Pourra-t-on bientôt nager dans la Meuse ou la Senne? Les leçons à retenir de Paris et la Seine
Piquer une tête dans la Seine, sous un ciel bleu, la tour Eiffel en arrière-plan… Un rêve bientôt réalité, héritage promis des Jeux olympiques de Paris qui se tiendront du 26 juillet au 11 août. En attendant qu’on puisse aussi plonger dans la Meuse ou la Senne? Pas si vite, car ainsi que le rappelle l’exemple de la Ville lumière, il y a toute une série d’obstacles à surmonter au préalable.
Star de ces Jeux, le fleuve qui accueillera la cérémonie d’ouverture et où sont prévues les épreuves de triathlon et de natation marathon, doit s’ouvrir dès l’année prochaine aux Parisiens et à leurs visiteurs. Au détour d’une visite du Louvre sur ses quais ou par un de ces jours de canicule de plus en plus fréquents l’été à Paris, il sera permis de se baigner dans la Seine – comme on le fait dans la Limmat à Zurich ou l’Eisbach à Munich, deux rivières alpines plus faciles à encadrer.
A partir de l’été 2025, trois sites parisiens et plus d’une vingtaine autour de la capitale dans la Seine et la Marne, son principal affluent, accueilleront des espaces sécurisés et aménagés avec pontons, douches et parasols. Une reconquête au long cours, fruit d’un budget de 1,4 milliard de d’euros et de colossaux travaux de dépollution d’un fleuve longtemps considéré comme un dépotoir.
Au XVIIe siècle, on se baignait pourtant nu dans la Seine à Paris, mais dès le XIXe, priorité y était donnée à la circulation des bateaux en plein essor. Au XXe, la baignade y était interdite définitivement par une ordonnance préfectorale de 1923 en raison « des dangers causés par la navigation fluviale et la pollution ». En promettant de nager dans la Seine en 1990, l’édile de Paris et futur président Jacques Chirac avait lancé l’idée d’une réappropriation du fleuve par ses riverains. L’actuelle maire de la capitale Anne Hidalgo en a pris l’engagement en 2016, en en faisant un pilier du dossier de candidature pour l’organisation des Jeux.
Elle a prévu de s’y baigner en juin. Le président Emmanuel Macron a dit qu’il irait aussi – sans dire quand. Le grand public, et avant lui les athlètes en lice pour les JO, suivront-ils ?
La Seine, un bain avec remous
Un jour de crue au mois de mars. La Seine déborde sur ses quais bas au centre de Paris, l’eau est marron, le courant fort, rien qui n’incite à s’y tremper. A quelques mois des JO, des sportifs de haut niveau s’inquiètent. La qualité de l’eau, « c’est une préoccupation », a confié à l’AFP la championne olympique en titre de natation en eau libre, la Brésilienne Ana Marcela Cunha.
De fait, le suspense demeure sur la tenue des épreuves olympiques depuis les « test-events » d’août qui ont dû être en grande partie annulés : la qualité de l’eau ne correspondait pas aux standards européens basés sur deux bactéries fécales, Escherichia coli et entérocoques. Alors qu’à Paris, eaux de pluie et eaux usées passent par le même réseau conçu au XIXe siècle, des précipitations exceptionnelles ont fait déborder les égouts, comme toujours dans ce cas. Puis cela a été, sans forte pluie, une pollution due au dysfonctionnement d’une vanne.
Dans les deux cas, les eaux souillées se sont déversées dans le fleuve, la concentration d’E.coli, qui entraîne des intoxications gastriques, a connu un pic. « La santé des athlètes doit passer avant », a insisté Ana Marcela Cunha, appelant les organisateurs des JO à élaborer un « plan B » au cas où. L’expérience de la maitre-nageuse Gaëlle Deletang, dans la capitale durant cet hiver pluvieux, ne devrait pas la rassurer.
Membre de l’équipe nautique de la Protection civile de Paris, cette femme de 56 ans raconte avoir connu « diarrhée et bouton de fièvre parce que l’eau n’est pas propre » entre les ponts de Bercy et d’Austerlitz où elle s’est entraînée en combinaison. Quant aux autres bénévoles, « plusieurs ont eu une bactérie pendant trois semaines » et « tous ont eu la gastro. »
Un état « alarmant »
De la Bourgogne (centre), où elle prend sa source, à la Manche, où elle se jette, le jeune aventurier Arthur Germain a descendu à la nage les 777 km de la Seine à l’été 2021. Un peu partout sur le fleuve, « il y a des zones où je peinais à respirer » en raison des activités agricoles ou industrielles, raconte le jeune homme de 22 ans, fils de la maire de Paris.
Très en amont de la capitale, il a vu des machines agricoles « qui vaporisaient des pesticides à côté du fleuve ». A quelques kilomètres en aval de Paris, il dit avoir vécu le « pire jour » à Gennevilliers au passage d’une station d’épuration. En 2023, au regard de la directive européenne « baignade » de 2006, aucun des 14 points de prélèvement parisiens de l’eau n’a atteint un niveau de qualité suffisant, selon les analyses transmises à l’AFP par la mairie de Paris.
Et selon la Surfrider Foundation, qui a réalisé des prélèvements à Paris de septembre à mars, l’eau de la Seine était dans un état « alarmant ». Les autorités répondent que la baignade n’est prévue que l’été.
Moins de déchets, plus de nage
Depuis les années 1990, pour éliminer la pollution provenant des eaux usées – industrielles, domestiques ou pluviales – le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) dit avoir investi six milliards d’euros. A voguer depuis 14 ans dans les Hauts-de-Seine, en banlieue ouest, Rémi Delorme, capitaine du Bélénos, un bateau qui nettoie le fleuve depuis 1980, a vu des progrès.
Ce jour-là, le catamaran de 20 mètres, équipé d’un tapis roulant enfoncé à 40 centimètres dans l’eau pour aspirer les déchets flottants, récupère carcasse de vélo, ferrailles, sacs plastiques. « Plus grand chose de ce qu’on remonte ne nous semble insolite », dit ce petit-fils de batelier de 36 ans, évoquant « les canapés, les animaux morts mais aussi, une à deux fois par an, des cadavres humains ».
Mais au fil du temps, le niveau des déchets collectés par le Bélénos a diminué: de 325 tonnes par an en moyenne au début, il n’en restait plus que 190 tonnes en 2020. Sept premiers barrages à déchets ont été installés sur le fleuve à partir de 1994 par le Siaap, ramassant les premières années entre 500 et 1.000 tonnes par an. Depuis que leur nombre est passé à 26, la récolte, après un pic à 2.500 tonnes (2013), a tendance à diminuer (moins de 1.200 en 2023).
Avec les JO, le « plan baignade » lancé en 2016 par l’Etat et des collectivités locales a connu un coup d’accélérateur pour limiter les rejets d’eaux usées dans la Seine et la Marne. Une bataille capitale car « le fait qu’il y ait des rejets non contrôlés a un impact majeur (sur la présence de) bactéries fécales », explique Jean-Marie Mouchel, professeur d’hydrologie à Sorbonne-Université.
Depuis 2018, une loi oblige bateaux et péniches si emblématiques des berges de la Seine à se raccorder au réseau d’assainissement pour ne plus déverser leurs eaux souillées dans le fleuve. Selon la préfecture, la quasi-totalité des 250 propriétaires devraient l’avoir fait à Paris d’ici les Jeux.
Idem pour la résorption des mauvais branchements des particuliers, obligatoire depuis 2021. Jusque-là, quelque 23.000 maisons de banlieue proche évacuaient eaux de douche et de toilettes directement dans la nature. A force de porte-à-porte, promesses de subventions, menaces de pénalités, 40% de ces mauvais branchements ont déjà pu être corrigés. « On est passés de 20 millions de m3 à 2 millions de m3 de rejets dans la Seine par an ces dernières années », indique Samuel Colin-Canivez, responsable des grands travaux du réseau d’assainissement parisien.
Le retour des poissons
Aujourd’hui, l’hydrologue Jean-Marie Mouchel voit une grande « amélioration sur les teneurs en oxygénation, ammonium et phosphate », signe de meilleure santé d’une rivière. Si la Seine « n’est pas redevenue un fleuve sauvage », elle compte aujourd’hui « plus de 30 espèces de poissons, contre trois en 1970 », souligne le professeur.
Sur le Pont Marie, dans le coeur historique de Paris, un matin de septembre à la meilleure heure pour appâter le poisson, Bill François a installé sa canne à pêche comme il le fait une à cinq fois par semaine. Le physicien de 31 ans attrape un silure étonnamment gros, qu’on n’aurait pas imaginé dans la Seine. Puis un de ces petits perches « poissons emblématiques de la pêche à Paris », de plus en plus nombreux alors qu’il « n’y en avait plus » un demi-siècle auparavant.
Il aperçoit même des poissons « beaucoup plus exigeants sur la qualité de l’eau », ce qui est « très bon signe », dit-il. « On voit plein d’espèces qui reviennent, pas seulement des poissons, aussi des insectes aquatiques, même des méduses, des crustacés, des petites crevettes, des éponges, toute une biodiversité. »
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Pour la microbiologiste Françoise Lucas, observatrice avisée du plan baignade, « tout ce qui pouvait être mis en œuvre a été mis en œuvre » mais le sort des épreuves olympiques « va dépendre de la météo ». En amont de la capitale, parmi les deux principales stations d’épuration modernisées, l’usine de Valenton (Val-de-Marne) joue un rôle fondamental pour améliorer le traitement des eaux usées.
