Les Maldives, pays de l’or bleu, face aux défis écologiques et climatiques

Sebastiaan Bedaux

Du cyan clair au bleu roi, ou du turquoise au marine: nulle part ailleurs dans le monde on admire autant de teintes bleutées qu’aux Maldives. Etrange paradoxe, pourtant: l’océan, principal attrait touristique des atolls, pourrait bientôt mener ce paradis… à sa perte.

Ce fut un événement aux Maldives lorsqu’il y a huit ans, le point culminant du pays passa soudainement de 2,4 mètres à 5,1 mètres d’altitude. Comment? Grâce à un complexe hôtelier de luxe qui a érigé une petite colline au trou numéro 8 de son terrain de golf. Cette bosse artificielle a été baptisée Mount Villingili et a même reçu un certificat officiel en tant que plus haut sommet maldivien. Intrigant, l’air de rien. 2,4 mètres, c’est à peine la taille d’un corps humain avec un bras tendu. Les 1 190 îles de cet archipel exotique ne s’élèvent en moyenne qu’à 1,5 mètre au-dessus de l’eau cristalline, faisant de ce paradis l’Etat le plus bas du monde. Il est donc là, le vrai plat pays, flottant dans la marmite turquoise de l’océan Indien…

Sans le corail, il n’y a pas d’avenir. C’est donc une course contre la montre face aux perturbations climatiques.

Hannah Harries

La faute d’El Niño

Notre décor: une bande de sable blanc scintillant au soleil et qui s’immisce dans l’océan. Cinquante mètres de longueur sur quinze mètres de largeur, à vue de nez. Dans le lagon infini, nous apercevons une raie et un bébé requin. Hannah Harries, une jeune Britannique, travaille ici depuis deux ans en tant que biologiste marine. Nous lui lançons une question limpide: vu la hausse du niveau de la mer, quel est l’avenir de ce territoire? Hannah répond en souriant: « On prétend que les Maldives auront disparu d’ici 2050. D’autres évoquent 2100. Mais pour l’instant, rien ne permet de valider ces échéances. D’ailleurs, ce n’est pas tant la hausse des eaux qui nous inquiète le plus, mais plutôt l’augmentation de leur température, qui est un problème bien plus grave. Il y a cinq ans, un « El Niño » (un phénomène climatique qui se caractérise par un réchauffement anormalement élevé de l’eau dans la partie Est de l’océan Pacifique Sud) a provoqué un pic brutal. Résultat: 90% du corail maldivien est mort. Le corail est un organisme extrêmement sensible, qui se développe lentement mais disparaît rapidement. Et c’est précisément lui qui est vital ici, car le pays vit de deux grandes sources de revenus: la pêche et le tourisme nautique de type snorkeling ou plongée. Sans le corail, il n’y a pas d’avenir. C’est donc une course contre la montre face aux perturbations climatiques. Hélas, difficile de prédire qui l’emportera… »

Le corail est vital pour les poissons, mais aussi pour les îles et leurs habitants.
Le corail est vital pour les poissons, mais aussi pour les îles et leurs habitants.© SDP/ SONEVA

Objectif zéro déchet

C’est du dhivehi, la langue locale, que vient le mot « atolhu » qui désigne l’atoll, soit une série d’îles coralliennes en forme d’anneau. Les Maldives se composent de vingt-six atolls de ce type, couvrant ensemble moins de 300 km2 (à peine trois fois Paris). Parmi ses incroyables beautés, citons l’atoll de Baa, classé par l’Unesco en tant que « réserve de biosphère » et comptant quelque septante-six îles… dont treize sont occupées par les locaux et quinze par les touristes. La plus paradisiaque de toutes: Soneva Fushi, une île « de luxe » avec des plages de sable blanc immaculées, une petite jungle et des jetées sinueuses qui mènent les nantis vers des restaurants, des bars et d’impressionnantes villas sur pilotis.

