Il était trois îles: croisière en terre créole
Dévasté par l’ouragan Irma en 2017, le nord des Antilles se refait lentement une beauté. De Saint-Martin à Saint-Barthélemy, en passant par Saint-Kitts, croisière en terre créole sur un splendide quatre-mâts tout en bois qui navigue à l’ancienne.
Beaucoup ont découvert Saint-Martin à travers de terribles images. Celles de la désolation consécutive à l’ouragan Irma qui a frappé les Caraïbes à l’automne 2017. De toutes les Antilles, c’est sans doute l’île qui a été la plus durement touchée par ce qui restera dans les annales comme le phénomène météo le plus destructeur de l’histoire récente, avec des pointes de vent jusqu’à 350 km/h. A l’époque, les clichés de maisons effondrées, d’hôtels éventrés, de villages rasés, de bateaux échoués plusieurs dizaines de mètres à l’intérieur des terres ont fait le tour du monde. Terrifiants.
Un peu plus d’un an et demi plus tard, il en reste de nombreux stigmates. Mais la vie a repris son cours, le tourisme son flux, et les habitants ont retrouvé une joie de vivre aussi légendaire que communicative. La preuve dès les premières minutes par l’hilarité de la conductrice du taxi qui nous emmène de l’aéroport au port, au rythme des embouteillages dantesques – une spécialité de l’île, dont les routes étroites et sinueuses sont encombrées en permanence. On trépigne, elle chante à tue-tête pour calmer notre impatience. » Relax, man, on est aux Caraïbes, pas la peine d’être pressé. Vous savez que les Jackson étaient ici en concert il y a quelques jours ? On vient nous voir de partout ! »
Rase-mottes beach
On atterrit sur Saint-Martin les yeux collés au hublot pour apercevoir les vacanciers allongés sur la plage de Maho Beach, célèbre pour sa situation en bout de piste de l’aéroport – les avions survolent les plagistes enchantés à quelques dizaines de mètres à peine, un must ! Nous sommes du côté batave de cette île bicéphale, partagée entre la France et les Pays-Bas depuis plus de 400 ans. La partie française forme, avec l’archipel voisin de Saint-Barthélemy, une collectivité d’outre-mer où circule l’euro et où la langue de Voltaire est en vigueur.
De l’autre côté de la frontière invisible qui coupe ces terres en deux moitiés inégales, nous sommes dans les Antilles néerlandaises, autonomes vis-à-vis de la métropole. A Sint-Maarten, on parle principalement anglais et le dollar est roi. » Nos visiteurs sont essentiellement nord-américains, confirme une responsable de l’office du tourisme à Philipsburg, la capitale. Ils trouvent ici le soleil, les plages de rêve et les activités nautiques qu’ils apprécient à 3 heures de vol de la côte est des Etats-Unis. »
Ce sont surtout les croisiéristes qui envahissent la partie néerlandaise de l’île, qui abrite aussi son seul port en eau profonde. Trois ou quatre mastodontes des mers déversent au quotidien un torrent de vacanciers d’un jour. Malgré le ralentissement du tourisme suite au passage d’Irma, Sint-Maarten en a accueilli l’an dernier près de 2 millions. Lesquels se concentrent sur les plages, dans les boutiques hors taxes et les nombreux casinos. Avant de rembarquer pour voguer vers d’autres dépenses.
C’est un fameux quatre-mâts
Le bateau qui nous attend à quai n’a heureusement rien à envier aux monstres d’acier qui lui font de l’ombre dans le port de Philipsburg. Le Star Flyer est un magnifique quatre-mâts bâti dans la plus pure tradition des grands voiliers de jadis, tout de bois, de cuivre et de cordages vêtu. Ses 115 mètres de longueur lui permettent d’accueillir 170 plaisanciers subjugués par ses lignes et son confort à l’ancienne, service en livrée compris. Et, surtout, par son gréement couvrant quelque 3 365 m2 de toile, splendide lorsqu’il se gonfle de vent.
Pour l’heure, nous mettons le cap sur les îles-soeurs de Saint-Kitts-et-Nevis, connues en français sous le nom de Saint-Christophe-et-Niévès, le plus petit Etat indépendant d’Amérique du Nord, découvert par Christophe Colomb en 1493 mais rapidement tombé aux mains des Britanniques avant de conquérir son indépendance en 1983. Nous n’y passerons que quelques heures, le temps de humer le parfum colonial qui flotte encore sur la capitale Basseterre, avec ses maisons en bois colorées à colonnades. Le temps aussi d’en apercevoir les plages splendides et, pour certaines, immaculées, qui bordent une nature restée sauvage, sinon impénétrable. Saint-Kitts est connue pour l’ambiance festive et musicale qu’elle déploie toute l’année, à l’occasion notamment de nombreux festivals.
