D’un côté de la montagne, scintille Samoëns, souvent cité comme l’un des villages les plus authentiques des Alpes françaises. De l’autre, s’élève le béton moderniste de Flaine, signé Marcel Breuer. Un clash architectural qui intrigue au milieu des pistes enneigées.
«Quand nous avons acheté un appartement ici il y a trente-cinq ans, mon mari et moi avons été moqués», nous affirme Mary, une Anglaise d’un certain âge à qui nous demandons notre chemin. La phrase est prononcée sur un ton impassible. Et on comprend vite qu’il ne faut pas discuter des goûts et des couleurs, mais simplement respecter le choix de Mary. Flaine est sa deuxième maison, son refuge pendant l’hiver. C’est à cette saison-là que cette station iconique – sortie de terre dans les années 1960 et 1970 – se montre sous son meilleur jour, avec ses immenses structures de béton nichées parmi les sapins sous un épais manteau de poudreuse.
Le concept nous rappelle Les Arcs, où l’architecte Charlotte Perriand travaillait à la même époque sur Arc 1600 et 1800. Une architecture moderniste pionnière, longtemps incomprise des visiteurs, mais finalement réhabilitée par le temps. Flaine, comme Arc 1600/1800, a d’ailleurs reçu récemment le label Patrimoine du XXe siècle. «Nous avons toujours trouvé l’endroit magnifique, et ces dernières années, l’admiration pour Flaine ne cesse de croître. Si vous skiez vers le bas, vous arrivez directement à Flaine Forum, le cœur battant du village. Vous verrez à quel point c’est impressionnant.»
Ambiance James Bond
Nous nous retrouvons alors plongés dans un morceau de brutalisme alpin qui titille notre curiosité d’amateurs d’architecture. Une large avenue blanche piétonne mène directement dans la capsule temporelle qu’est Flaine. Elle est exactement telle que Marcel Breuer – le créateur de la Wassily Chair et l’architecte du Whitney Museum of American Art à New York – l’avait dessinée au début des années 1960.
À droite, nous apercevons l’Aldébaran (1971), le plus grand immeuble de Flaine. Il est voisin de l’hôtel Les Lindars (1969-1970) et du Cassiopée (1969-1970), séparés par un escalier extérieur.
En plissant les yeux, nous avons l’impression d’avoir atterri dans un vieux James Bond sur fond de guerre froide. On se croirait dans « Permis de tuer ». Heureusement pour nous, les agents secrets soviétiques semblent avoir déserté les lieux.
«Chaque bâtiment a été assemblé à partir d’éléments de béton préfabriqués transportés ici», nous explique-t-on à l’office de tourisme, installé dans le Cassiopée.
La jeune employée nous tend aussitôt deux brochures. «Observez aussi la teinte du béton, très proche de celle de la roche. Toute la composition du village se fond dans le paysage naturel. Comme Avoriaz, Les Arcs et La Plagne, Flaine a été créée ex nihilo, dans l’euphorie des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, pour populariser le ski en France. L’architecture est indéniablement intéressante. Mais croyez-le ou non: il y a encore beaucoup de gens qui trouvent cela affreux.»
Terrasse suspendue
Non loin, nous commandons une pizza dans une brasserie. Notre regard balaie Flaine Forum. Nous admirons les œuvres monumentales de Picasso (Tête de Femme), Victor Vasarely (Les Trois Hexagones) et Jean Dubuffet (Le Boqueteau des 7 arbres), plantées dans la neige profonde. Mais nos yeux sont irrésistiblement attirés par l’architecture alentour. Juste en face, l’ultrabranchée chapelle œcuménique de 1973, classée Monument Historique depuis 2014, conçue par Marcel Breuer de l’extérieur à l’intérieur (autel et bancs en bois, lustre en bronze).
Une architecture moderniste pionnière, longtemps incomprise mais finalement réhabilitée par le temps.
La chapelle est encadrée par deux des bâtiments les plus emblématiques de Flaine: les hôtels Le Totem et Le Flaine, ce dernier étant le plus photographié et le plus apprécié des chefs-d’œuvre de Breuer. «Ce fut le tout premier bâtiment de la station», lisons-nous dans la brochure qui guide les skieurs et snowboarders amateurs d’architecture à travers les points forts du site.
Construit en 1968, il se distingue par sa terrasse suspendue qui surplombe vertigineusement la falaise. Un solarium qui semble défier la falaise rocheuse. Il a d’ailleurs permis à Breuer de littéralement contrecarrer les formes naturelles du relief.
Notre pizza engloutie, nous pénétrons dans l’hôtel Le Flaine avec l’espoir de visiter son intérieur, où subsistent quelques traces du passage de Breuer. Coup de chance: nous y sommes autorisés.
Un clin d’œil à Breuer
Petit détail: en 2026, cela fera exactement cinquante ans que Marcel Breuer a quitté Flaine. Son œuvre était accomplie, sa signature gravée dans le béton. S’ouvrait alors une nouvelle phase: la construction de Flaine Forêt, sur le plateau dominant Flaine Forum. Depuis, une télécabine monorail orange vif relie les deux. Un éclat de couleur dans un univers grisâtre, mais aussi un lumineux clin d’œil à Breuer.
Encore plus charmante, la Télébenne, remontée mécanique conçue par l’architecte hongro-américain. Ses cabines blanches surnommées «pots de yaourt», déposent les skieurs au cœur du vaste cirque blanc de Flaine, riche de dizaines de pistes bleues, rouges et noires. Flaine s’impose ainsi comme un pilier du domaine du Grand Massif, voisin du Mont-Blanc, qui offre 265 km de pistes (pour débutants et confirmés). Un bel équilibre entre plaisir de glisse, émerveillement visuel et… gastronomie.
Quand on plisse les yeux, on a parfois l’impression d’avoir atterri dans un vieux James Bond sur fond de guerre froide.
Car les bonnes adresses de cuisine authentique ne manquent guère. Après une journée dans le froid, on peut notamment trouver refuge chez Sabaudia. En plus d’une carte basée sur les produits de saison et des murs ornés d’œuvres d’art, l’établissement dévoile une magnifique vue sur les montagnes. Un détour s’impose également par Chez Daniel, un restaurant aussi petit que cosy où le chef maîtrise l’art des classiques: fondues, pierrades. Une vraie générosité, le tout dans une ambiance rustique à souhait.
Loup, y es-tu ?
Autre journée, autres surprises. «Des loups ont été aperçus sur les pistes hier», nous glisse notre guide. Nous prenons la remontée entre Flaine et le charmant bourg de Samoëns, plusieurs fois élu «plus beau village de Haute-Savoie» grâce à son magnifique centre médiéval. Nous scrutons en vain les forêts à la recherche des fameux loups. «L’an dernier encore, on en a photographié sur les pistes. Ils sont nombreux en Haute-Savoie. Mais bien sûr, la probabilité d’en croiser est infime.»
Nous n’y pensons pas davantage. Plus d’un mètre de neige fraîche est tombé la nuit dernière, et notre unique objectif est de dévaler un maximum de pistes. Il faut néanmoins noter que le domaine, qui vise la neutralité carbone d’ici 2030 et mène une politique zéro déchet, n’est pas uniquement voué au ski. Il a tout de la station familiale idéale, avec sa patinoire de glace naturelle, son espace aquatique (couvert) et son panel d’activités insolites – mountain kart, quad sur glace, initiation au biathlon…
Il est donc plus que probable qu’on y revienne, en espérant avoir un peu plus de chances d’y observer un loup. Et en n’oubliant pas d’aller jeter les deux yeux aux autres stations qui font la renommée du Grand Massif. Parmi lesquelles Morillon, Sixt ou Les Carroz. Avant de partir, on nous murmure que cette dernière station a abrité dès 1939 le premier téléski qui, long de 1.600 mètres, a donné ses lettres de noblesse à la région en écrivant l’un des tout premiers chapitres de l’histoire des sports d’hiver. Quelque chose nous dit qu’on a encore quelques histoires à vous raconter…
En pratique
Y aller
En voiture: Le Grand Massif se situe à environ 820 km de Bruxelles.
En avion: Brussels Airlines propose des vols Bruxelles/Genève à partir de 104 euros A/R. Depuis l’aéroport de Genève, comptez encore une heure de route.
Prix du forfait ski
59 euros la journée, 354 euros pour six jours.
À faire
Des visites architecturales sont organisées chaque jour. Plus d’infos au centre d’art, situé juste au-dessus de l’office de tourisme.
Se loger
Club Med Grand Massif Samoëns Morillon. Situé à 1.600 mètres d’altitude, sur le plateau des Saix, au-dessus de Samoëns, l’hôtel propose plus de 400 chambres design, deux restaurants, trois bars, une piscine intérieure, un spa, une salle de fitness et un mini-club. Inclus: la pension complète, le forfait et les cours de ski ou de snowboard pour tous les âges.
clubmed.be