Et si on apprenait à mieux écouter les paysages qui nous entourent?
A l’ère d’Instagram, les images nous happent désormais plus que les sons. Et sans nous en rendre compte, nous sommes devenus moins attentifs au chant des oiseaux ou au silence de la forêt. Pourtant, l’ouïe fait partie de l’expérience du voyage… Pour profiter de la richesse de ces murmures de la planète, il suffit de réapprendre à tendre l’oreille.
Certaines sonorités sont intimement liées à nos souvenirs de vacances. Ce peut-être le chant des oiseaux au réveil dans une maison de campagne. Le fracas des vagues qui s’écrasent sur la côte. Le murmure d’une balade en forêt. Le tintement des cloches qui ornent le cou des brebis dans les alpages. Ces bruits qui nous entourent font partie intégrante de l’expérience du voyageur. Y prêter attention, c’est s’offrir une épopée multisensorielle, être totalement présent dans l’environnement où l’on évolue. A l’instar de la vue – les paysages que l’on découvre -, du goût – les mets que l’on déguste – ou l’odorat – les effluves de l’herbe fraîchement coupée, des épices sur un marché, des embruns iodés… -, l’ouïe est un sens nécessaire pour appréhender un lieu.
Journaliste à Radio Canada, Catherine Lefebvre a souvent raconté à l’antenne ses escapades aux quatre coins du monde. Mais quelque chose lui manquait. « Je me suis rendu compte que nous oublions trop souvent l’environnement sonore d’un endroit », explique-t-elle sur son site. Elle a donc eu l’idée de créer Sounds Like, un podcast qui emmène l’auditeur à la rencontre de villes ou pays, entre silences et brouhahas. Une balade auditive et immersive dans les rues d’Essaouira, Paris, Istanbul, New York ou Moshi au pied du Kilimandjaro. Les yeux fermés, on se laisse porter par l’effervescence du souk de Marrakech, les notes d’un concert de jazz improvisé sur une artère de Big Apple, le calme de la vallée péruvienne de Lares… Chaque épisode offre un aperçu global de la destination destiné aux oreilles. Parfois on comprend ce qui se passe, d’autres fois non. Ce n’est pas grave, car l’essentiel est de faire place à l’imagination. « Ce projet a été créé pour aider les gens à voyager différemment, à imaginer ou se souvenir d’un lieu à travers ses sons au lieu de photos, de vidéos ou de descriptions écrites détaillées », écrit Catherine Lefebvre.
Invitation à la méditation
Le ronronnement du monde est également au coeur du projet d’Ari A. Cohen, producteur et réalisateur du podcast Paysages sonores de la nature canadienne. Sa compagnie de production Rotating Planet est spécialisée dans la création de documentaires animaliers. Approché par Audible pour initier un podcast, il a alors l’idée d’abandonner l’image, au centre de ses documentaires, pour proposer des circuits dédiés à l’ouïe. « Dans les films animaliers, le son est souvent relégué au second plan. Nous avons voulu le remettre au centre car un bon son est tout aussi puissant que la vue d’un paysage », justifie-t-il. Ses équipes ont capté l’environnement de huit régions à travers le Canada, de l’île de Terre-Neuve au parc national de Jasper, en passant par le parc provincial Algonquin en Ontario. Ces enregistrements ont donné naissance à huit épisodes de trente minutes. « Chaque territoire a des sons particuliers, qui lui sont propres. Nous avons voulu les rendre audibles. »
Etre conscient de ces différentes sonorités nous amène à être plus présent au monde dans lequel nous évoluons.
Au Québec, dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, on peut ainsi entendre le chant des rorquals à bosse pendant que les bélugas bavardent. Dans le parc national de Jasper, au coeur de la chaîne alpine des Rocheuses, le bourdonnement du colibri résonne au-dessus des eaux émeraude des lacs d’altitude. Sur l’île de Terre-Neuve, on plonge dans l’océan Atlantique avec la bruyante colonie de fous de Bassans, le plus gros oiseau marin au monde. Les espèces croisées au fil du podcast font chacune l’objet d’une description narrative, apportant une dimension scientifique au projet. « Nous avons travaillé avec des naturalistes capables d’identifier les animaux que l’on entend sur la bande », détaille le concepteur qui insiste sur sa dimension méditative. « On prête souvent peu d’attention aux sons qui nous entourent alors qu’ils permettent de ressentir autrement le territoire. D’une manière plus intense, plus profonde. » Le podcast invite l’auditeur à écouter tous les bruits, individuellement: ceux des animaux comme les éléments naturels tels que le vent, l’eau, le feu, les feuilles des arbres, la glace qui se craquèle… « Etre conscient de ces différentes sonorités nous amène à être plus présent au monde dans lequel nous évoluons. C’est aussi réaliser l’incroyable biodiversité de la nature, qui témoigne d’une planète en bonne santé. »
Parfum d’enfance
Pour son podcast, Ari A. Cohen a fait appel à des équipes spécialisées dans l’enregistrement en milieu difficile. « Elles sont allées dans des zones très reculées, peu accessibles », ce qui fait la richesse des documents rapportés. De plus, le montage réalisé offre un condensé incroyable des sons qui existent dans la nature. « En se baladant trente minutes sur ces territoires nous ne pourrions jamais entendre tout cela en même temps. » En l’occurrence, six mois de tournage ont été nécessaires pour la réalisation des épisodes. Néanmoins, le Canadien nous invite à faire l’expérience de l’écoute en pleine nature par nous-même. « Le plus important, c’est de prendre son temps. L’idéal est de s’asseoir et d’être patient pour laisser les sons venir à soi. Apprendre à les isoler, à écouter ceux qui sont près, mais aussi au loin. »
Cette patience, Marc Namblard l’a acquise grâce à sa profession d’audio-naturaliste. Installé en Lorraine, aux confins des Vosges, il collabore avec des musiciens, réalisateurs et musées. Sa pratique est au centre du documentaire L’Esprit des lieux, lauréat du festival Les Etoiles de la Scam 2019, et consiste à capturer les chuchotements de la nature à l’aide de micros et enregistreurs. Dans le podcast Les Baladeurs, produit par le magazine Les Others, il raconte avoir commencé à enregistrer dans son enfance, lors de vacances en famille dans les Cévennes. « En randonnée, je captais les bruits de pas, les pierres qui roulent, les orages, les insectes. J’étais particulièrement attiré par le chant étonnant du criquet bariolé. Comme un jouet mécanique que l’on remonte. » Sa passion pour l’audio lui vient de son père: « Il collectait des ambiances de nos vacances en famille, posant son micro dans la maison ou le jardin. » Aujourd’hui, c’est à ses filles qu’il transmet cet amour. Dans sa série audio, on le voit accompagné de son aînée, poser un micro sous la glace. « On entend ses craquements sous le poids de la neige », dit-il en lui tendant le casque. Toute son attention, toutes ses pensées, tous ses sens sont en éveil et convergent vers la captation. « Je ne pense à rien à ce moment-là, je suis saisi par les émotions », raconte-t-il.
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Bain de forêt
Pour en faire l’expérience soi-même, le Timber Festival propose, à tous, d’écouter les forêts. Créé en 2018 en Grande-Bretagne, le « festival international des forêts » (dont l’édition 2021 se tiendra du 2 au 4 juillet) dessine un trait d’union entre art et nature, et invite à se reconnecter aux forêts à travers des balades, ateliers et conférences. Sur son site, l’équipe a mis en ligne une « sound map », une carte sonore unique recensant les enregistrements forestiers à travers le monde. On peut ainsi écouter l’ambiance de la réserve naturelle Thousand Lakes en Californie, la réserve naturelle écologique Augusto Ruschi au Brésil, la réserve nationale Masai Mara au Kenya, ou encore la forêt Chernyavsky en Russie. Plus près de nous, on peut également y entendre le bruissement de la forêt de Soignes à Auderghem, le bois de la Houssière à Braine-le-Comte, ou le plateau des Tailles à Houffalize. Les oiseaux y occupent une place de premier plan.
L’arrivée du confinement a d’ailleurs déclenché chez beaucoup d’entre nous une passion pour ces derniers. Leur chant, jusqu’alors dilué dans nos environnements urbanisés, nous parvenait de nouveau à l’oreille – le bruit des voitures, des avions, toute cette pollution sonore liée à l’anthropisation, ayant soudain disparu. Mais d’autres n’ont pas attendu ce huis-clos pour innover afin de mieux capter ces gazouillements naturels. C’est le cas du naturaliste Alain Malengreau, installé à Harchies, qui a mis au point une parabole d’un nouveau genre, capable de capter et amplifier le chant des oiseaux. A travers les marais qui bordent la commune hennuyère, il propose des balades guidées par les vocalises des espèces qui les peuplent. De quoi s’immerger autrement et toujours plus profondément dans cette bavarde nature qui nous entoure.
Pour s’immerger
A écouter (en podcast)
Sounds Like, par Catherine Lefebvre sur soundslikepodcast.com
Paysages sonores de la nature canadienne, par Ari A. Cohen sur Audible
Les Baladeurs, par Les Others (épisode n°20, L’écho des alpages avec Marc Namblard) sur Audible et Spotify
Sound Map Sounds of the Forest sur timberfestival.org.uk
A regarder (sur YouTube)
L’Esprit des lieux, de Stéphane Manchematin et Serge Steyer, Les Films de la Pluie
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A faire (au grand air)
Ateliers d’écoute, balades sonores et ateliers techniques d’enregistrement avec Marc Namblard en Lorraine (marcnamblard.fr)
Balades pour écouter les oiseaux avec Alain Malengreau à Harchies (réservation: ornitho@skynet.be)
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