Changement de vie: tout quitter pour partir créer des écolodges en Tanzanie
Aujourd’hui vouée à l’aménagement de ses écolodges pas comme les autres, la Belgo-Canadienne Véronique Alost a tout plaqué il y a vingt ans pour s’installer au «pays de tous les possibles». Dans cette Tanzanie préservée, où la nature, splendide, garde ses droits.
«Enfin chez moi!», soupire Véronique Alost, émue de poser ses valises devant un coquet bungalow niché dans une jungle luxuriante. Nous sommes au cœur de l’Afrique de l’Est, à quelques kilomètres du célébrissime cratère du Ngorongoro, l’une des réserves animalières les plus visitées de Tanzanie. C’est ici que tout a commencé pour cette Belgo-Canadienne, il y a vingt ans. Et que sa vie a pris un tournant qui la lie pour toujours à l’Afrique.
Deuxième vie, deuxième patrie
Rien à voir cependant avec la romancière Karen Blixen, l’inspiratrice du mythique Out of Africa. Nous ne sommes pas dans une ferme, mais dans un écolodge de charme où Véronique a ses quartiers six mois par an. Bashay Lodge.
«C’est ma base, mon home sweet home, l’endroit d’où je rayonne dans tout le pays chaque fois que je travaille en Tanzanie», explique-t-elle en nous guidant à travers des lieux chaleureux et décorés sans luxe ostentatoire mais avec un soin apporté à chaque objet, chaque décor, chaque tissu, chaque aménagement.
Sa griffe. Celle d’une femme de goût devenue décoratrice d’hôtels en Tanzanie presque par hasard. D’une femme inspirée par l’amour des beaux objets – de préférence de seconde main.
Une quête obsessionnelle
Née d’un père belge et d’une maman québécoise partis vivre au Canada, Véronique Alost quitte très jeune la Belgique pour étudier en Italie, d’abord à l’Académie des beaux-arts de Bologne «pour apprendre l’italien», ensuite à la prestigieuse Accademia di Moda e Costume de Rome.
«Une formation de styliste à la base. Mais je me suis vite rendu compte que j’étais surtout attirée par les costumes et accessoires de théâtre ou de mode. La quête de l’objet qui ajoute une touche d’originalité à l’habit ou au décor, c’est ce que j’aime par-dessus tout.»
Et ce qui l’amène très vite à fréquenter assidûment les brocantes, magasins de seconde main et autres Petits Riens. «C’est devenu un peu obsessionnel», confesse-t-elle.
Revenue en Belgique, elle épouse Michel Binon, un juriste spécialisé en droit international. Elle trouve un travail d’accessoiriste de défilés et photos de mode. Puis refait ses valises pour suivre son mari à Genève, où elle est engagée dans un cabinet d’architecture. «Je mettais les plans au net, je suivais les chantiers… J’ai appris sur le tas.» Une nouvelle corde à son arc qui lui servira beaucoup par la suite.
Après la Suisse, l’Argentine. Le BIT envoie le couple à Buenos Aires où ils passeront «trois ans à beaucoup voyager dans les pays voisins» et où naîtra la première de leurs deux filles.
Trois années, puis retour en Belgique où Véronique décroche un job au festival du cinéma italien puis à ceux de Namur et du Film d’Amour de Mons. Tout cela l’aide à tricoter la pelote qu’elle déroulera naturellement quelques années plus tard, lorsque la vie lui offrira un autre tournant. Cette fois plus radical.
10 écolodges plus tard en Tanzanie
«En 2002, en rentrant un soir à la maison, je tombe sur un fax qui annonce le recrutement de Michel par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda basé à Arusha, en Tanzanie. En un week-end, notre décision est prise.
Michel est parti en juillet, nous l’avons rejoint fin août, les filles sont entrées à l’école internationale, elles ont un peu souffert au début.» Ça passe heureusement très vite. La famille s’offre un premier safari, découvre la plage et tout le monde est d’accord: «Quel magnifique pays!»
