Les îles Phi Phi: la renaissance d’un paradis ruiné par le tourisme de masse
Aum plonge à 8 mètres de profondeur et relâche avec précaution un jeune requin bambou dans l’eau cristalline. Sa mission: repeupler les récifs au large de Phi Phi, joyau de la Thaïlande longtemps ravagé par le tourisme de masse.
L’archipel panse ses plaies depuis la pandémie et les autorités promettent d’y inventer un autre modèle de développement. Le temps presse: sa célèbre Maya Bay, immortalisée par Leonardo DiCaprio dans le film « La plage » et forcée de fermer dès 2018 pour éviter une catastrophe écologique, doit rouvrir le 1er janvier.
Au large de la plage iconique, cinq requins bambous, deux mâles et trois femelles, sont mis à l’eau.
Nés en captivité, les petits squales, au corps rayé et à la longue queue, hésitent à se faufiler parmi les poissons clowns, les barracudas et les tortues marines.
« Il leur faut un temps d’adaptation. Nous avons attendu qu’ils atteignent 30 centimètres pour optimiser leur chance de survie », explique à l’AFP le biologiste Kullawit Limchularat, dit Aum, qui mène l’opération en partenariat avec le Centre de biologie marine de Phuket (sud).
Une femelle pond une fois par mois.
« Le but est qu’elle reste se reproduire ici et participe au repeuplement de l’espèce », « quasi menacée » d’après l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Le parc national marin de Phi Phi, ses plages de sables blancs et ses récifs coralliens, attiraient chaque année plus de deux millions de visiteurs avant la pandémie.
L’impact humain, la surabondance des bateaux à moteur, l’absence de régulation sur ces îles pourtant classées « parc national », combinés au réchauffement climatique, ont conduit à un désastre environnemental.
Maya Bay voyait déferler jusqu’à 6.000 personnes par jour sur son étroite plage de 250 mètres de long.
« La couverture corallienne y a diminué de plus de 60% en un peu plus de 10 ans », relève Thon Thamrongnawasawat de l’université Kasetsart de Bangkok. En 2018, le scientifique tire la sonnette d’alarme et pousse les autorités à faire fermer une partie de la baie, également dégradée par l’érosion.
La pandémie plonge ensuite l’ensemble de l’archipel en convalescence forcée.
Depuis, des dizaines de requins à pointes noires, des tortues vertes ou imbriquées se meuvent dans les eaux peu profondes. Des requins-baleines, les plus grands poissons au monde, en danger d’extinction, ont été repérés au large des côtes.
« Tout laisse à penser qu’il y a davantage de reproduction, notamment chez les requins qui apprécient les eaux calmes », relève Thon Thamrongnawasawat.
Quant aux coraux, « plus de 40% des fragments replantés à Maya Bay ont survécu, un chiffre très satisfaisant obtenu grâce à l’absence de visiteurs ».
.
Mais la guérison sera lente. Au moins deux décennies seront nécessaires pour restaurer le récif corallien, avertit le biologiste.
Phi Phi renoue timidement avec le tourisme, encore essentiellement local – même si les drastiques restrictions de voyage pour les visiteurs étrangers désireux de se rendre en Thaïlande ont récemment été assouplies.
Et Maya Bay doit rouvrir à partir du 1er janvier, après plus de trois ans de fermeture. Personne ne veut refaire les erreurs du passé, assure Pramote Kaewnam, directeur du parc national. Les bateaux ne seront pas autorisés à accoster près de la plage et déposeront les touristes sur une jetée loin de la crique. Les visites seront limitées à une heure, avec un maximum de 300 personnes par tour.
« Maya Bay nous rapportait jusqu’à 60.000 dollars par jour. Mais ces revenus énormes ne peuvent être comparés aux ressources naturelles que nous avons perdu », relève le directeur.
Le nombre de visiteurs sera aussi régulé sur d’autres sites phares de l’archipel. Et gare aux bateaux qui voudraient planter leur ancre sur les récifs coralliens ou aux touristes qui s’amuseraient à nourrir les poissons, ils seront passibles d’une amende de 150 dollars.
Phi Phi doit inspirer l’ensemble du royaume. Le gouvernement veut désormais mettre l’accent sur la qualité, « attirer des voyageurs haut de gamme, plutôt qu’un grand nombre de visiteurs ». Aux entreprises locales de s’adapter. « On a besoin des revenus du tourisme, mais il faut aussi éduquer. On a tous compris cela avec la pandémie », estime Sirithon Thamrongnawasawat, vice-présidente du développement durable chez Singha Estate.
Le groupe, propriétaire d’un hôtel de 200 chambres sur l’île, y a fait construire un centre marin consacré à l’écosystème de l’archipel et finance plusieurs projets, la replantation de coraux, l’élevage de requins bambous et de poissons clowns relâchés ensuite dans la mer.
Les premiers visiteurs étrangers à revenir dans la région semblent ravis de cette nouvelle approche. « On n’est pas seulement venus plonger dans l’eau turquoise. On veut aussi aider », lance Franck, avant de participer au nettoyage de la mangrove voisine. « Cela serait formidable que l’île reste aussi dépeuplée ».
Mais les 2.500 habitants de l’archipel ont vu leurs revenus s’effondrer avec la pandémie et espèrent voir rapidement revenir les clients. Pailin Naowabutr écume les eaux de Phi Phi depuis sept ans pour transporter les touristes à bord de son longtail boat.
« Avant le Covid, je gagnais 30 dollars par jour. J’ai dû arrêter et multiplier les petits boulots pour moins de 10 dollars ». Le marin a repris la mer il y a peu.
Il fixe, nostalgique, l’horizon, direction Phuket, la grande soeur à une heure de hors-bord qui accueillait des millions de touristes avant la crise. « Ils vont bientôt revenir, tout le monde a envie de visiter Phi Phi », assure-t-il.
Mais le variant Omicron, qui a déjà contraint plusieurs pays à se barricader de nouveau, pourrait ruiner ses espoirs… et laisser encore un peu de répit à la faune marine.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici