Cachemire: le tourisme « de conflit » à la cote (en images)
Dans une rue fortifiée du Cachemire, une touriste indienne, tout sourire, entre deux soldats en faction armés de fusils d’assaut, prend une pose triomphale, un drapeau indien dans chaque main, tandis que son mari immortalise la scène avec son smartphone.
La destination touristique la plus prisée de l’Inde actuellement est le terrain d’une insurrection séparatiste, la plus meurtrière du pays, où des escarmouches éclatent régulièrement entre rebelles et troupes indiennes. Le Cachemire, région himalayenne à majorité musulmane revendiquée par l’Inde et le Pakistan, a été le théâtre de plusieurs guerres pour son contrôle depuis la partition de l’empire britannique des Indes en 1947.
Depuis le lancement en 2021 d’une campagne touristique à gros budget vantant ses paysages de montagne époustouflants, des stations de ski couvertes de neige et la beauté de lointains sanctuaires hindous, les Indiens affluent au Cachemire. Une série d’événements promotionnels a suivi, avec des festivals, des salons du voyage, des tournées de présentation et des ascensions de sommets avec des opérateurs de voyage indiens, parrainés par le gouvernement local et 21 grandes villes du pays.
Le gouvernement a annoncé l’ouverture d’une station de ski parmi 75 nouvelles « destinations inexploitées », dont certaines proches de la ligne de contrôle ultra militarisée qui partage le Cachemire entre l’Inde et le Pakistan.
Plus de 1,6 million de touristes indiens ont visité le territoire disputé durant les six premiers mois de l’année, soit quatre fois plus que la même période de 2019, marquant un record, selon les responsables locaux.
« Triomphalisme nationaliste »
Beaucoup fraternisent avec les soldats, prennent des « selfies » avec eux et font fi des échanges de tirs réguliers, éloignés des destinations touristiques. « Maintenant, tout va bien au Cachemire », affirme à l’AFP Dilip Bhai, un touriste de venu du Gujarat, dans l’ouest du pays, devant un restaurant gardé par des paramilitaires. « Les nouvelles de violences dont parlent les médias relèvent davantage de rumeurs que de la réalité », estime-t-il, ajoutant que les affrontements armés qui se déroulent « à côté » ne l’inquiètent aucunement.
Les tensions se sont exacerbées au Cachemire sous contrôle indien depuis que New Delhi a imposé, en août 2019, son autorité directe sur le territoire. Ce changement constitutionnel a donné le droit aux Indiens résidents et extérieurs au Cachemire d’acheter des terres et de postuler pour des emplois locaux. Pour les Cachemiris, cet afflux de touristes constitue l’ultime insulte.
« La promotion du tourisme est une bonne chose, mais elle s’accompagne d’une sorte de triomphalisme nationaliste », observe auprès de l’AFP un important commerçant du Cachemire, ayant requis l’anonymat de crainte de représailles.
« C’est la guerre menée par des moyens alternatifs », ajoute-t-il, « la façon dont le tourisme est promu par le gouvernement dit aux Indiens: +allez passer du temps là-bas et appropriez-vous le Cachemire+ ». Les tentatives périodiques de relancer le marché du tourisme avaient jusque-là échoué, avec trois soulèvements populaires entre 2008 et 2016 ayant fait plus de 300 morts parmi les civils.
Les autorités courtisent à présent aussi les investisseurs, appelés à y construire 20.000 chambres d’hôtel pour élargir le parc de 50.000 chambres que le territoire compte déjà. Elles ont en outre assoupli la politique d’accueil chez l’habitant pour encourager les résidents à recevoir des touristes.
Sarmad Hafeez, secrétaire chargé du tourisme dans le gouvernement local, a déclaré à l’AFP que le budget pour promouvoir le tourisme avait « quadruplé » ces
L’économie dépérit
« Nous avons changé les vieilles perceptions du Cachemire », dit-il, « les événements ont envoyé un message clair: on peut voyager en toute sécurité au Cachemire ». La volonté de l’Inde d’ouvrir le Cachemire au tourisme contraste avec le reste de l’économie du territoire. Des restrictions drastiques de la vie civique et l’intensification de la campagne anti-insurrectionnelle ont étouffé les entreprises locales.
Le gouvernement a également supprimé les barrières fiscales qui avaient contribué à protéger la production locale de la concurrence extérieure. « C’est le dernier clou dans le cercueil de notre industrie manufacturière », regrette auprès de l’AFP Shahid Kamili, président de la Fédération de la Chambre de commerce et d’industrie du Cachemire (FCIK). La production industrielle représente 15% de l’activité économique locale, selon les données de la FCIK, trois fois plus que les chiffres les plus optimistes pour le secteur du tourisme. Mais 350.000 ouvriers ont perdu leur emploi depuis la révocation de l’autonomie de la région, a déclaré M. Kamili.
Le potentiel de croissance du tourisme reste entravé par les tensions et le mécontentement à l’égard de la domination indienne. Certains visiteurs sont déconcertés par la forte présence sécuritaire, à l’instar de ce touriste venu du Bengale occidental qui s’interroge : « Si le Cachemire fait partie de l’Inde, alors pourquoi tant de forces de sécurité partout ? ».
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