Dans les coulisses des aéroports
Véritables petites villes très codifiées, les aéroports évoluent entre l’inexorable croissance des flots de voyageurs, la quête de rentabilité et la volonté d’offrir d’épanouissantes expériences à leurs hôtes. Une expo parisienne s’y promène. Nous y avons carrément posé nos bagages.
Lieu de transit, première étape vers l’ailleurs. Méli-mélo de passagers surexcités ou angoissés, de baroudeurs fatigués et de travailleurs, bercés par les mêmes annonces d’embarquement immédiat. Endroit de détention, de protestation, aussi, comme l’ont rappelé les réformes américaines en matière d’immigration.
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Enfin, si on le regarde bien, l’aéroport est aussi un objet d’art. Franck Bauchard est le commissaire de l’exposition Aéroports/Ville-Monde (*) qui se tient actuellement à la Gaîté Lyrique, à Paris, et qui présente les réflexions d’artistes contemporains. Selon lui, la stricte définition de » lieu de passage » est bien trop courte : » Ce sont les banlieues d’une ville invisible à travers laquelle nous nous déplaçons sans jamais en sortir. Une métropole virtuelle où nous sommes partout et nulle part. Ce sont les métaphores accentuées de notre société mobile, globalisée, connectée et normalisée. Des laboratoires de la vie contemporaine qui expriment la vie de demain. »
Univers en expansion
Parmi les enjeux à venir pour ces aérogares, il y a l’augmentation du nombre de vols et de passagers. » D’après les prévisions, le nombre d’avions va doubler dans les vingt prochaines années, annonce Vincente Padilla, ingénieur chez Aertec, entreprise spécialisée dans l’aéronautique qui possède une centaine d’aéroports internationaux parmi ses clients. Cette évolution est constante et elle est supérieure à la croissance économique mondiale. Les gens voyagent de plus en plus. Nous avons vécu une révolution et une explosion des chiffres avec les vols low cost. »
C’est pour répondre à cette nécessité d’expansion que l’ingénieur a travaillé sur le nouveau terminal de Charleroi, inauguré en décembre dernier et qui permettra d’accueillir jusqu’à dix millions de passagers par an.
A hauteur de voyageur, ils peuvent apparaître comme d’immenses étendues nues prêtes à nous avaler. Vus par leurs concepteurs, ils sont des bâtiments dans lesquels chaque mètre carré compte. » Nous avons toujours des luttes entre ingénieur et architecte, entre la recherche de fonctionnalité et la nécessité de confort du passager. Il faut trouver l’équilibre. Dans les contre-exemples, il y a Charles de Gaulle, à Paris : un très beau bâtiment, mais qui n’est pas fonctionnel « , note le responsable Aertec. De son côté, Lionel Caio, architecte qui a participé à la conception du T2 carolo, confirme : » Nous devons calculer toutes les surfaces pour que le confort des passagers soit optimal. »
La peur du labyrinthe
Le confort ? Une classification est proposée par l’IATA (International Air Transport Association) et se base sur des données chiffrées d’espace disponible par voyageur. Mais cette notion reste subjective et les moyens mis en oeuvre pour favoriser ce » confort » sont très variés. Certains optent pour des vastes espaces de loisirs, des zones de siestes et autres dîners gastronomiques.
A Charleroi, on a surtout misé sur la diminution du stress lié à la peur de rater son vol. » Nous avons conçu une aérogare très directe. Enregistrement, sécurité, porte d’embarquement : tout est accessible très facilement et rapidement, détaille Lionel Caio. Avec les nouvelles technologies, on demande au passager d’être de plus en plus autonome dans l’enregistrement et les différentes étapes, il faut donc être d’autant plus clair pour limiter l’angoisse, et éviter de faire comme ces terminaux qui ressemblent à des labyrinthes. »
Résultat : un choix de couleurs apaisantes pour la signalétique, ou de la lumière naturelle au point de contrôle. Tout, jusqu’à l’alignement des sièges dans les zones d’embarquement et la forme longitudinale du bâtiment, a été pensé pour offrir une compréhension maximale du trajet à effectuer, depuis le check-in jusqu’à son siège.
Réalité virtuelle
» C’est un lieu de l’extrême. On est très proche d’une réalité virtuelle, explique Andrea Urlberger, qui a coordonné l’ouvrage Habiter les aéroports (MétisPresses). On ne sait plus ce qui est physique, virtuel, comment la mobilité s’incarne. L’anthropologue Marc Augé disait que ce sont des non-lieux. Nathalie Roseau, docteur en urbanisme, l’a contredit. Mais, s’il n’y a pas une architecture entièrement générique, on peut partir d’un aéroport construit par Piano pour atterrir dans un autre aéroport construit par Piano. Le rapport territorial est bouleversé. »
De son côté, Fanchon Bonnefois, architecte d’intérieur, met en avant un problème d’échelle : » Souvent, l’architecture se veut monumentale, car l’aérogare est le symbole de la richesse du pays, la porte d’entrée tournée vers le futur. Mais à l’intérieur, on se retrouve avec un espace très vaste et quelques petits points qui correspondent au parcours protocolaire que l’usager est obligé d’emprunter. La liberté dans la conception du bâtiment tranche avec les contraintes à l’intérieur, liées à ce trajet. »
Quête d’intimité
Sans se connaître, les deux expertes se rejoignent dans une réflexion autour de l’intime. » Dans les workshops que j’ai organisés, avec des étudiants et des artistes, cette question est souvent revenue. Ils construisaient des boîtes, creusaient des tunnels… « , résume Andrea Urlberger.
De son côté, Fanchon Bonnefois a conçu, avec Camille Demouge, un projet nommé Sexcloud. Cette relecture de la zone internationale veut offrir une alternative à ce que l’architecte qualifie de » parcours Ikea de la zone aéroportuaire, où l’on pousse à la consommation « .
A la place de l’orgie consumériste, accentuée par un besoin de rentabiliser l’infrastructure à l’heure des billets à prix plancher, les jeunes femmes ont dessiné un lieu qui favoriserait rencontre et… sexualité. » Nous avons surtout travaillé en termes d’ambiances, car plus que le mobilier, ce sont des éléments comme la luminosité qui sont essentiels au bien-être. Nous renversons les codes pour mettre l’espace au profit de l’individu qui va être isolé et être amené à s’abandonner petit à petit en évoluant dans différentes zones. Il n’y a pas d’obligation d’avoir des rapports sexuels, il est surtout question de faire monter le désir et l’abandon. »
Un chemin vers l’envol qui vient se poser comme une réflexion utopique, au sommet d’un mouvement bien réel de réhumanisation d’un endroit conçu pour les masses et les machines. La tendance à l’individualisation de l’expérience s’ancre entre le développement constant des services des salons payants ou offerts à certains passagers par les compagnies aériennes – les fameux » lounges » sont de plus en plus étoffés -, la construction de zones dédiées à la relaxation (manucure, sièges massants, etc.) dans certains terminaux et simplement la mise à disposition de sièges plus vastes en complément des classiques rangées d’assises pensées pour une foule de voyageurs. Quelque part, villes-mondes ou pas, les aéroports semblent soumis au même tiraillement entre quête de rentabilité et voeu de bien-être que le reste de l’univers…
(*) Aéroports/Ville-Monde, Gaîté Lyrique, 3, rue Papin, à 75003 Paris. gaite-lyrique.net p>
Jusqu’au 21 mai prochain. p>
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