Arusha, capitale du nord de la Tanzanie proche de la frontière kényane et située au pied du Kilimandjaro, le toit de l’Afrique avec ses neiges éternelles, concentre à l’époque une importante communauté d’expatriés.
Très vite, Véronique rencontre Denis Lebouteux, un ancien pilote d’Air France qui organise des safaris dans le pays. Elle lui offre ses services, il lui propose d’accompagner un groupe de clients VIP avec lui pour la tester. Bingo! Elle est dans son élément.
«Je suis devenue accompagnatrice dans son agence où je donnais également des cours de français aux guides locaux. Denis nourrissait alors le projet de construire ses propres lodges pour être plus indépendant et pouvoir élaborer son propre circuit.
On lui avait parlé du terrain de Bashay, au sommet d’une colline en bordure du Ngorongoro. Un jour, il me dit: «Je n’y connais rien en hôtellerie mais j’ai l’endroit et le constructeur. Si tu es partante, on y va!» Voilà comment l’aventure a commencé. Vingt ans plus tard, on construit notre dixième lodge, qui sera inauguré le 24 juin.»
Un bâton dans le sable
Baptisée Tanganyika Expéditions, la petite structure a grandi et fait aujourd’hui partie de celles qui comptent en Tanzanie. «Au point d’être souvent sollicitée par les autorités en charge de la gestion des parcs nationaux lorsqu’elles ont un terrain à proposer en concession et veulent un projet respectueux de son environnement.»
Voilà bien ce qui caractérise les lodges construits par Denis, Véronique et Udo (le «constructeur» allemand de l’équipe): leur parfaite intégration à la nature sauvage et préservée. Et, plus largement, leur action en faveur du tourisme durable. Le trio y met un point d’honneur.
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Cela passe par l’utilisation de véhicules de safari 100% électriques (les premiers du genre en Tanzanie), la production d’énergie photovoltaïque, la récupération des eaux de pluie pour couvrir une grande partie des besoins et, surtout, la gestion intégrale des lodges et de l’administration centrale par des nationaux.
«Tous les managers sont Tanzaniens et non Kényans, Sud-Africains ou Européens, comme souvent ailleurs, confirme Véronique Alost. Denis croit beaucoup à la jeune génération et chaque fois que s’ouvre une promotion, on cherche en interne parmi les jeunes qui travaillent avec nous. Ils ont le futur entre leurs mains.»
Décoration, aménagement, gestion du personnel ou des stocks… D’année en année, son rôle à elle s’étoffe.
«Udo gère la construction des lodges, au feeling, sans plans ou en les dessinant avec un bâton dans le sable, moi j’imagine les espaces, l’aménagement, la décoration avec une liberté totale.» La première fois, Véronique est partie faire de gros achats de meubles et d’équipements en Afrique du Sud et «ça a bien matché».
Mais tout ce qui peut être confié à des artisans locaux l’est en priorité, notamment les meubles et objets en bois, les tissus, etc. «Il n’y a pas grand-chose en Tanzanie mais on peut tout obtenir de ces gens qui font un travail fabuleux si on leur donne quelques idées. C’est le pays de tous les possibles. Chaque lodge est pour moi comme une maison privée.
Il n’y a ni gabarit ni chambre modèle comme dans les chaînes d’hôtels. Rien n’est formaté, on travaille en fonction du terrain, du bâtiment, de ce qu’on a à portée de main, en intégrant le plus possible la nature et les matériaux locaux (pierre, bois, paille tressée…). Il y a un fil conducteur mais après, on se débrouille avec ce qu’on trouve et quelques apports extérieurs.»
L’idée maîtresse est d’intégrer au mieux tous les éléments du relief – arbres, rochers, dénivelés… – pour que le lodge épouse la nature au plus près et la laisse reprendre rapidement ses droits. «On préfère construire autour qu’abattre un arbre!»
Au son de la savane
Beaucoup d’objets ont été dénichés par notre infatigable chineuse – y compris en Belgique – mais chacun est à sa place. L’ambiance mêle le luxe discret à la chaleur du «comme chez soi», même quand les murs des chambres sont en toile de tente.
