Dans les eaux limpides de Ras Hankorab, sur la côte égyptienne de la mer Rouge, les tortues vertes, espèce menacée, nagent encore parmi les baigneurs. Pourtant, au-dessus de ce sanctuaire naturel plane l’ombre du développement du tourisme de masse.
A environ 850 kilomètres au sud-est du Caire, cette étendue de plage intégrée au parc national de Wadi al-Gemal constitue un écrin de biodiversité « abritant des écosystèmes magnifiques et diversifiés (…) dont certains menacés d’extinction », souligne à l’AFP Mahmoud Hanafy, professeur de biologie marine et conseiller du gouvernorat. Elle est « l’une des dernières plages naturelles encore intactes sur la côte sud de la mer Rouge », selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
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En mars, l’apparition de pelleteuses sur le sable a provoqué une levée de boucliers: employés de la réserve et écologistes ont lancé une pétition pour « Sauver Hankorab », signée par des milliers d’internautes. Deux militants, sous couvert d’anonymat, ont révélé à l’AFP avoir eu accès à un contrat d’usufruit conclu entre une entreprise privée et une entité gouvernementale ne relevant pas du ministère, portant sur la construction d’un complexe touristique à cet endroit.
Sous la pression du ministère de l’Environnement, gestionnaire du site, les travaux ont été suspendus. Mais les inquiétudes persistent: des recours d’une parlementaire sont restés lettre morte, et des employés affirment que les projets n’ont pas été officiellement abandonnés.
Investissements
Pendant ce temps, la vie marine se poursuit: dans les eaux azurées, les tortues croisent raies aigles et dugongs, évoluant dans une mosaïque corallienne éclatante. L’écosystème est « parmi les plus résistants au changement climatique dans le monde », souligne M. Hanafy, citant des études sur la tolérance à la chaleur des récifs de la mer Rouge.
Durant la saison de nidification, les tortues viennent encore pondre sur une plage épargnée par la lumière artificielle. « Seuls certains types de développement touristique peuvent convenir à une plage comme celle-ci », prévient M. Hanafy, évoquant les dangers de la surfréquentation, du bruit et de l’éclairage nocturne.
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L’Egypte, engluée dans une crise économique, mise sur ses 3.000 kilomètres de littoral, en mer Rouge et Méditerranée pour attirer des devises. En 2024, un accord de 35 milliards de dollars avec les Emirats arabes unis pour aménager Ras al-Hekma, sur la Méditerranée, a offert un répit financier. Depuis, d’autres projets similaires, impliquant des alliés du Golfe, sont à l’étude. En juillet, le président Abdel Fattah al-Sissi a alloué 174.400 kilomètres carrés de terres bordant la mer Rouge au ministère des Finances pour « réduire la dette publique ».
Dans cette région, le tourisme est le principal moteur économique. Les autorités veulent doubler le nombre de visiteurs d’ici 2028, visant les 30 millions de touristes annuels. Mais déjà en 2019, le PNUD avertissait que « le développement du tourisme en Egypte, jusqu’à présent, s’est largement fait au détriment de l’environnement ».
Au fil des années, la prolifération des complexes hôteliers énergivores a altéré les écosystèmes côtiers et délogé les communautés locales. « L’objectif semble être de maximiser les profits issus des réserves, ce qui m’inquiète parce que (…) nous serions en train de les détruire », déplore l’avocat environnemental Ahmed al-Seidi. Une approche qui, selon lui, viole la loi de 2003 classant Wadi al-Gemal en zone protégée.
« Nul et non avenu »
Pour Ras Hankorab, le litige est juridique selon M. Hanafy: « l’entreprise a signé un contrat avec une entité gouvernementale autre que celle responsable de la gestion de la réserve ». Le contrat est donc « nul et non avenu », d’après Me Seidi. La députée Maha Abdel Nasser a interpellé à ce sujet le ministère de l’Environnement et le bureau du Premier ministre. Sans réponse à ce jour. Lors d’une réunion avec des élus et des écologistes, elle a indiqué n’avoir pu identifier clairement l’entreprise initiatrice du projet. Mais si l’interruption des travaux est, selon l’élue, un soulagement, « rien ne garantit ce qui pourrait se passer à l’avenir ».
Sur place, un portail flambant neuf portant l’inscription « Ras Hankorab » trône à l’entrée de la plage. Et alors que plusieurs plages touristiques en mer Rouge sont payantes, le prix d’entrée pour accéder à celle de Ras Hankorab a quintuplé, atteignant 300 livres égyptiennes (environ 5 euros), sans qu’on sache qui vend les billets.
Un employé embauché en mars pour travailler sur la plage explique que les « quelques parasols et les sanitaires inutilisables » d’avant ont laissé place à des installations plus modernes, des chaises longues et parasols en paille. Et un café-restaurant devrait ouvrir prochainement selon lui.