De Chicago à Los Angeles: un train à grande ivresse
Il faut 43 heures et des poussières pour relier Chicago à Los Angeles par la voie des rails. Une épopée pleine de surprises à travers huit Etats, qu’on vous raconte en détails à la veille d’une élection qui agite l’Oncle Sam.
Selon l’écrivain américain Eric Weiner, on distingue quatre types de voyageurs sur les itinéraires longue distance de l’Amtrak: ceux qui ont beaucoup de temps pour eux, ceux qui ont peur de l’avion, les fanatiques du train et les chrétiens mennonites rigoristes. Selon lui, la décision la plus rationnelle serait de ne pas se lancer dans de tels périples, ni en termes de temps, ni en termes de prix. L’empreinte carbone, par contre, peut peser dans la balance.
Nous avons le temps car nous sommes en vacances, nous n’aimons pas trop l’avion, et nous adorons l’idée d’un voyage en train à travers les Etats-Unis. Notre choix s’est porté sur le Southwest Chief, l’un des Superliners de l’Amtrak, un train à deux étages qui rejoint Los Angeles depuis Chicago en 43 heures, pour un trajet de 3.654 kilomètres.
Comparée à l’Europe, l’étendue du réseau ferroviaire américain est très restreinte. La gare d’Ann Arbor, Michigan, par exemple, est un bâtiment préfabriqué sans âme, avec un seul quai et une voie unique. Avec ses 120.000 habitants et ses 50.000 étudiants, Ann Arbor est pourtant comparable à une ville belge comme Louvain. Or, les bons jours, six trains sont censés la desservir (trois dans chaque sens), et bien souvent, il n’y en a que quatre.
Jour 1 : De l’Illinois au Kansas en passant par l’Iowa et le Missouri
Nous embarquons à l’Union Station de Chicago, une gare impressionnante qui a ouvert ses portes en 1925, à une époque où les trains n’étaient guère concurrencés par les voitures et encore moins par les avions. C’était aussi l’époque où les wagons renfermaient de somptueux salons où des repas raffinés étaient servis aux familles aisées qui, accompagnées de leur personnel, se rendaient dans leurs lieux de villégiature.
Dans le lounge, nous attendons d’embarquer avec un grand groupe de mennonites. Les femmes avec leur bonnet blanc sur la tête et leurs vêtements longs; les hommes avec leur barbe, leurs pantalons à l’ancienne et leurs bretelles. Ils semblent faire partie du décor dans ce bâtiment historique qui nous renvoie un tableau empreint d’une étrange nostalgie.
Le Southwest Chief s’ébranle, et lentement, la ligne d’horizon de Chicago et les banlieues moroses s’effacent, remplacées par des champs verdoyants à perte de vue. On nous présente Chuck, notre chef de train, qui maîtrise l’interphone mieux que personne et qui a raté une carrière d’humoriste. «Vous serez bientôt invités à dîner avec d’autres personnes – nous ne disposons que des tables de quatre – et vous rencontrerez peut-être votre futur ex. Alors rangez votre téléphone et parlez aux autres. Demandez-leur leur couleur préférée. Demandez-leur pour qui ils vont voter. Ah non, sorry, pas de politique!»
En fin d’après-midi, nous traversons le Mississippi en empruntant l’historique Fort Madison Toll Bridge de 1881, un pont à deux étages. Chuck nous parle longuement de l’ingéniosité derrière cette construction. Nous nous arrêtons brièvement à Fort Madison, la seule gare où nous faisons escale dans l’Iowa. Ici aussi, un groupe de mennonites est prêt à embarquer. Les membres de cette communauté ne voyagent pas en avion et empruntent souvent le Southwest Chief pour rendre visite à leur famille, ou gagner le Mexique pour des soins médicaux.
De l’Iowa, nous partons pour le Missouri, en nous dégourdissant les jambes sur le quai de Kansas City lors d’un changement de personnel.
Jour 2 : Kansas, Colorado, Nouveau-Mexique, Arizona
Nous nous réveillons au Kansas, où le soleil matinal donne à la prairie un éclat doré. Comme l’a dit l’écrivain Eric Weiner, un voyage en train à travers les Etats-Unis est le moyen le plus rapide de ralentir le temps. Après une courte nuit – pas simple de dormir quand le train klaxonne à chaque passage à niveau – Chicago nous semble déjà si loin.
Nous partageons la table du petit-déjeuner avec Rick et Jess, un couple sur le chemin du retour. Des gens très gentils qui racontent des histoires hautes en couleur sur leur vie complexe. La paix qu’ils ont trouvée dans les montagnes autour de Las Vegas, au Nouveau-Mexique, a été perturbée ces dernières années par le changement climatique. Dans leur voiture, ils ont une valise contenant ce qu’ils jugent important, pour le jour où ils devront à nouveau fuir les flammes.
