Esch-sur-Alzette : Wild wild Esch et Capitale européenne de la culture
En 2022, Esch-sur-Alzette est Capitale européenne de la culture, avec Novi Sad en Serbie et Kaunas en Lituanie. La deuxième ville du Luxembourg arbore ainsi sa diversité, ses terres rouges, son passé fait de hauts fourneaux et son avenir « remix culture ».
Personne ne venait à Esch-sur-Alzette. Enfin, personne c’est un grand mot mais qui aurait songé à s’aventurer jusqu’à ce cul-de-sac luxembourgeois qui bute sur la frontière française? Même les Eschois.e.s le pensaient très fort et le disaient parfois tout haut. Même les trois friches industrielles se contentaient d’afficher leur statut de no-go zone. Et même la rivière du cru n’en mène pas large, n’osant surtout pas traverser la petite ville à ciel ouvert. Et puis l’Europe a accordé à la ville le titre de Capitale culturelle pour l’année 2022. Histoire d’enfin lui donner une identité et une visibilité aux yeux de ses 36 000 habitants, des autres Luxembourgeois, surtout ceux de la capitale à 15 km à vol d’oiseau qui la méprisent en douce, et du restant des Européens qui ignorent tout d’elle. Ce coin oublié du monde, ce presque no man’s land, qui jusqu’alors ne semblait bon qu’à être traversé par les vacanciers en direction du Sud, ce pays des Terres Rouges vaut donc le détour. On s’est dit chiche, allons-y de ce pas, avant l’inauguration officielle du 26 février et la grande fête populaire qui y mettra le feu.
On accoste à Esch-sur-Alzette presque forcément en bout de course, par l’autoroute A4, qui se termine soudain au rond-point d’Emmerich, à l’intersection avec la route nationale 31 – on comprend pourquoi on l’appelle tout bêtement l’autoroute d’Esch. Dans la brume épaisse et humide, parce qu’il y en avait ce soir-là, on tombe sur le site de Belval et sa Cité des Sciences, de la Recherche et de l’Innovation, comme sortie de terre et d’un imaginaire volontiers cinématographique, quelque part entre Brazil et Metropolis. En guise de décor de bienvenue, un immense parking flambant neuf, quasi désert, une gare du même acabit sur un territoire longiligne concédé par la France et la Rockhal bien connue de celles et ceux qui aiment les concerts. Il faut s’aventurer sur la Terrasse des Hauts Fourneaux, le nom sert de carte d’identité. Soudain, on tombe nez à nez avec une silhouette presque effrayante, dramatique, qui culmine à 90 mètres de hauteur et résume à la perfection le patrimoine industriel de ce bout du monde. Tentant d’atteindre le ciel sombre, une cheminée de briques rouges et un imbroglio de cowpers, trémies, escaliers, plates-formes métalliques – une structure d’un autre temps à la chromie dictée par le minerai de fer qui gorge la terre indigène. Jusqu’en 1997, des hommes et des machines produisaient de la fonte liquide dans ces cathédrales de feu qui donnaient alors leurs pulsations à des vies dédiées à la sidérurgie lourde, âpre et dure. C’est une relique. Un paysage, a fortiori un bassin minier, porte en lui les traces de son histoire, il n’est pas question d’en faire table rase. Car Esch2022 s’enracine dans son passé pour mieux rebattre les cartes, avec un leitmotiv: « Remix Culture », puisque « la culture, au sens large du mot, est ce qui nous définit en tant qu’êtres humains ». Dixit Françoise Poos, directrice de la programmation culturelle de cette année du renouveau, animée par la volonté de « célébrer l’histoire d’une région transfrontalière située au coeur de l’Europe et raconter son évolution de l’ère industrielle à la société du savoir et son potentiel d’avenir à l’ère numérique ». Sur le terrain, cela donne un foisonnement de projets (160!), menés par un ensemble de 18 communes luxembourgeoises et françaises réunies autour d’Esch-sur-Alzette.
