La Paz, le village où on paye en cocaïne (en images)

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« Tout s’achète et se vend ainsi. Le liquide est très rare et on le garde pour les urgences », raconte cette jeune femme de 26 ans qui dit avoir manipulé dans sa vie plus de drogue que de billets. Il en va de même pour presque tout, de la bière aux services d’une prostituée: les paysans payent avec la « pasta base » (cocaïne base), matière première de la cocaïne à l’aspect de pâte, la « monnaie » qu’ils fabriquent.

Voilà sept ans que Lorena est arrivée à La Paz, hameau de 300 âmes aux rues de terre rougeâtre qui borde la rivière Inirida, dans le département de Guaviare (sud-est), une zone de production de feuilles de coca, élément de base de la cocaïne dont la Colombie est le premier producteur mondial.

A La Paz, il n’y a ni électricité, ni eau potable, ni médecin et encore moins de policiers. Les villageois racontent qu’ils ne s’entretuent pas grâce à l’autorité qu’exerce le front dissident des Farc contrôlant la zone.

L’ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), autrefois la plus importante du pays, a depuis été dissoute et transformée en parti politique. Mais certains rebelles refusent de participer au processus de paix.

Les guérilleros sont là « depuis toujours, bien avant l’Etat », confient les villageois à voix basse.

« Ici, c’est une autre Colombie, il n’y a ni santé, ni rien. Et il y a des enfants de sept ans qui n’ont jamais vu » d’argent liquide, assure Orlando Castilla, 64 ans, un des chefs du village.

– Policier otage –

Les habitants sont connectés au reste du monde par la rivière, une route en terre cabossée et deux lignes téléphoniques. Quand entre un appel, la sirène d’un haut-parleur retentit pour prévenir l’interlocuteur. Lorsqu’il pleut, les ruelles deviennent des bourbiers.

Tout le monde vit de la culture et de la transformation des feuilles de coca. Mais loin d’enrichir les habitants, cette activité leur permet à peine de manger, expliquent-ils.

Ceux qui acceptent de remplacer les plants de coca par des cultures légales, comme le prévoit l’accord de paix avec les Farc, reçoivent des aides de l’Etat. Ceux qui refusent doivent composer avec les incursions de la police anti-émeute.

C’est ce qui s’est passé le 20 juillet dernier sur les rives de la rivière Inirida. Il y a eu des échauffourées, des jets de gaz lacrymogènes et un policier pris en otage durant trois jours par des paysans.

Sous la pression des Etats-Unis, le plus grand consommateur de cocaïne au monde, la Colombie entend éradiquer cette année 100.000 hectares de coca. Entre 2015 et 2016, ces cultures illégales ont bondi de 52%, avec 146.000 hectares.

De ces forêts tropicales sort une partie de la poudre blanche qui inonde l’Europe et les Etats-Unis, où elle atteint des tarifs très élevés.

Mais pour les paysans de La Paz et ses environs, le gramme de cocaïne base ne dépasse jamais les 2.000 pesos (70 centimes de dollar).

– ‘Un kilo dans la poche’ –

Dès l’aube, la ferme de Miguel « Mangos », 56 ans, grouille de journaliers en pleine activité. Ils déchargent les paquets de feuilles qu’ils viennent de récolter à la main dans un laboratoire de fortune. Miguel hache les feuilles et les asperge d’un mélange d’eau et de chaux. C’est le début du long processus pour obtenir de la cocaïne.

Pour 1.000 dollars investis, il en tire 1.200, un gain modeste qui lui permet de survivre, assure-t-il. « J’ai planté des bananes, du maïs, de la yucca, mais ce n’est pas rentable », raconte Miguel qui a déjà fait ses comptes: pour transporter un régime de bananes jusqu’au marché, il faut payer le transport et il finit par perdre de l’argent.

« Un kilo de cocaïne base, je le transporte dans la poche », souligne-t-il. « On peut passer plusieurs mois sans voir du liquide. Quand une personne vient acheter (de la drogue), on ne lui demande pas qui il est ni où il va », raconte Diego Parra, 50 ans, autre chef du village.

Lorsque la pression policière se fait plus forte, les acheteurs disparaissent un temps. Les paysans se risquent alors à sortir avec leur marchandise pour l’écouler à San José, ville située à quatre heures de route de La Paz, où la police peut les arrêter.

« On est le dernier maillon de la chaîne. De tout le business de la drogue, on est les plus pauvres », résume Cielo Rueda, 40 ans.

Avec AFP

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