La Provence n’est plus simplement une destination, c’est une marque (et un puissant outil marketing en prime)

La Provence, bientôt victime de son succès ? Unsplash (Simon Hattinga Verschure)
La Provence, bientôt victime de son succès ? Unsplash (Simon Hattinga Verschure)
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La région au doux parfum de lavande n’est plus simplement une destination : désormais, la Provence est un outil marketing puissant. Et cela ne déplaît pas aux touristes, loin de là.

Dans un village perché de Provence, accroché à une corniche rocheuse dominant la vallée du Luberon, se trouve l’hôtel Airelles Gordes, La Bastide. C’est un lieu de pierre blanchie par le soleil, de jardins suspendus et de quiet luxury — si photogénique que les producteurs de Emily in Paris, une série clinquante de Netflix, l’ont choisi comme décor pour un déjeuner réunissant l’héroïne et un ancien flirt.

Cette année, l’hôtel a rebaptisé son restaurant gastronomique pour lui donner un style plus décontracté. Sous la direction d’un nouveau chef, La Table de La Bastide propose une cuisine créative mais moins formelle, « célébrant l’esprit provençal ».

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Pour la plupart des gens, la Provence est une région de France. Mais de plus en plus, c’est aussi une marque de style de vie. Le mot « Provence » évoque le chant des cigales, l’odeur du pin et la sensation du soleil sur la peau: peu d’autres endroits en Europe convoquent un tel mélange sensoriel en un seul mot. Il attire irrésistiblement, promet la simplicité et semble ralentir le rythme de la vie.

Dans l’imaginaire français, la Provence se distingue de la Riviera, ou Côte d’Azur, ce ruban côtier de stations balnéaires sur la Méditerranée. La Riviera, c’est les yachts, la fête et l’ostentation; la Provence, c’est la beauté brute et intemporelle, le style naturel.

Gordes se trouve à près de 150 kilomètres à l’intérieur des terres de Saint-Tropez. « Ici, on trouve l’élégance, mais on peut être hyper détendu », explique Angela Kreuz, directrice générale de l’hôtel. « C’est cette expérience que les clients viennent chercher en Provence ».

Beauté brute et élégance discrète

Associer le mot Provence à un produit ou à un lieu, c’est relier le banal à l’élégance discrète. L’aéroport international de Marseille, par exemple, s’appelle Marseille Provence. La Provence peut s’inviter dans une salade: l’huile d’olive Herbes de Provence de Georgetown, infusée à la lavande, au romarin et au thym, promet de « vous transporter directement dans la campagne français ».

Elle peut aussi s’appliquer sur les joues: Provence Beauty, une entreprise basée à Los Angeles, utilise des « extraits naturels précieux issus du sud de la France ».

Qu’est-ce qui explique l’émergence de la marque Provence?

Certainement pas les administrateurs français, qui l’ont fusionnée dans la peu gracieuse région moderne Provence-Alpes-Côte d’Azur, ou PACA. Les Romains l’appelaient « Provincia »; au Moyen Âge, la Provence s’étendait du Rhône à Nice, sur la Méditerranée, et jusqu’aux Alpes au nord. Ses frontières ont fluctué au gré des guerres et des empires, avant d’être annexée par la couronne française en 1487. Aujourd’hui, la Provence n’a pas de limites officielles, mais on sait quand on y est: c’est un paysage (oliviers, vignobles), une langue (provençau) et une culture (pétanque) qui défient les lignes tracées par la bureaucratie.

Pourtant, la Provence n’a pas toujours séduit ses visiteurs. « La Provence, avec son ciel ensoleillé, est trop aride pour mériter des éloges généraux », écrivait John Murray en 1843 dans son Handbook for Travellers in France. Les premiers visiteurs britanniques et américains lui préféraient d’ailleurs de loin la Riviera. Aux XIXᵉ et XXᵉ siècles, ce sont des artistes français qui ont détourné les regards de la Méditerranée pour les tourner vers les charmes de l’arrière-pays. Une année en Provence, best-seller de Peter Mayle, ne parut qu’en 1989.

Plus récemment, Hollywood a contribué à donner du glamour à la marque. Johnny Depp a tellement aimé la région qu’il y a acheté tout un village. Un domaine viticole provençal est devenu un accessoire de célébrité: des stars du grand écran comme Brad Pitt et George Clooney ont acquis des vignobles dotés de châteaux historiques.

La vie en rosé

Cela renvoie à un élément essentiel de la réputation de la région: le rosé. Aucun pays au monde ne produit plus de ce breuvage rosé que la France, et aucune autre région française ne l’élabore tout à fait comme la Provence. Les exportations de rosé provençal ont presque triplé au cours de la dernière décennie, la majorité étant expédiée vers les États-Unis et la Grande-Bretagne.

« Il y a beaucoup de très bons rosés, mais au final le client veut voir “Provence” sur l’étiquette », explique Guillaume Harel, ancien sommelier et directeur export de Maurel Frères, un distributeur de vins. Le rosé peut être une affirmation de marque tape-à-l’œil — songez au Whispering Angel de LVMH ou à Minuty — ou bien évoquer plus discrètement un attachement au terroir. Cette année, Maurel Frères a acquis le Domaine Saint-Jean de Villecroze, dans les collines de Provence, qui avait rebaptisé l’un de ses rosés « Selladore en Provence », orné sur la bouteille de l’image d’un tracteur.

La « marque Provence », suggèrent certains, est un contrepoint au stress du monde moderne. La Provence, « c’est vraiment cette idée d’un art de vivre, une façon de prendre son temps, de savourer le temps qui passe », explique Isabelle Brémond, directrice de Marque Provence, un organisme régional de promotion.

Les saisons et la lumière dictent le rythme quotidien, dans les champs ou en terrasse. Et la région perpétue un art de vivre culinaire séculaire — produits locaux, marchés frais, ingrédients simples — aujourd’hui en vogue. La Provence faisait pousser de grosses tomates violettes bien avant qu’on ne les baptise « anciennes variétés ».

Paradoxalement, la marque dépend aussi — et se voit parfois fragilisée — par les agitations et les frénésies du petit écran. Sur Instagram, le hashtag #Provence figure dans plus de 7 millions de publications. En 2023, un magazine de voyage américain a désigné Gordes comme « le plus beau village du monde ». Seules 1.664 personnes y vivent, mais chaque année, un million de touristes envahissent ses ruelles étroites.

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Dans tout ce soin et cette mise en scène, la Provence est idéalisée. Dans les collines, pourtant, la pauvreté rôde sur les terres rocailleuses. À mesure que l’on boit moins de vin, la région en subira les conséquences. Mais l’été, en Provence, reste la saison des fêtes: les petits producteurs posent leurs outils, les villageois installent de longues tables et le rosé coule à flots, qu’il vienne d’un pichet ou d’une bouteille.

En août, du moins, c’est la Provence qui donne le tempo — à ceux qui y vivent comme à ceux qui veulent en goûter un fragment.

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