Assez fine pour entendre tous les bruits de la savane de jour comme, surtout, de nuit. Car comment oublier qu’on vit ici, à chaque instant, des moments d’exception au cœur de la nature sauvage? Toutes les collines choisies par Denis Lebouteux offrent une vue à 360° sur les principaux parcs nationaux et aires de conservation du pays, dont les mythiques Serengeti, Tarangire, Selous et autre Ngorongoro.
On rallie ceux-ci en 4×4 à toit ouvert pour ne rater aucune rencontre animale. Qui sont incessantes. Nous sommes au pays de la grande migration des gnous, zèbres, buffles, antilopes, gazelles, éléphants, girafes…, suivis par tous leurs prédateurs à griffes et à crocs.
Chaque année, ils parcourent par centaines de milliers les plaines de Tanzanie en quête d’une herbe plus verte et d’eau plus abondante. Tout circuit dans la région se conçoit en fonction de l’abondance animale et donc des saisons.
Une vie simplifiée
A Grumeti Hills, dans le Serengeti, nous approchons la faune à pied durant toute une matinée, de l’aube au déjeuner que nous savourons en pique-niquant au bord d’une rivière, encadrés par des rangers armés. En file indienne dans les hautes herbes, à la merci d’un éventuel lion ou léopard invisible, nous vivons là ce que vivent tous les jours les Masais.
Ces pasteurs nomades ne sont plus autorisés à chasser les grands fauves, sauf pour se défendre. Mais leurs villages de huttes en torchis cernées d’un enclos de broussailles à épines, pour protéger leur bétail, parsèment encore la savane.
Du haut des collines d’Olduvai, à l’entrée du Serengeti, on peut suivre le retour des bergers au bercail dans le soleil couchant. Sanglés dans leur shuka, ce plaid en wax aux couleurs vives symbole de leur identité, ils dirigent nonchalamment leurs troupeaux de chèvres pour les ramener en sécurité. A quelques mètres, chaloupent de majestueuses girafes…
Voici l’Afrique qui a conquis le cœur de Véronique Alost, cette «femme-caméléon» – comme elle se définit elle-même – aujourd’hui partagée entre la Belgique où grandissent ses petits-enfants, La Haye où elle et son mari vivent «comme à la mer du Nord en mieux», les Laurentides (au Québec) où sa maman lui a laissé une maisonnette au bord d’un lac et la Tanzanie, où elle se sent le plus apaisée.
«La vie y est simplifiée, on n’a pas les mêmes besoins ni les mêmes attentes quand on vit en Afrique, résume-t-elle. Là-bas, on passe en mode plus zen, authentique. J’y suis beaucoup plus calme alors que tant de situations pourraient m’énerver, comme la gestion des déchets et des bouteilles en plastique… Nous avons beaucoup à apprendre des Africains sur la façon de nous comporter, le relationnel y est formidable, j’aime travailler avec eux. Mais je suis contente d’avoir toujours un pied dans chaque monde.»
En pratique
Travel Sensations organise des circuits toute l’année, en safari seul et en combinaison avec séjour sur la côte ou sur l’île tanzanienne de Zanzibar. Guides privés francophones, tarifs plus avantageux si l’on remplit un véhicule (4 ou 5 personnes) et réductions pour les moins de 12 ans. Exemples de circuits: «en famille», «en petit groupe» ou «grande migration».
Ethiopian Airlines assure des vols quotidiens au départ de Bruxelles via Addis-Abeba, dès 675 euros vers Dar-es Salaam et dès 835 euros vers Kilimandjaro Airport (Arusha).
Pour suivre la grande migration, renseignez-vous sur les régions à visiter en fonction des saisons, car les animaux bougent en quête d’eau et d’herbe grasse.
Au sud du Serengeti, de novembre à février (saison sèche et période des naissances), ils remontent vers le nord-ouest pour traverser la rivière Mara (formant la frontière avec le Kenya) vers la fin de l’été, avant de repartir vers le sud à l’automne.
La Tanzanie se visite donc toute l’année, mais il vaut mieux s’y prendre à l’avance pour réserver le bon endroit au bon moment.
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