Depuis l’année dernière, un procédé innovant permet de les traiter à l’acide performique, « désinfectant organique » qui ensuite « se désagrège rapidement, dès avant d’entrer en contact avec le milieu naturel », affirme le Siaap, en réponse aux inquiétudes quant à son éventuel impact sur l’environnement. Toujours en amont, à Champigny-sur-Marne, une nouvelle station de dépollution des eaux pluviales doit entrer en fonction au printemps. Creusée en sous-sol, elle les récupère pour les empêcher de finir dans la rivière. Et les nettoie par dégrillage pour retirer les déchets flottants, décantation lamellaire pour retirer les matières en suspension et traitement par lampes ultra-violet – autre procédé innovant – pour désactiver les bactéries, avant de les rejeter dans la Marne.
Pour éviter le cauchemar de l’été dernier en cas de pluies abondantes, la clé du dispositif – parmi les cinq ouvrages majeurs construits – c’est le bassin d’Austerlitz, véritable cathédrale souterraine creusée en plein centre de Paris, à quelques mètres d’une gare et d’un hôpital. Avec sa cuve cylindrique en paroi moulée, profonde de 30 mètres sur 50 mètres de diamètre et soutenue par une forêt de piliers en béton, ce « bassin d’orage » inauguré début mai peut contenir 50.000 m3 d’eau, l’équivalent de 20 piscines olympiques. Sa fonction: stocker les eaux usées et pluviales en cas de fortes précipitations et ainsi éviter le débordement des égouts et le déversement d’eaux non traitées dans la Seine. « Il reste statistiquement quelques pluies dans l’année pour lesquelles ces capacités de stockage ne suffiraient pas », reconnait le préfet de région Marc Guillaume mais affirme-t-il « l’objectif de dépolluer à 75% sera tenu ».
Sous les pavés, la plage?
A Paris, on pourra se baigner près de l’Hôtel de Ville, sur les rives de Grenelle ou de Bercy. Une grosse vingtaine d’autres sites seront répartis autour de la capitale. Comme jadis. Jusque dans les années 1960 dans la Seine, 1970 dans la Marne, la baignade est restée possible en banlieue parisienne.
Les aménagements datant du début du XXe siècle empruntent à l’imaginaire des stations balnéaires de Normandie ou Méditerranée pour offrir un parfum de vacances aux catégories populaires avec plages de sable et bals musettes. On les appelait « Le Petit Trouville » ou « Deauville à Paris ». A Champigny, la « plage » en bord de Marne comportait « comme un petit bain qui partait en pente douce, avec les enfants qui pouvaient avoir pied », se remémore Michel Riousset, 74 ans. « Chacun avait sa cabine. »
Puis le temps a passé et le rapport au fleuve avec. A Ris-Orangis, sur la Seine, les anciennes cabines sont à l’abandon recouvertes de végétation et de tags. « On avait oublié l’existence du fleuve dans nos communes », résume le maire Stéphane Raffalli. « Il y a même des gens qui vivent ici depuis très longtemps, qui ne sont jamais venus se promener sur les berges. » Mais depuis plusieurs années, la ville travaille à la réhabilitation de l’ancienne piscine fluviale construite vers 1930. « Nous avons fait des études de pollution sur une longue durée et côté sanitaire, c’est sans risque », assure le maire. Le site devrait être prêt pour 2025.
L’intérêt pour ces vestiges renaît à la faveur du changement climatique. Les élus rappellent régulièrement que le climat de la capitale pourrait s’apparenter à celui de Séville d’ici quelques années, avec des températures atteignant 50°C. Déjà des intrépides n’hésitent pas à plonger. Comme ce dimanche soir de juillet dernier quand une vingtaine de nageurs se jettent avec délectation dans la Seine à l’Ile-Saint-Denis en aval de la capitale.
Josué Remoué fait trois sorties par mois de mai à octobre, quand l’eau n’est pas trop froide, le courant pas trop fort. « Je n’ai jamais été malade », assure ce fonctionnaire de 52 ans. L’eau « est plus dégradée au bord, en général je ne m’y attarde pas », dit-il, « je ne plonge pas, je ne vais pas sous l’eau ». Il y a quelques règles de sécurité : avoir bonnet et bouée de couleur vive, éviter de nager seul, privilégier le dimanche ou le soir pour éviter les bateaux. « J’ai dû en croiser deux fois des bateaux, un peu impressionnant. » Ce soir, l’eau n’est ni trouble ni limpide, la sensation pas visqueuse juste un peu terreuse, la température à 25°C, les rives quasi-bucoliques à quelques encablures de cités bétonnées. Le paradis pour Josué Remoué.
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