Expédition dans nos belles forêts d’Ardenne: un week-end au fond des bois
L’immersion est salvatrice. Le temps d’un week-end, gagner les bois et les contreforts de l’Ardenne, entrer sans effraction dans le monde végétal, loin des hommes, puis se poser au bord de l’étang de Virelles, à l’affût de son monde sauvage. Et vouloir très fort y prendre racine.
L’idée est simple: gagner la forêt, de préférence peu fréquentée – ça nous changera du Bois de la Cambre. Un rapide coup d’oeil sur la carte du plat pays qui ne l’est pas tant, le choix se fait évidence: là où tout semble vert, où quelques grands massifs constituent le prolongement ouest des forêts ardennaises, où l’on s’enorgueillit d’être la région la moins densément peuplée de Belgique, avec la farouche volonté de protéger ce calme. Choisir comme point de départ un village qui fait clairière au coeur du Parc Naturel Viroin-Hermeton, Oignies-en-Thiérache, 50° 1′ Nord, 4° 38′ Est. Comme on est parti pour un week-end nature, on n’est pas là pour rencontrer ses 850 habitants.
De toute façon, le Sur Le Pouce est fermé, pas une âme qui vive, mis à part ces deux marcheuses venues de Flandre qui ont entamé le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle il y a sept jours, une coquille accrochée à leur barda faisant foi. Elles portent des jambières de Nylon, on songe dans la pluie battante qu’on aurait dû y penser. A notre décharge, on va moins loin puisqu’on se contente joyeusement de faire une boucle dans cette forêt qui nous tend les bras. On sait que « Le chemin rend heureux ». Autrement dit, et en toutes circonstances, le corps étant toujours en avance sur la pensée, la marche permet aisément de lutter contre les tourments et de plonger presque instantanément dans l’enchantement. Nul besoin d’aller dans la jungle amazonienne, ça commence ici, à 365 mètres d’altitude, entre la vallée du Viroin et le petit Ry d’Alise qui forme une frontière naturelle avec la France.
Mélodie de bruits
On emprunte la rue de l’Ardoisière, tout ici parle d’histoire et de racines, Oignies-en-Thiérache fut un temps surnommé le village des veuves car les carrières de schistes, les ardoisières et leurs poussières dévorèrent les poumons de leurs hommes. Mais on a décidé de laisser la civilisation derrière soi, on entre donc dans la forêt communale de Viroinval, parc naturel depuis 1998. Quelques sapins accueillent le randonneur, bien vite rétamés par des peuplements de feuillus, chênes, charmes et bouleaux à foison. Le printemps a quinze jours de retard, au moins, il n’empêche, on dirait que tout est peint, tout est oint de vert tendre. Le chemin débouche sur un portail incongru, avec vue sur le village de Le Mesnil et son église. On s’enfonce sur un tapis de feuilles d’automne qui n’ont pas encore disparu formant un ruban roux et mat qui contraste avec la luminosité presque fluorescente du feuillage. Au lieu-dit Le Risque Tout, on bascule vers la Vallée de la Meuse, La France s’étale en contrebas, on s’émerveille de tant de silence – du moins d’absence de bruits humains, pour le reste, symphonie, les oiseaux chanteurs font leur job, les branches grincent gentiment et la pluie, par intermittence, tambourine sur la cape et le capuchon qu’il eut été intelligent d’imperméabiliser au préalable. On contourne le Trou du Diable qui porte bien son nom – en août 1914, sous une chaleur caniculaire, 94 soldats, 72 Français et 22 Allemands, y périrent dans une bataille dont seuls les hommes ont le secret. On préfère laisser là la furie des guerres pour mieux s’arrêter sur les crêtes – ça vallonne, ça s’encaisse, ça s’ouvre sur l’horizon, ça sent l’herbe mouillée, avec en notes de coeur de l’humus prometteur, à nos pieds, la Vallée du Ry d’Alise. On contemple. Puis on redescend et l’on pile sur une route, à gauche la France, à droite la Belgique, le goudron qui relie Fumay à Oignies, un panneau légende le paysage « Pays des Vallées, Vallées des Eaux Vives » tandis que le ruisseau se prend pour un torrent de montagne et qu’un scarabée bousier a décidé de traverser la route à son rythme.
Sur un arbre, un panneau plastifié prévient le promeneur attentif qui comprend soudain son imprudente erreur: « Journées de chasse, approche-affût du 1er au 30 mai, entre 6 et 9 h et 17 et 22 h ». On est dans la mauvaise tranche horaire, on compte sur l’acuité visuelle des tireurs de gibiers, on n’a de toute manière pas l’air d’une petite biche. Fort heureusement, les seuls chasseurs qu’on croisera, dûment camouflés, auront déposé les armes à la terrasse de l’écocamp Cabania, l’heure de l’apéro ayant visiblement pris le pas sur celle de la battue. Sauvés la petite biche, les grands cerfs, les mouflons et tous les lapins de Viroinval. Et comme on mérite une récompense pour cette rando avec détours qui avoisine les 18 km, il n’y a aucune raison de s’interdire une Dame Bibiche, « bière artisanale de caractère » de la brasserie des Eaux Vives, avec ce qu’il faut de houblon à ancrage local, voire en plus une Bichette à la franche amertume médaillée d’or au Concours international de Lyon 2021, ça vous assoit une réputation.