Plus loin, est assis un couple bruyant dont la femme porte un tee-shirt sur lequel on peut lire «Biden is not my president». On aurait adoré papoter avec elle, mais l’occasion ne se présentera pas…
De retour dans notre Roomette, notre ange gardien et hôtesse Cynthia a déjà transformé les lits dans lesquels nous avons dormi en deux sièges. Il faut bien se connaître pour partager un espace si minuscule, et ceux qui dorment sur la couchette du haut doivent être agiles pour entrer et sortir. Le lit du bas dispose d’une fenêtre. Regarder défiler la nuit et apercevoir des lumières ici et là a quelque chose de méditatif, surtout au rythme du train.
Mais le matin est déjà là, et aujourd’hui, les plus beaux paysages nous attendent. Nous arrivons au Colorado, et nous nous installons dans la voiture d’observation, avec les sièges tournés vers les grandes baies vitrées. Pour la plupart des voyageurs, le passage du Colorado au Nouveau-Mexique par le col de Raton est le point culminant de l’itinéraire du Southwest Chief, avec ses pentes abruptes et ses vues à couper le souffle.
Alors que le train prend lentement de l’altitude, nous nous imaginons dans un western. Au Nouveau-Mexique, nous admirons pendant des heures les paysages désertiques et les vastes plaines qui s’étendent devant nous. La terre rouge, les formations rocheuses immenses et les arbres solitaires imposent le silence.
Nouveau changement de personnel à Albuquerque. Nous en profitons pour faire une escale dans un petit supermarché. Dans certaines gares, le passage d’un train fait un peu penser à l’accostage d’un bateau de croisière. Ici, sur le quai, des échoppes vendent des souvenirs et de l’art amérindien. Avant même que nous quittions la gare, les étals sont démontés jusqu’à l’arrivée du prochain convoi, le lendemain.
La rareté des trains de passagers dans un pays pourtant si vaste est parfaitement liée à la genèse de l’Amtrak. Alors que dans la plupart des pays, le transport de passagers est considéré comme une tâche gouvernementale, ce n’était pas le cas aux Etats-Unis, et l’initiative privée était insuffisante. L’Amtrak a été créée en 1971, sous la présidence de Nixon, mais le gouvernement fédéral ne disposait que d’un financement minimal. L’aviation et les autoroutes avaient la priorité (et bien plus de moyens), si bien que l’Amtrak n’a jamais pu rivaliser avec les autres moyens de transport… jusqu’à ce que le récent plan d’infrastructure fédéral de l’administration Biden lui donne enfin le budget nécessaire à l’expansion et à l’amélioration de son réseau.
En Arizona, la nuit tombe et il fait vite sombre. Les canyons et le parc national de la forêt pétrifiée nous manquent déjà, mais nous sommes bien décidés à nous rattraper sur le chemin du retour.
Jour 3: Californie, hello Los Angeles!
Au réveil, il fait encore nuit, mais Google Maps nous indique que nous sommes arrivées en Californie. Après les heures qui s’étirent, place à la vitesse. Un petit-déjeuner rapide et nous voilà déjà dans la banlieue de Los Angeles et ses nombreuses tentes de sans-abri sous les ponts où nous passons. Lorsque la silhouette du centre-ville approche, Chuck reprend la parole et pointe du doigt les rives de la L.A. River. «Vous vous souvenez de la scène de poursuite dans Grease? C’était juste ici!»
Débarquer dans la Cité des Anges en train a quelque chose de spécial. Après la chaleur humide du Midwest (il faisait 32°C lorsque nous avons quitté Chicago), la chaleur sèche de la Californie arrive comme un soulagement. La gare est superbe, mélange de style colonial espagnol et d’Art déco. Après avoir récupéré nos sacs, nous attrapons un taxi afin de poursuivre notre aventure ailleurs et autrement… mais toujours en prenant le temps.
En pratique. Nous avons voyagé avec l’Amtrak de Chicago à Los Angeles à bord du Southwest Chief, en réservant une Roomette, une minuscule chambre pour une ou deux personnes. Les sièges confortables se transforment en lits superposés le soir, avec un lit étroit en haut et un lit plus confortable en bas. Le prix comprend le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. La nourriture et le service sont tout à fait corrects. Nous avons payé 500 dollars par personne pour le voyage aller – comme souvent, il est plus économique de réserver tôt.
Sur le site Web de l’Amtrak, vous trouverez des infos sur tous les itinéraires, les forfaits tout compris (par exemple, les trajets vers les parcs nationaux) et les «rail pass» (qui permettent de visiter dix gares en trente jours).
amtrak.com
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