand date le début de son amitié avec le Flamand, une chose est sûre, l’Histoire retiendra cette soirée pantagruélique chez lui, à Tinlot, où ils avaient cuisiné à quatre mains et qui se termina très tard, c’est-à-dire très tôt, avec des « chiche » et des concours de soufflé au chocolat et d’omelette norvégienne XXL, « on était un peu cramés », confesse-t-il amusé – la vie, avant tout, et la joie, les deux pieds dans le terroir. Et le partage. Car Christophe Pauly est de ceux qui ont fait de la générosité une règle d’or. Il publie donc ses recettes en une nouvelle collection de carnets joliment illustrés qui débute avec la Courge, c’est de saison. Il y confie ses claques, ses trucs et astuces, ses interprétations culinaires, sans jamais rien imposer. On fera tout comme il dit, en espérant ramasser des fleurs, à sa façon – « Le plus beau compliment ? Quand à la fin, on lèche son assiette ».
Courge, Collection Papier Fourchette, autoédition limitée à 300 exemplaires. 18 euros. En vente au restaurant Le Coq aux champs.
SON CARNET D’ADRESSES
A Knokke-Heist
L’hôtel Britannia
« Parce que c’est une histoire de famille et une vraie, celle de la famille Van Hollebeke. J’aime son architecture typique d’une station balnéaire de jadis et sa situation idéale – ni sur la digue, ni trop loin de la mer. Sa rénovation est en harmonie totale avec l’esprit de toujours, les propriétaires ont réussi à en garder l’âme. J’apprécie aussi le fait qu’il y ait peu de chambres et l’attention sans faille au bien-être du client. Et le petit déjeuner est top ! »
85, Elizabetlaan, 8300 Knokke-Heist. hotelbritannia.be
La brasserie Bristol
« J’aime les tables décomplexées et particulièrement ce mélange de tradition et de contemporain dans la cuisine du Bristol, tenu par la quatrième génération. On y croise les chefs Sergio Herman et Peter Goossens, c’est un baromètre. C’est vraiment l’adresse des épicuriens. »
291, Zeedijk-Heist, 8301 Knokke-Heist. brasseriebristol.be
Le Nemrod
« Pour ses anguille à la crème, elles sont top. »
55, Kustlaan, 8300 Knokke-Heist.
Boulangerie Notre-Dame
« Pour les hirondelles incontournables et les croûtes ».
10, Sylvain Dupuisstraat, 8300 Knokke-Heist.
Bartholomeus chez Bart Desmidt
« Une des plus belles tables du pays avec des produits irréprochables et une véritable identité culinaire. ET en plus un 18/20 « Concept de l’année » Gault&Millau 2023 ! »
267, Zeedijk-Heist, 8301 Knokke-Heist. restaurantbartholomeus.be
Must Have:
« Une boutique de mode, où je vais surtout pour trouver des baskets, ils en ont une collection incroyable. »
15, Kustlaan, 8300 Knokke-Heist. musthave.be
The Pharmacy
« Magnifique bar à cocktails »
98, Lippenslaan, 8300 Knokke-Heist. thepharmacy.bar
Le Surfers Paradise
« Le paradis fait surf ! J’adore cet endroit, mon fiston y a appris à faire de la planche à voile, il est désormais passé au Kite surf et il ride aussi. Frank Vanleenhove a ouvert son spot de surf en 1988, un an après le fameux concert des Beach Boys sur la plage, près de l’ancienne piscine. Il a commencé avec une cabine de plage, il ramène des souvenirs de partout, du monde entier, même cet arbre trouvé sur une plage au Costa Rica qu’il est venu posé là sur le coin du bar… Il est fournisseur de la cour, il paraît que le roi Philippe désire apprendre le wingfoil avec lui, ça, c’est chaud ! »
Zeedijk-Het Zoute, Appelzakstraat, 8300 Knokke-Heist. surfersparadise.be
A Saint-Idesbald
Julia
« Un bar à poissons et à huitres fondé par la famille Wittevrongel, active dans la pêche depuis des générations. Angus tient aussi la poissonnerie Mare Nostrum, en ambassadeur de la pêche durable. Son horloge biologique, c’est la criée ! Chez lui, la pêche du jour occupe une place de choix. »
2, Arthur Vanhouttelaan, 8670 Coxyde. julia-baaldje.be
A Ostende
Le Mercator
« J’ai été fasciné par ce voilier quand mes yeux d’enfant se sont posé dessus pour la première fois! Je l’ai visité plusieurs fois ensuite, avec mes parents et avec mes grands-parents. La hauteur des mâts m’impressionnait… A chaque fois, c’était la même admiration. Mon imagination s’emballait, je me racontais les grands voyages, les mers lointaines.. Je n’y suis plus retourné depuis longtemps mais rien qu’à l’évoquer, j’ai envie de remonter dessus… »
2, Jan Piersplein, 8400 Oostende. zeilschipmercator.be
Musée James Ensor
« J’adore, c’est un cri du cœur ! Dans la maison du peintre, tout prend une autre dimension, tout prend vie et invite à une découverte inépuisable. L’imagination y est sollicitée par chaque tableau, chaque scène, chaque détail, chaque masque. Je sais qu’il y a une promenade Ensor commentée, à faire à travers Ostende. Jusqu’ici, le temps m’a manqué mais je n’y renonce pas, un jour peut-être… »
29, Vlaanderenstraat, 9400 Oostende.
A Blankenberg
De Oesterput
« Le lieu incontournable pour le plateau de fruits de mer et les huîtres. La famille Devriendt, quatrième génération, est formidable. Ambiance, qualité, convivialité … tout y est ! »
16, Wenduinse Steenweg, 8370 Blankenberge. oesterput.com
A Damme
Le Siphon
« Une auberge qui a plus de 100 ans et où on trouve la meilleure anguille qui soit. Chaque fois que j’y vais, je me dis que je vais manger autre chose mais je finis toujours par choisir l’anguille. Et en hiver, on y propose le lièvre arlequin, une madeleine de Proust pour les Flamands. »
1, Damse Vaart-Oost, 8340 Damme.
Au Coq
De Kruidenmolen
« C’est le bistro de Stijn Bauwens, ex-De Karmeliet notamment, le gars sait faire à manger et les meilleures croquettes de crevettes du monde. »
1, Dorpsstraat, 8420 Klemskerke (Le Coq). kruidenmolen.be
A Bruges
Le Jonkman
« Je m’entends vraiment bien avec le chef Filip Claeys, on a le même esprit, le même dynamisme. Il est l’un des initiateurs de NorthSeaChefs, fondé en 2011. Il est petit-fils de pêcheur et fils d’un ancien cuisinier célèbre. Il promeut la pêche durable, lutte contre la surpêche et encourage les chefs, les cuisiniers amateurs et les consommateurs à utiliser des espèces inconnues, méconnues ou oubliées. Il m’a fait découvrir des poissons que je ne connaissais pas, c’est une source d’inspiration. Il fait preuve d’une telle créativité dans son restaurant 2 étoiles Michelin. »
438, Maalse Steenweg, à 8310 Bruges. dejonkman.be
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