L’appel du lac
A une petite trentaine de kilomètres de là, on l’aurait bien fait à pied si on avait le temps, l’étang de Virelles est un magnifique terrain de jeu et d’observation. Depuis 1985, il porte le titre de réserve naturelle et depuis 2004, s’est doté de l’Aquascope, un pari ambitieux cumulant avec bonheur tourisme, protection de la nature, éducation et sensibilisation. Sur la terrasse qui surplombe ses eaux peu profondes, un mètre cinquante, vase comprise, Anne Sansdrap dresse le portrait de ce lieu conçu par les hommes où la nature a retrouvé tous ses droits. Elle le connaît comme sa poche, jeune diplômée en agronomie, sylviculture et environnement, cette « fille de Meuse » y a travaillé quatre ans comme stagiaire, c’était en 1991. Depuis, elle est chargée de promotion de l’Aquascope de Virelles, on n’aurait pas pu rêver meilleur guide. D’emblée, elle évoque les golden sixties et les seventies prédatrices, les rives bétonnées, les barques et les pédalos, les vacanciers en goguette, les pêcheurs du dimanche, les cinq pensions de famille de la rue du Lac, les herbicides déversés dans les eaux poissonneuses pour éradiquer les roseaux trop envahissants au goût des plaisanciers. Elle retrace en amont la ligne du temps de cet étang vieux de plus de 500 ans, qui s’étale sur 500 mètres de largeur et 1,5 kilomètre de longueur, 80 hectares d’eau concentrée ici artificiellement pour les besoins de la métallurgie, les forges en avaient alors un impérieux besoin. Dix ruisseaux l’alimentent, lui qui tranquillement se jette dans l’Eau Blanche.
Désormais seule sa rive sud est accessible au grand public, le reste, sanctuarisé, forme des zones de quiétude pour la faune et la flore indigènes. Car voici venu le temps du tourisme écoresponsable. Et de l’émerveillement. Il suffit de laisser place à l’observation aux vertus souveraines, si proche de la méditation. Le peuple des oiseaux migrateurs fait halte à Virelles. « Nous sommes les seuls en Wallonie à avoir des cigognes à l’état sauvage, qui nichent et élèvent leurs petits chez nous », dit-elle pas peu fière. Car depuis 2015, au milieu de l’étang sur un îlot protégé, un couple s’y trouve à son aise, revient chaque année, travaille à upgrader son nid, y pond trois ou quatre oeufs, les couve, prend soin de sa nichée et chasse les autres cigognes qui auraient l’intention de nidifier un peu trop près. Sur le peuplier mort de la rive nord, un autre couple s’est installé ce printemps, l’équipe de l’Aquascope est aux aguets, surexcitée et inquiète aussi, car un rapace, un pygargue à queue blanche, a tenté de les déloger. Résultat: ponte décalée pour cause de trop grande frayeur, on attend fébrilement que les cigogneaux pointent le bout de leur bec.
Le long des berges, une petite fauvette aquatique s’est installée discrètement pour couver entre quatre roseaux accueillants, un pouillot véloce donne de la voix, une musaraigne aquatique plonge discrètement. Ils sont tous au paradis dans ces douze hectares de roselière d’un seul tenant, à l’ouest de l’étang. C’est bien pour cette raison que, depuis vingt ans, la grande aigrette à tête blanche daigne revenir dans la région, même si personne au début n’y croyait. Pareil pour les hérons et les cormorans, qui seraient deux ou trois à nicher ici, hip hip hip hourra.
Aux petits soins
Très logiquement, le CREAVES a trouvé asile à Virelles. Geneviève Mertens, bénévole référente depuis dix ans, a tout appris sur le tas, comment soigner, et sauver si possible, oiseaux et mammifères sauvages en détresse qui trouvent refuge dans cet hôpital particulier. A défaut de reconnaître les oiseaux, on reconnait l’humour belge poético-surréaliste qui veut que les volières portent le nom de Zaventem, Bierset, Buck Danny ou Hélène Dutrieu. Elles accueillent pour l’heure deux chouettes hulottes et un Grand-Duc d’Europe qui ne vole plus guère, un écureuil véloce soigné au biberon, des moineaux prêts à partir, « on attend juste une fenêtre de beau temps pour les relâcher ». A l’intérieur, aux soins intensifs, un étourneau sansonnet juvénile tombé du nid mesure sa chance, il ouvre le bec pour le menu du jour, vers de farine et eau à la seringue, toutes les demi-heures, il a encore son duvet de nouveau-né et l’air minuscule à côté de sa voisine, une corneille d’une semaine à peine au bec translucide qui s’égosille en attendant son tour, tandis qu’un bouvreuil pivoine mâle plus discret n’en mène pas large avec son aile de travers. Il n’y a visiblement pas grand-chose à faire, si ce n’est croiser les doigts. L’infirmière-sauveuse porte un pin’s qui dit sa passion, et sa préférence à elle, le cincle plongeur au dégradé de brun et de roux paré d’un blanc pur à la gorge, au menton et à la poitrine, « on le trouve près de l’Eau Blanche, il aime les cours d’eau rapides et bien oxygénés », précise-t-elle avant de faire écouter sur son Appli ornitho son « long gazouillement de notes fluides et grinçantes ».
