De la Bretagne à Téhéran… à vélo
Dans un joli roman graphique, Isabel Del Real dessine son escapade depuis sa Bretagne natale jusqu’en Iran. Sur deux roues. Pendant 15 000 km. Et la plupart du temps en solitaire, même si les rencontres ont joué leur (beau) rôle dans l’aventure.
Le départ est donné le 18 février 2021, alors que le Covid est en train de mettre des bâtons dans les roues de tous les voyageurs du globe. Isabel s’en moque. Ou plutôt, elle a justement la bougeotte. Elle veut partir loin et longtemps, se perdre dans la nature et les montagnes. Voyager l’esprit léger, sans agenda ni planning. Ses études de Sciences-Po sont derrière elle, et elle vient de travailler six mois dans des hôpitaux de Paris en pleine effervescence. Elle a 23 ans, elle aime beaucoup la Bretagne où elle est née, mais le monde lui fait de l’œil. Son idée: aller tranquillement jusqu’à Téhéran – son père et une amie à elle lui ont dit que c’était magnifique. Un brin trop enthousiaste, elle songe d’abord à faire le voyage… à pieds. Un peu long, quand même, après réflexion. Le vélo s’impose alors à son esprit, mais à l’époque, c’est un objet de convoitise qui vit la plus mémorable rupture de stock de son histoire. Isabel décide alors de construire l’engin elle-même et, avec des amis, elle récupère des pièces à gauche à droite pour façonner le vélo idéal. Le reste? Du matériel de camping glané au fil de ses escapades précédentes en Italie, en Corse ou dans les Pyrénées. Il ne faut pas grand-chose: une tente, un matelas, un réchaud et quelques bricoles. Elle connaît tout ça par cœur. Elle n’a juste pas encore la moindre idée de ce que cette incroyable aventure lui réserve, mais c’est justement cette belle incertitude qui la guide…
De l’Atlantique à la Toscane
«J’ai longé l’Atlantique, traversé les Pyrénées et des déserts. Je fais du camping sauvage, je me sens seule mais ça me va très bien. A Saragosse, dans la province d’Aragon, j’en ai profité pour aller dire bonjour à ma grand-mère. L’idée était de me poser ici ou là, et prendre le temps de peindre quand mon état d’esprit s’y prêtait. J’ai adoré Cadaqués, sur la Costa Brava, un village rempli de petites maisons blanches où Dali avait une demeure. Ici, sur le dessin, je suis en bivouac dans le désert de Los Monegros. Plus tard, j’ai mis mon vélo sur un bateau pour aller de Barcelone à Rome. Puis je suis remontée vers la Toscane, où je me souviens d’une super soirée avec Mihaela et Michele, qui m’ont invitée à manger des délicieuses pizzas, puis à passer la nuit chez eux. Ma promenade avec un ami italien dans une Venise désertée à cause du virus reste aussi un souvenir assez fou…»
Tirana, la beauté du chaos
«En Croatie, avec mon ami Sebastiano, j’ai acheté mon premier leporello, un carnet qui se déplie comme un accordéon. C’est précisément à Dubrovnik que je me suis dit que mes aquarelles de voyage pourraient un jour former une histoire. Je suis restée une journée entière à la terrasse d’un café, à observer les gens qui traversaient la ville, à écouter des podcasts ou les hirondelles, et à dessiner jusqu’au coucher du soleil. Après, la route jusqu’au Caucase a été brûlante. Tirana? C’est la ville chaotique par excellence, avec des klaxons, des fils électriques, des glaciers, des cafés… Et des voitures rutilantes partout: je crois d’ailleurs qu’il y a plus de car-washs que d’habitants! Mais j’ai adoré ça. Comme mon vélo avait un souci, j’ai traversé toute la ville pour chercher une pièce de rechange pour mon dérailleur… que je trouverai finalement en Macédoine du Nord.»
Somptueuse Istanbul
«La mosquée bleue de Sainte-Sophie est un monument incroyable. J’en avais une grande attente, et je n’ai pas été déçue. La bâtiment a été construit au fil des années, avec ses contreforts ajoutés sur d’autres contreforts, ses structures imbriquées, ses couleurs, ses crépis… Je suis revenue tous les soirs pour ausculter ses moindres recoins, tellement j’étais fascinée par sa forme désarticulée. Istanbul, c’est aussi le souvenir d’une super rencontre avec Louis. J’avais décidé de prendre le temps dans cette ville, de boire du jus d’orange frais sur les terrasses et d’appeler mes amis. Puis, un jour, j’ai repéré ce jeune homme sur un banc: il était blond, donc il venait forcément d’ailleurs, comme moi. Je me suis dit «Si on prend le même bateau, j’irai lui parler… Ce qui est arrivé. On est devenus des compagnons de route presque inséparables jusque Téhéran. En Géorgie, non loin de la frontière arménienne, on a un jour été accueillis par Zina qui, face à la pluie incessante, nous a offert les clés de sa cabane. Sur le petit poêle à bois, on a cuisiné un risotto avec les figues du jardin. Pour faire passer le temps, on dessinait, et quand on a montré le résultat aux propriétaires, ils ont beaucoup rigolé en apercevant leur nain de jardin encadré.»
Les toits de Téhéran
«Parfois, c’est épuisant, il fait glacial, le vélo est abîmé ou mes proches me manquent. Mais ce n’est rien à côté de tous les bons moments qui prennent toujours le dessus. Et je peux vous dire que les ciels étoilés au coin du feu, après une journée sur les graviers ou dans les montagnes, on ne s’en lasse jamais. En Arménie, j’ai vu les lumières changer à l’approche de l’hiver, modifiant petit à petit la couleur des fruits sur les étals en bord de route. Puis la fin du voyage est arrivée. Je ne vais pas m’attarder sur la situation actuelle de l’Iran. Moi, j’en garde des beaux souvenirs. Ce dessin de la place Tajrish, je l’ai fait alors que j’étais à Téhéran depuis environ une semaine. J’habitais chez une amie qui, un jour, m’a emmenée sur un rooftop qui m’a offert une vue incroyable sur cette place célèbre pour son bazar traditionnel, mais aussi sur cet impressionnant panorama de toits bleus. On est alors en décembre 2021, et ça fait déjà dix mois que je suis partie…»
Isabel Del Real en bref
– Naît en 1997 à San Francisco, d’une mère bretonne et d’un père espagnol.
– Grandit à Plouër-sur-Rance, en Bretagne.
– Etudie les sciences politiques à Paris, puis le droit aux Etats-Unis.
– S’en va pour un tour d’Europe à vélo en février 2021.
– Publie Plouheran, à vélo de Bretagne à Téhéran en mai 2023.
Instagram: @plouheran
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