Nos 5 incontournables 1–La Möllerei
A l’ouest des hauts fourneaux, sur le site de Belval, la Möllerei est encore en travaux de ripolinage, mais sera prête pour l’ouverture d’Esch2022. Autrefois, ce long bâtiment industriel servait au mélange et au stockage du minerai de fer et du coke. Une moitié, désormais, accueille la Maison du livre, soit la bibliothèque universitaire ouverte à tous, dessinée par Valentiny hvp architects, dans le respect de l’enveloppe originelle et revêtue de verre sérigraphié qui poétiquement rappelle la poussière et la suie d’avant. L’autre moitié étale son espace grandiose brut de décoffrage. L’art contemporain y habite, sans que jamais les oeuvres ne luttent contre lui, pareil à « un lieu de dialogue sur l’avenir ». C’est le pari d’Ars Electronica qui entend « mettre l’accent sur le potentiel de la pensée créative dans la recherche scientifique et la production industrielle ». L’art et la science au service de « solutions innovantes, durables, éthiques aux luttes et aux problèmes des sociétés contemporaines ». On n’aura plus peur de demain en choisissant l’immersion dans le travail de quelque septante artistes du XXIe siècle s’emparant des questions qui nous traversent et inventent un futur moins désespérant.
2–Dormir insolite
Selon son envie du moment, dictée par la météo ou l’énergie des lieux, sur le Minett Trail, on pourra choisir de dormir dans une ancienne maison ouvrière à Lasauvage, dans un wagon abandonné du site ferroviaire au Fond-de-Gras, dans une petite tour à l’entrée du Parc Merveilleux à Bettembourg, dans les cabanons en bois de Mondercange, dans une maison flottante subaquatique sur un étang à Dudelange ou dans un ancien réservoir d’eau à Schifflange. On pourra aussi pousser jusqu’à la rue de l’église, à Clemency, et choisir l’une des cinq chambres du Château, anno 1635, ex-ruine revisitée par Pascal Zimmer, collectionneur-chineur qui a sauvé son âme. Ambiance Belle Epoque, Sherlock Holmes ou Hommage aux travailleurs de la sidérurgie, faites de beaux rêves.
3–Le sentier de Little Utah
On peut prendre de la hauteur, même si l’on a les pieds dans cette terre couleur martienne, gorgée de minette, l’autre nom du minerai de fer. Entre Esch, Kayl et Schifflange, on laisse derrière soi la montée du cimetière et le stade Jean Jacoby, un début de sentier serpente quand, au détour d’un petit bouquet d’arbres, l’horizon s’offre à vous, avec en ligne de mire le site de Belval et le Zolwerknapp qui culmine à 422 mètres. On est sur le Minett Trail – officiellement inscrit depuis 2020 au programme de l’Unesco « L’Homme et la Biosphère » -, soit trois sentiers qui s’étendent sur plus de 90 km à travers le sud du pays et qui relient les onze communes luxembourgeoises d’Esch2022. Dans cette réserve naturelle de Brucherbierg-Lalléngerbierg, on se promène à pied, à vélo, en VTT. La nature a pleinement repris ses droits sur cette ancienne exploitation minière à ciel ouvert, terreau fertile aux orchidées. Les chauve-souris s’y trouvent bien, nichant dans les puits abandonnés par l’industrie minière et des centaines d’espèces de papillons y vaquent à leurs occupations. On se croirait presque ailleurs, quelque part dans le Wild Wild West, ce n’est pas pour rien que les gens du coin lui ont donné le surnom de Little Utah. Et les vététistes en ont fait leur eldorado: une piste de 36,5 kilomètres et des pentes rocheuses de cinq mètres de hauteur en pierre rouge feu, ça ressemble à un rêve d’aventurier.