D’ordinaire, on ne visite pas le centre de revalidation, hormis lors d’un week-end portes ouvertes mais dans un futur proche, quand le budget sera bouclé et qu’il sera installé dans un endroit plus propice, il accueillera les visiteurs qui pourront tout observer à loisir, sans déranger ni les oiseaux ni les soigneurs. Dans la foulée, l’Aquascope ouvrira d’autres chantiers, créant ainsi un archipel de quinze îlots « pour mieux accueillir les oiseaux et les montrer, précise Anne Sansdrap. Avec de nouveaux espaces muséographiques, un réaménagement du parcours et une tour panoramique ». Rendez-vous dans deux ou trois ans pour l’inauguration, en attendant, on s’aventure dans le Jardin de Millepertuis, ravissant condensé d’ethnobotanique, où poussent, dûment étiquetées, la cardamine des prés, la chélidoine, la pensée sauvage ou l’euphorbe des bois. Cette « petite flore d’autonomie » trouve sa prolongation dans l’ouvrage pratiquo-poétique Cueillette buissonnière dans le bocage, sous-titré » Usages populaires des plantes sauvages en Thiérache – Pays de Chimay ». Il est la somme des savoirs récoltés auprès des anciens durant une année entière « pour empêcher ce patrimoine oral inestimable de tomber dans l’oubli ». Les portraits qui l’émaillent, les recettes qui le closent esquissent un paysage où les prés, les haies et les forêts avaient peu de secrets pour les humains, quand la connivence élégante était encore de mise.
Sur le sentier, une oie bernache précède les pas des promeneurs, direction l’affût « oiseaux des bois » et la Drink Station où derrière une vitre sans tain, pour peu qu’on soit silencieux et patient, on peut voir sans être vu tout ce qui picore, s’ébroue, volète, se baigne, vaque à ses occupations et porte le nom de sittelle torchepot, troglodyte mignon ou grosbec casse-noyaux. Penser à se replonger dans la lecture de Habiter en oiseau de la philosophe et psychologue Vinciane Despret. Ecouter encore Anne Sansdrap qui évoque les ciels, les crépuscules magnifiques, une première nuit dans la bulle sur le ponton non loin de l’île aux lapins, à écouter les hérons et les bernaches. Si elle s’inquiète des sécheresses répétées, des frênes centenaires qui dépérissent, des six arbres fruitiers morts, des chênes « pas brillants », elle s’émerveille encore et toujours de vivre au rythme des saisons, des migrations, de cette inoubliable aube d’octobre avec ce coucher de pleine lune sur l’étang qu’elle fut seule à contempler, elle l’avait pris comme un présent. L’attachement est viscéral. Et contagieux. La brochure annonçait « La nature comme vous ne l’avez jamais vue » – rien d’exagéré, et la guide se promettait de « sensibiliser les visiteurs » et « que chacun reparte avec un peu de Virelles en soi » – mission accomplie.
En pratique
Se renseigner
Toutes les infos pour la randonnée pédestre Le Ry d’Alise, avec brochure « 20 randonnées pédestres incontournables », carte interactive et fichier GPX à télécharger sur: visitwallonia.be/rando
Pour toute autre information sur la région: walloniebelgiquetourisme.be
Se loger
Cabania. On avait prévu d’observer les étoiles dans une géode de cet écocamp qui privilégie les logements « insolites », yourte, tipi et autres cabanes. Mais la météo en a décidé autrement. Pour le reste, il était écrit qu’on se la jouerait « roots ». Si vous avez envie de faire de même, que vous avez été scout ou toujours rêvé de l’être.
16, rue de Revin, à 5670 Oignies-en-Thiérache. cabania.eu
A faire
L’Aquascope de Virelles, « centre-nature ludique et interactif », est le lieu rêvé pour les animations pédagogiques, excursions scolaires, formations pédagogiques ou promenades découvertes. A compléter par une visite guidée de la réserve, une nuit insolite dans une bulle au bord de l’étang et une aube sauvage, au lever du jour à bord d’un canoë indien. Mieux qu’un must.
42, rue du Lac, à 6461 Virelles. aquascope.be
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