Destination la Champagne, terre de bulles mais pas seulement
Il n’y a pas que le vin qui pétille en Champagne. Si la Marne est connue pour ses villes-phares Reims et Epernay, le département aubois n’est pas en reste avec ses paysages bucoliques, son riche patrimoine historique, ses cités médiévales… et ses illustres résidents.
La scène évoque un dimanche d’été à la campagne, où trois personnages joyeux s’égayent dans une nature couleur de blé, écrasée de soleil. Chemin montant dans les hautes herbes est l’un des chefs-d’oeuvres impressionnistes de Pierre-Auguste Renoir, peint en 1876 dans le petit village d’Essoyes, au sud de la Champagne. Aline, sa femme et la mère de ses trois enfants, en était originaire. La famille vécut là tous ses étés pendant trente ans et le couple y repose depuis tout juste un siècle: Renoir est décédé en 1919, à Cagnes-sur-Mer pour être précis, mais sa dépouille a rejoint celle de son épouse dans le cimetière du hameau, devenu lieu de pèlerinage.
Aux confins de la Champagne et de la Bourgogne, Essoyes pointe son remarquable clocher sur la Côte des Bar, le plus méridional des quatre grands vignobles autorisés à produire le roi des vins effervescents (avec la Montagne de Reims, la Vallée de la Marne et la Côte des Blancs). C’est donc tout naturellement que le centre culturel « Du côté des Renoir » a choisi d’associer dix nectars du cru à autant de toiles du maître, en guise d’hommage à l’approche du centenaire de sa disparition.
Chemin montant… a trouvé son binôme naturel: l’exceptionnelle cuvée Solera Réserve de la maison R. Dumont & Fils, un assemblage de multiples millésimes d’une grande complexité qui évolue tout au long de la dégustation. Une « cuvée perpétuelle dont on ne prélève chaque année qu’une partie avant de la remplacer par le vin clair de la nouvelle vendange », nous explique la viticultrice Delphine Semin-Dumont. Une véritable immersion dans les saveurs et les arômes, avec une robe jaune doré comme les couleurs ensoleillées du paysage sublimé par le peintre.
Slow oenotourisme
Thierry Mercuzot, adjoint au maire, viticulteur et propriétaire avec son épouse Karine d’un bel hôtel-restaurant sur les hauteurs du village (Les Demoiselles), nous fait les honneurs du pays qui l’a vu naître. Un « parcours Renoir » invite à découvrir Essoyes et les sites emblématiques où l’illustre résident se plaisait à peindre au grand jour. Plusieurs oeuvres sont reproduites le long de la promenade, qui conduit à la maison familiale transformée en musée. On y découvre les lieux où vécurent le couple et leurs enfants Jean (le cinéaste), Pierre (l’acteur) et Claude (le céramiste), l’atelier du peintre au fond du jardin où poussaient quelques vignes, la véranda où se succédaient les célébrités. De nombreuses photos d’époque complètent l’exposition, qui accueille régulièrement une oeuvre originale prêtée par l’une ou l’autre institution.
La promenade s’égare ensuite dans le vignoble vallonné typique de la Côte des Bar, où de petits récoltants produisent tout de même le quart des bouteilles vendues chaque année dans le monde. En vallée de l’Ource, la rivière qui traverse Essoyes, le paysage alterne entre forêts touffues, coteaux ensoleillés et rivières fraîches. Une « route touristique du champagne » balise 220 km d’itinéraire où il fait bon troquer la voiture pour le vélo électrique et visiter tantôt un bourg médiéval comme Bar-sur-Seine, tantôt la cave de l’un des quarante-sept vignerons labellisés « Vignobles et Découvertes ». Dont les dix associés à Renoir.
Chez les Dumont, à Champignol, la jeune garde prend le relais pour passer en biodynamie, sous la houlette de Laurent (le fils) et Delphine (sa femme). Et proposer un « oenotourisme écocréatif » au coeur d’un vignoble labellisé Natura 2000, où survivent une faune et une flore exceptionnelles. A tester absolument: un pique-nique au coeur des vignes ou une soirée dédiée à la truffe, l’autre passion de Delphine qui se développe au coeur d’une petite structure joliment baptisée L’empreinte des fées. C’est pour aider au développement d’activités similaires sur son territoire que le département de l’Aube a créé voici deux ans le Slow Tourism Lab, premier incubateur de France dédié au tourisme rural. Une quinzaine de nouvelles initiatives sont soutenues chaque année.
Un coeur en bouchon
A un jet de roche calcaire, souvent éclipsée par ses voisines Reims et Epernay, la ville de Troyes est la capitale historique de la Champagne. Mais aussi, grâce à une restauration menée grand train ces quinze dernières années par son indéboulonnable maire François Baroin, sa cité la plus rayonnante. Si elle n’abrite pas les plus grandes maisons de champagne, elle offre bien d’autres atouts.
« Si Paris a la forme d’un coeur, Troyes a celle d’un bouchon de champagne », affirme-t-on ici en déroulant le plan de la vieille ville. Il faut se perdre dans le dédale des ruelles pavées et bordées d’une collection de maisons à pans de bois (dites aussi à colombages) à faire pâlir l’Alsace et la Normandie réunies. On en compte plus de 2.400 dans le centre et la plupart sont habitées. Si leurs planchers chancellent, les maisons datant du haut Moyen Age et de la Renaissance n’en ont pas moins été superbement restaurées, souvent par des artisans-compagnons du tour de France – sachant que Troyes est le berceau du compagnonnage, qui y conserve une belle vigueur et donne à la ville son cachet unique. Un musée en retrace toute l’histoire.
On connaît aussi sa célèbre cathédrale gothique à une seule tour, construite en 400 ans (!) et qui sonne encore toute les heures. Mais c’est un ensemble de dix églises anciennes – une pour 6.000 habitants – qui rivalisent d’atours et possèdent la plus vaste collection de vitraux en France datant du XIIIe au XVIIe siècles. La cathédrale en compte plus de 1.500 m², tandis que la splendide Sainte-Madeleine, à l’aube de son millénaire, expose des fenêtres peintes d’une rare finesse à hauteur d’homme, ce qui permet de les admirer en détails. Sans parler de son incroyable jubé de pierre richement sculpté. Troyes mérite largement son surnom de « ville sainte du vitrail ». Un musée en parlera bientôt plus longuement.
On s’attarde encore autour des quais de la Seine de cette « petite Venise » et ceux de son canal creusé par Napoléon, devenus aujourd’hui le lieu de promenade préféré des habitants qui convergent volontiers vers le Coeur de Troyes, une sculpture en dentelle d’Inox illuminée la nuit et posée en son centre précis. Ou dans les travées de son marché des Halles, classé monument historique, pour y dénicher les meilleurs produits du terroir. Dont la célèbre andouillette, inévitable spécialité du cru.
Sous les pavés, les caves
Pour l’arroser, retour aux sources du vin pétillant découvert au XVIe siècle par un moine de l’abbaye d’Hautvillers, le cellérier Dom Pérignon. Sur les hauteurs d’Epernay, on traverse les coteaux historiques de la Champagne à bord de l’Impériale de Marie-Antoinette, un bus à deux étages qui propose visites et dégustations à travers le vignoble. L’abbaye ne se visite plus depuis qu’elle est devenue la propriété de Moët & Chandon. Alors on l’admire de loin en flânant dans le village, avec vue plongeante sur la Marne et l’autoproclamée capitale du (vin de) champagne.
Avec ceux de l’AOC, les coteaux d’Epernay, sa célébrissime avenue de Champagne et les 100 km de caves creusées dans la craie sous ses pavés sont inscrits au patrimoine mondial de l’humanité. On s’offre une vue sur le vignoble, la ville et ses prestigieux hôtels particuliers depuis la nacelle du ballon captif qui emporte le public dans les airs, une coupe à la main. Avant de redescendre sous terre pour explorer les boyaux où reposent des millions de bouteilles estampillées Boizel, Mercier, Perrier-Jouët, Moët & Chandon, de Venoge et tant d’autres.