Le potager biologique du complexe hôtelier de Soneva Fushi.
Le potager biologique du complexe hôtelier de Soneva Fushi.© Sebastiaan Bedaux

Mais depuis le hublot de notre hydravion, quelque chose d’encore plus remarquable attire notre attention: un vaste champ de panneaux solaires. « En ce moment, nous produisons nous-mêmes environ 20% de notre énergie », indique Katarzyna Izydorczyk, surnommée Kash, directrice de Soneva Namoona, une organisation locale pour la préservation de la nature ayant (notamment) pour mission d’enseigner aux locaux le tri des déchets. « Bien sûr, nous visons davantage d’énergies renouvelables, mais nous avons d’autres chats à fouetter. Par exemple, le plastique à usage unique est un fléau aux Maldives. Heureusement, les autorités viennent de décider son interdiction d’ici 2023. Chez Soneva, cela fait très longtemps que nous luttons contre les montagnes de détritus. Grâce à notre propre usine de traitement de l’eau et une verrerie, nous n’avons plus besoin d’acheter de bouteilles en plastique. Non loin de notre champ de panneaux solaires, se trouve notre Eco Centro, qui recycle à tout va. Notre objectif est d’atteindre le zéro déchet, c’est pourquoi nous mettons constamment la pression à nos fournisseurs – de l’alimentation aux matériaux de construction, en passant par les produits ménagers – pour qu’ils ne livrent plus rien dans ce matériau. S’ils ne sont pas d’accord, nous en cherchons d’autres. Une philosophie qui a donné vie à d’autres projets pilotes en phase de test sur des îles voisines… »

Des plantes ornementales sont cultivées dans le resort, lui-même.
Des plantes ornementales sont cultivées dans le resort, lui-même.© Sebastiaan Bedaux

Un processus lent

Aux premières lignes du changement climatique, les Maldives n’ont d’autre choix que de diminuer drastiquement leurs émissions de CO2. Et ce sont les complexes hôteliers eux-mêmes qui font aujourd’hui pression sur le gouvernement pour y parvenir. Une démarche prometteuse, puisque d’ici 2030, les atolls désirent fonctionner de manière neutre en carbone. Ambitieux, pour un pays qui dépense actuellement 10 à 15% de son PIB en diesel (pour les bateaux, ferries, hydravions, générateurs…), mais des sociétés hôtelières comme Soneva (possédant deux complexes aux Maldives) prennent les devants, à la fois pour se sauver elles-mêmes et pour assurer l’avenir des jeunes générations. « Nos hôtes eux-mêmes exigent un niveau d’écologie de plus en plus élevé », explique le Liégeois Frédéric Brohez, récemment élu directeur général de Soneva Jani, l’un des resorts les plus luxueux du monde, situé sur l’époustouflant atoll de Noonu. « Nous constatons d’ailleurs que la pandémie a davantage sensibilisé les touristes. Ici, nous sommes des précurseurs et même des modèles pour d’autres complexes, avec qui nous partageons nos connaissances. Selon nous, il n’y a pas de scission entre le luxe et la durabilité, les deux vont de pair. Il faut juste accepter le fait que rien ne se fait du jour au lendemain. C’est un processus lent qui nécessite un travail acharné. Mais chaque effort, aussi maigre soit-il, finira par provoquer un grand changement, grâce à l’effet d’entraînement. Certains disent que c’est « trop peu » ou « trop tard », mais je suis optimiste. »

Il n’y a pas de scission entre le luxe et la durabilité, les deux vont de pair.

Frédéric Brohez

Soneva Fushi possède son centre de recyclage, l'Eco Centro.
Soneva Fushi possède son centre de recyclage, l’Eco Centro.© Sebastiaan Bedaux

Architecte sous-marin

A Soneva Jani, une nouvelle activité est en train de gagner en popularité auprès des touristes: la plantation de coraux. Ainsi, la classe de Maavin Faure, biologiste maldivien, se remplit rapidement. Sorte d’architecte sous-marin, il plante des hexagones métalliques remplis de corail vivant dans le lagon, à quelques pas de la plage. Il plonge lui-même pour récupérer des morceaux de corail qui se sont détachés du récif mais qui sont aptes à être replantés. « Grâce à cette excursion, nos clients apprennent l’importance des coraux, qui constituent ce que nous avons de plus précieux aux Maldives. Non seulement, ils offrent une protection et de la nourriture à de nombreuses espèces de poissons, mais les récifs qu’ils forment brisent également les vagues. Sans corail, les vagues se fracassent sur l’île et provoquent une érosion. Cet effet peut déjà être constaté en de nombreux endroits. Les coraux sont emportés petit à petit, et il faut alors les draguer, ce qui est néfaste pour eux. »

Soneva Jani, et sa majestueuse jetée sinueuse.
Soneva Jani, et sa majestueuse jetée sinueuse.© Sebastiaan Bedaux

Après avoir attaché une quinzaine de morceaux de corail au support, nous plongeons dans l’eau afin de suivre Maavin jusqu’au lieu de « plantation ». Dans une magnifique eau cristalline, nous nous retrouvons alors à flotter au-dessus d’un champ composé de centaines de casiers métalliques, tous plus colorés les uns que les autres. Près de nous, se baladent des tortues de mer, des raies aigles, des bancs de poissons-papillons, des mérous et des poissons clowns. « C’est un projet à petite échelle, mais chaque geste compte. D’ailleurs, vous devriez me donner votre adresse mail, pour que je vous envoie une mise à jour mensuelle de votre casier. Sachez juste que la plupart des morceaux de corail ne grandissent que de quelques centimètres par an, n’en attendez pas trop! », sourit notre bâtisseur océanique.

L'eau de mer cristalline abrite cinq des sept espèces de tortues de mer existantes.
L’eau de mer cristalline abrite cinq des sept espèces de tortues de mer existantes.© SDP / SONEVA

Des îles sans moustiques

L’air de rien, les Maldives sont en train de devenir un laboratoire passionnant en matière d’écologie. Avant de les quitter, nous nous intéressons d’ailleurs à une (autre) expérimentation insolite, que l’on doit au professeur néerlandais Bart Knols. L’homme, spécialisé dans la lutte -responsable – contre les moustiques, a réussi à rendre Soneva Fushi, une île de 1,4 km de longueur et 400 mètres de largeur, quasiment exempte de ces insectes haïs par les touristes. Comment? En remplaçant les pulvérisations chimiques hebdomadaires par quelque 500 pièges écologiques. « Imaginez les Maldives sans dengue ni chikungunya », déclare Sonu Shivdasani, PDG de Soneva et résident à Soneva Fushi lui-même, qui a récemment déclaré ses deux stations balnéaires comme étant les premières îles sans moustiques au monde. « Cela prouve que tout est possible. Sans les produits toxiques, nous voyons la biodiversité de l’île s’épanouir. Les papillons, bourdons, libellules et coléoptères sont de retour, tandis que les oiseaux sont plus nombreux que jamais. Si nous pouvons le faire sur un morceau de terre aussi grand et aussi sauvage, c’est que cette méthode révolutionnaire peut s’appliquer dans toutes les Maldives. Nous allons mettre cela en oeuvre, île par île. »

En pratique

Les Maldives, pays de l'or bleu, face aux défis écologiques et climatiques

Y aller

Qatar Airways relie Bruxelles à Malé (la capitale des Maldives) avec une petite escale à Doha. Comptez 10 heures de vol. Dès 721 euros A/R.

Covid

Sauf changement, pour voyager aux Maldives, un test PCR négatif (datant de 96 heures maximum) est suffisant. Sur place, les touristes subissent un nouveau test dans chaque hôtel. Si le résultat est toujours négatif, pas de masque obligatoire durant les vacances.

Y séjourner

Soneva Fushi. Au coeur d’une réserve de biosphère, cette station très familiale propose de belles villas dans la jungle et une poignée de villas dans l’eau. Ses points forts: un Cinema Paradiso en plein air, un observatoire céleste ou un atelier de verre soufflé.

  • Dès 1.015 euros par nuit.

Soneva Jani. Sans nul dout la pépite de Soneva. Un complexe de luxe composé principalement de villas aquatiques (très) luxueuses… construites avec des matériaux durables. Un hydravion vient cueillir les clients à l’aéroport.

  • Dès 1.550 euros par nuit. Pour les deux hôtels: soneva.com

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