L’île des milliardaires
Le clou de notre croisière est le vrai fleuron des îles Sous-le-Vent qu’on appelle également les » petites Antilles « . On atteint la légendaire Saint-Barthélemy le lendemain matin, toutes voiles dehors, sous un soleil caribéen. L’île des milliardaires, qui ne compte plus les célébrités propriétaires ou locataires d’une somptueuse villa bien cachée dans sa végétation foisonnante, mérite bien son surnom. Mais elle a autre chose à offrir qu’un luxe ostentatoire. Malgré l’argent qui coule à flots, on cultive volontiers une certaine simplicité à Saint-Barth’, où l’on n’affiche pas sa réussite avec la même vanité qu’à Saint-Trop’ ou au Zoute.
Bien sûr, il faut des moyens pour séjourner dans l’un de ses hôtels de charme à taille humaine – sans parler des demeures impayables. On y trouve par ailleurs toutes les griffes que compte la planète mode dans de chics boutiques aux arguments duty free qui les rendent parfois plus accessibles qu’à Londres ou à Paris. Notre plaisir s’est borné à louer un scooter à prix très raisonnable après la visite de l’indolente capitale Gustavia, pour nous offrir un tour de l’île et de ses plus beaux coins, parfaitement accessibles au grand public – pas de plage privée à Saint-Barth’. Tout en lorgnant sur les villas de rêve nichées à flanc de colline, dont on n’ose égrener la liste des propriétaires français, russes ou américains. L’un des plus célèbres y repose à jamais dans un simple cimetière ( lire par ailleurs).
De la baie de Corossol avec ses bateaux de pêche traditionnels à l’Anse-des-Cayes dont les rouleaux font le bonheur des surfeurs, en passant par la magnifique plage dite des Flamands dont on n’est pas parvenu à retracer l’origine du nom, on s’aperçoit que le paradis reste peuplé de villageois qui s’accommodent très bien de leurs riches voisins. Deux sites en particulier méritent qu’on s’y pose un plus long moment. Les anciennes salines exploitées jusque très récemment à l’est de l’île offrent un paysage désertique au coeur d’une zone davantage arrosée et donc plus verte. A l’extrémité ouest, un sentier de randonnée permet d’atteindre la magnifique réserve marine de la Pointe à Colombier et son anse de rêve où se rejoignent les plaisanciers de tous bords. Souriez, vous posez sur une carte postale.
Sauce américaine
Retour à la voile, toujours, vers Saint-Martin/Sint-Maarten pour une exploration en profondeur de ce territoire binational où se côtoient deux mondes, sans réellement s’interpénétrer. Le côté néerlandais, on l’a dit, bénéficie à la fois de la présence de l’aéroport international et du seul port en eaux profondes de l’île, ce qui le rend incontournable pour l’ensemble les visiteurs de courte ou de plus longue durée. A défaut de réel intérêt.
S’y sont surtout développés de gros resorts à l’américaine et des complexes résidentiels où le time-sharing règne en maître, animés par une vie nocturne assez intense que dominent les casinos, les bars et les boîtes de strip-tease… Si vous cherchez l’ambiance et la fiesta, welcome. Sans oublier le lèche-vitrine entre deux séances de bronzage sur de très jolies plages, certes, mais bondées. Et dont les eaux sont bruyamment envahies par les férus de sports nautiques à moteur, qui s’en donnent à coeur joie.
Amateurs de sensations fortes, ne manquez pas le Flying Dutchman, au coeur du parc d’attractions Rainforest Adventure. Inaugurée après le cyclone, la tyrolienne la plus raide du monde vous fera dévaler à près de 100 km/h le point culminant de l’île, face à un panorama à couper le souffle – si c’est encore nécessaire. On l’a testée, c’est puissamment décoiffant. A l’entrée du parc, un petit musée rend hommage à l’époque où l’esclavage faisait loi dans les Antilles. A Saint-Martin, il fut aboli vingt ans plus tôt côté français, dans les années 1860. Nombreux sont les esclaves qui tentèrent de fuir le côté hollandais en passant par ce pic. Rares sont ceux qui réussirent…
Au temps des colonies
Nettement plus calme et authentique, la partie française a su préserver son caractère antillais et de nombreux vestiges de l’époque coloniale, tant en bord de mer que dans les villages des terres montagneuses intérieures, où résident volontiers les Saint-Martinois de souche. Comme notre hôte Kate Richardson, pur produit de l’historique métissage local, qui s’exprime aussi aisément dans quatre ou cinq langues. » Il faut venir voir notre carnaval légendaire, l’un des plus spectaculaires des Caraïbes, insiste-t-elle. C’est un grand moment de ferveur populaire et d’hommage à nos traditions. »
On flâne volontiers dans les villages de Marigot, sous (ou dans) les ruines du Fort Louis, de Colombier ou de Grand-Case, où s’invite le mardi soir un imposant marché d’artisanat, dans une ambiance joyeuse et musicale. Tout Saint-Martin s’y retrouve, ou presque, et le rhum coule à flots. Dans les environs, un site archéologique assez unique baptisé Hope Estate dévoile quelques vestiges des civilisations précolombiennes qui se sont installées dans l’île il y a 2 500 ans, arrivées en pirogues depuis le continent.
Ceux qui cherchent le calme rallieront la côte est et l’immense plage de sable blanc de la baie orientale. A front de mer, beaucoup de bâtiments, hôtels, restos ou maisons particulières sont flambant neufs ou toujours en reconstruction. » Après Irma, il ne restait plus rien du restaurant, témoigne la gérante du Bikini Beach. Entièrement soufflé, comme la plupart des bâtiments voisins. On l’a entièrement reconstruit en plus solide. En espérant ne plus jamais connaître ça. »
A l’extrémité nord de la plage, on peut emprunter un bac dans le village de Cul-de-Sac pour rejoindre l’îlet Pinel, du nom du pirate qui s’y était jadis réfugié. Un refuge, c’est exactement l’image qui nous vient à l’esprit en dégustant une langouste à l’ombre des palmiers, sur cet îlot quasi désert baigné par des eaux translucides et dont le point culminant offre une vue à 360 °. C’est sans doute ce qu’a dû se dire cette famille d’Américains qui a passé la journée les pieds dans l’eau, autour d’une table plantée dans le sable, à refaire le monde à coups de bière locale glacée. A chacun son paradis.
Les afters du rockeur
Il l’avait annoncé : » Moi je me ferai enterrer à Lorient parce qu’il y a un resto appelé Jojo Burger et plein de petites gonzesses qui vont se baigner. Comme ça, je pourrai mater leurs culs, et je te raconte pas les afters qu’on fera le soir avec mes potes du cimetière ! » Le chanteur a tenu parole. » La tombe de Johnny ? Vous ne pouvez pas la rater, nous indique un passant. Suivez la route jusqu’au village de Lorient et quand vous croisez un cimetière sur votre droite, c’est là. Croyez-moi, vous la reconnaîtrez. »
On s’attendait à un caveau, un mausolée, une stèle isolée de cuir et de clous, solennelle. Sa dernière demeure est à la fois beaucoup plus simple et grandiloquente. Jean-Philippe Smet est inhumé sous un carré de sable entouré d’un cadre de bois, dans le petit cimetière municipal de la commune où sa veuve occupe toujours régulièrement leur somptueuse villa, qu’on peut apercevoir sur la colline depuis la route escarpée qui y conduit.
Les proches et les dizaines de fans qui défilent – on a même croisé un quintet de Bretonnes qui avait répété Quelque chose de Tennessee pour l’occasion – se chargent de la déco : galets blancs gravés, instruments de musique signés, photos dédicacées, fleurs, coeurs, bougies… Un joyeux capharnaüm de messages d’amour et d’hommages, anonymes ou paraphés par des stars. C’est la seule tombe sur laquelle des visiteurs se recueillent en permanence, la larme à l’oeil. Beaucoup passent ensuite noyer leur mélancolie à la terrasse du snack où l’artiste aimait s’attabler. Ils y reçoivent l’accueil glacé d’un patron débordé qui n’en a pas profité pour améliorer la qualité de ses burgers. Passez votre chemin : à Saint-Barth, on trouve nettement mieux pour le même prix, le sourire en prime.
En pratique
Formalités
Si la carte d’identité suffit côté français et à Saint-Barthélemy, il faut un passeport valable 6 mois pour arriver à Saint-Martin.
Y aller
Croisière de 7 nuits sur le Star Flyer au départ de Saint-Martin à partir de 1 615 euros par personne, en cabine double et pension complète.
www.starclippers.com/fr
Air Caraïbes assure deux vols hebdomadaires au départ de Paris Orly à partir de 550 euros en basse saison, 900 euros en haute saison (janvier à avril).
www.aircaraibes.com
Climat
28 °C en moyenne toute l’année, avec un climat tropical sec. La saison des cyclones court de juin à novembre, mais il n’y en a (heureusement) pas tous les ans…
Se loger
Esmeralda Resort. A Saint-Martin, cet hôtel offre un bon compromis à l’extrémité de la baie orientale, avec ses bungalows dotés de piscines privées à quelques mètres de la plage et son excellent restaurant gastronomique, l’Astrolabe.
www.esmeralda-resort.com
Se restaurer
Barranco. A ne pas manquer à Grand-Case, cet excellentissime restaurant où deux frères belges officient en cuisine, avec l’ambition affichée de décrocher un jour la première étoile des Antilles. La déco et la situation en bord de plage sont à la hauteur des assiettes.
www.facebook.com/barrancograndcase
à faire
? Créer votre propre parfum haut de gamme en suivant une ou plusieurs heures de cours pour apprendre à assortir et mélanger les fragrances, sous le nez d’un maître parfumeur.
www.tijon.com
? Participer à une vraie régate dans la rade de Philipsburg, sur un fin coursier de 12 mètres taillé pour l’America’s Cup.
www.12metre.com
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