4–La Kulturfabrik
Plus intimement, les Eschois l’appellent la Kufa. C’est un lieu repeint de rose qui donne envie d’y rester pour refaire le monde au bar Ratelach, ou si le temps est de la partie, en terrasse, dans sa cour pour y boire une bière bien fraîche et bien entendu luxembourgeoise. L’ancien abattoir municipal a belle allure, il y reste certes des vestiges très XIXe siècle qui ont vu défiler les animaux en partance pour la boucherie – les abreuvoirs, les crochets à carcasse, les rails inusités depuis 1979. Mais par-dessus est venu s’inscrire un projet mené tambour battant par les jeunes du coin, obédience punk, rock, qui s’y installèrent au début des années 80 en un acte militant. Les comédiens du Theather GmbH prirent alors possession de l’endroit, transformant l’entrepôt frigorifique en salle de répétition et de spectacle. Depuis, les arts vivants, concerts et conférences font vibrer la Kufa, devenue très officiellement Centre culturel fin 1996 – on y a notamment vu et entendu Typh Barrow, Queens of the Stone Age ou BRNS. Pour l’heure, dans la Squatfabrik, les artistes en résidence créent librement, recherches et expérimentations sont évidemment les bienvenues. Mais la Kufa, adossée à la friche d’Esch-Schifflange et celles de Lentille Terres-Rouges, n’oublie jamais d’où elle vient: si elle agit intra-muros, elle repousse également les murs et repense les liens entre les habitant.e.s et ce petit monde artistique foisonnant. De ce centre névralgique de la création, on part donc se balader dans la ville, à la découverte de la cinquantaine de fresques urbaines parfois participatives, signées par les plus grands du genre, qui colorent audacieusement les rues, les ponts et même la gare comme une porte ouverte vers l’ailleurs. Rien à envier à New York, capitale du street art.
5–Remix Culture avec Lucoda
Puisqu’il s’agit de remixer la culture, les artistes prouvent encore une fois qu’ils sont les premiers à faire fi des frontières. Ainsi est né Lucoda, un collectif de danse basé au Luxembourg autour d’un noyau de treize danseurs et danseuses, chorégraphes et professeurs de danse, du hip-hop à la salsa, ancrés dans ce territoire qui n’a pas toujours cru dans l’art des corps dansants. Rhiannon Morgan en est la cofondatrice, avec Giovanni Zazzera. Elle sait que le plus bel atout de la danse est son absence de barrière linguistique, seuls comptent le geste et le mouvement, directement traduisibles parce qu’ils vous sautent aux yeux et à la gorge, l’air de ne pas y toucher. Elle a grandi au Luxembourg, fut formée à Londres et est toujours bouleversée par Pina Bausch. Avec ce collectif, elle a la belle ambition de « sortir du contexte traditionnel » et de ses « zones de confort », de « faire découvrir la danse à des gens qui ne la connaissent pas », bref, de « faire vivre » tout cela. Voilà pourquoi Lucoda peaufine des performances in situ, de la danse dans les arrêts de bus TICE, à portée de main des navetteurs, et des workshops qui se termineront en beauté par Le grand bal en octobre prochain, avec les membres des clubs de badminton, de karaté et les mamys de la chorale. En parallèle, le collectif travaille ferme sur The Visit, un court-métrage où se mêleront danse et cinéma pour « mettre en lumière les différents lieux géographiques du sud du Luxembourg » et Choreochroma, une « expérience multidimensionnelle, performance chorégraphique sensorielle, auditive et visuelle », en collaboration avec la ville serbe de Novi Sad, l’une des deux autres Capitales européennes de la culture. Le pitch? « Mettez dans un musée deux chorégraphes, un danseur, un peintre, deux vidéastes et laissez infuser ». A découvrir en juillet, au Plancher des Coulées, à Belval. Stay tuned.
En pratique
–Se renseigner
Actualités et agenda complet: esch2022. lu/fr/
–Y aller
En voiture, Esch-sur-Alzette se trouve à environ 2h30 de Bruxelles.
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