Coup de coeur pour l’un des pionniers de la biodynamie dans l’appellation: récemment rachetée par un couple d’esthètes américains (également propriétaire du Royal-Champagne, seul hôtel 5-étoiles de la région), la maison Leclerc-Briant produit des nectars bio depuis 1962! Sous l’impulsion de son nouvel oenologue Hervé Jestin, l’élaboration du champagne verse aujourd’hui dans l’ésotérisme, voire l’alchimie. Respect du nombre d’or pour la conception des cuves, attention constante à l’influence du soleil et de la lune sur la fermentation, liaison à la terre pour protéger les vins des ondes électromagnétiques… La cuvée Abyss a carrément bénéficié d’un affinage sous-marin d’un an par 60 m de fond au large de la Bretagne, où se croisent les courants de la Manche et de l’Atlantique. Une autre est élevée dans trois contenants différents: une cuve Inox couverte d’une pellicule d’or pour le cosmique, un oeuf en terre cuite pour le tellurique et un fût de chêne pour relier les deux… Il n’y a décidément pas que le vin qui pétille en Champagne.
Deux événements annuels à ne pas manquer
A Epernay, l’avenue de Champagne s’illumine en décembre pour son festival des Habits de Lumière. Parades spectaculaires, créations artistiques, vidéo mapping et feux d’artifices s’invitent sur l’artère mythique. De jour comme de nuit, ateliers culinaires et dégustations de champagne s’offrent à quelque 50 000 visiteurs, grands et petits. Et dix chefs issus des plus belles tables du coin concocteront pour le public leurs meilleures recettes accordées à des crus sélectionnés par dix maisons de champagne.
www.habitsdelumiere.epernay.fr Du 13 au 15 décembre prochain.A Troyes, c’est le festival des Nuits de Champagne qui invite en octobre les plus grandes voix pour » un voyage en chansons dans un univers inspiré de répertoires croisés et intergénérationnels « . Zazie, Véronique Sanson, Maxime Le Forestier, Obispo, Souchon & Voulzy ont été conviés lors des éditions précédentes de cet événement qui se répand » hors les murs « , dans les bars, les rues, les transports en commun. Le tout dans une démarche écoresponsable.
www.nuitsdechampagne.comA défaut de pouvoir visiter l’abbaye d’Hautvillers où serait né le champagne, un crochet s’impose par celle de Clairvaux, qui fut au Moyen Age l’abbaye cistercienne la plus influente. Devenue la plus grande prison de France après la Révolution et son acquisition par Napoléon, elle retrouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse tout en conservant sa double identité… jusqu’au transfert prochain des derniers prisonniers.
www.abbayedeclairvaux.comSe logerA Troyes. Au coeur du « bouchon », dans une ruelle pavée bordée de maisons à pans de bois, Cécile a donné une âme au Clos Guivet, l’ancienne demeure du colonel Driant, surnommé le « Jules Verne militaire » pour ses romans signés Capitaine Danrit. Accueil à la hauteur du charme des lieux.
www.leclosguivet.frA Epernay. Sur la mythique avenue de Champagne, la maison Leclerc-Briant a transformé ce splendide hôtel de maître en espace « vente & dégustation » et en maison d’hôtes de grand standing, sous le label 25bis. Luxe, calme et volupté.
www.le25bis.comA Essoyes. Au coeur du vignoble et de la route touristique du champagne, l’hôtel Les Demoiselles surplombe le village tant aimé des Renoir. Accueil sympathique et atmosphère chaleureuse.
www.les-demoiselles-essoyes.frSe restaurerA Epernay. Un bar à champagne, une table authentique, un chef aux accents du Sud résolument tourné vers la spécialité locale et les accords mets-vin… La Cave à champagne est idéale pour un moment agréable et gourmand.
Tél.: +33 3 26 55 50 70.A Troyes. Dans le centre historique, Chez Daniel’s propose une cuisine raffinée où se mêlent des influences champenoises et provençales, avec un choix méticuleux de petits fournisseurs passionnés. Si l’andouillette de Troyes vous tente, c’est l’occasion ou jamais.
www.chezdaniels.comVous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici