On a testé le train de nuit Bruxelles-Vienne
Le Nightjet est actuellement le seul train noctambule au départ de la Belgique. Trois fois par semaine, il chemine jusqu’à Vienne au terme d’un voyage d’une quatorzaine d’heures. Envoûtant, mais aussi un peu cahotant.
La voie numéro 6 est calme, ce lundi soir à la gare de Bruxelles-Midi. Disséminés le long du quai, trois ou quatre dizaines de passagers attendent le Nightjet à destination de Vienne. Une petite troupe plus dense patiente devant la zone d’arrivée du wagon 242, celui des voitures-lits, clairement le plus confortable. Il existe trois catégories de places à bord des trains de la compagnie autrichienne ÖBB. Les voitures à six places assises, pour lesquelles l’apport d’un sac de couchage est conseillé, sont les moins chères. Viennent ensuite les voitures-couchettes, où les quatre (ou six) voyageurs dorment sur des convertibles du même tissu que les sièges. Enfin, les voitures-lits sont constituées de cabines privatisées de trois fauteuils côte à côte, plus larges que dans un train classique de la SNCB, mais peut-être un rien moins modernes.
Le lieu est cocoon et fait poindre l’impatience de passer du temps dans cet espace d’à peu près 4 m2, mais qui fait d’emblée voyager l’esprit. Sur la table, quelques goodies de bienvenue: des pantoufles – idéales pour se rendre aux toilettes communes, en bout de wagon – de l’eau, un petit essuie, des snacks, des boules Quiès, un masque de sommeil, mais aussi une petite bouteille de vin mousseux. Si la version Deluxe de la cabine d’une voiture-lit dispose d’une douche et d’un WC, la variante classique possède un lavabo dont on peut régler la température de l’eau, mais pas la boire. Le savon pour mains, cheveux et corps permet de faire sa toilette à l’ancienne, la prise 230V de faire recharger tout type d’appareil électronique, même si le train ne bénéficie pas (encore) de WiFi. A Bruxelles-Nord, une nouvelle arrivante tarde à trouver sa place. « Je ne vois rien, vous savez bien que votre mère est aveugle », lance-t-elle à ses enfants, avec ironie et en anglais dans le texte. L’assemblée des voyageurs est très internationale: on entend parler anglais, français, allemand et néerlandais. Seuls certains contrôleurs semblent avoir du mal avec le « polyglottisme », mais ils y mettent du leur pour se faire comprendre lorsqu’ils indiquent les différents fonctionnalités de la cabine.
Wes Anderson, Tintin et les saucisses
Boostée par le vent de fraîcheur écologique dans le secteur touristique, la compagnie autrichienne ÖBB a lancé une liaison ferroviaire nocturne entre Bruxelles et Vienne il y a deux ans. Après une « interruption Covid » entre novembre 2020 et mai 2021, elle propose de nouveau ce voyage de fer de 13h47 entre les deux capitales. L’occasion de revivre une expérience qui avait disparu du sol belge depuis 2003, alors qu’il avait longtemps été possible de rallier l’Italie, la Suisse ou le sud de la France à partir de Liège ou même Ciney. « Le train est une solution durable avec la possibilité de monter directement à bord, sans devoir être présent trop longtemps à l’avance, se réjouit Marianne Hiernaux, la porte-parole de la SNCB. C’est également agréable: pendant le voyage, on peut lire un livre confortablement, écouter de la musique ou discuter. Le train a dès lors déjà un goût de vacances pour de nombreux voyageurs. » A bord du Nightjet, les plus rêveurs se plongeront aisément dans l’atmosphère lumineuse et carrée des films de Wes Anderson, tels Darjeeling Limited ou Grand Budapest Hotel. D’autres reconnaîtront quelques situations des aventures de Tintin en se rendant en queue de train, où la dernière fenêtre débouche directement sur les rails. Puis il y a ces fameux compartiments type « Harry Potter », où six passagers se font face, ce qui semble toutefois peu confortable pour une nuit entière de trajet.
‘Le train a déjà un goût de vacances pour de nombreux voyageurs. ‘
Pour se dégourdir les jambes en toute quiétude, il est possible d’obtenir une carte qui verrouille le compartiment. Dans les couloirs, on se croise facilement, face contre façade, mais le tour est toutefois vite effectué puisqu’il n’y a pas de wagon- restaurant… Un sacré coup dur pour les navetteurs qui se seraient bien vus attablés avec un café fumant, face au défilé de lumières. A la place, le Nightjet dispose d’un petit kot tenu par un steward au parfum enivrant. Au menu, une salade suisse au cervelas, une poitrine de poulet avec riz et petits pois, de la soupe de goulache, du chili sans viande ou encore de la saucisse de Francfort. Les prix sont ceux généralement pratiqués en gare, la qualité est probablement encore un cran en-dessous. Difficile de payer par carte et mieux vaut avoir la monnaie exacte. En un mot comme en cent: il est préférable de manger avant ou de prévoir son casse-croûte.
A mesure que Liège-Guillemins s’éloigne, une petite heure après le départ, la frontière allemande approche. Dans un ronronnement régulier, le train entre de plein fouet dans l’opacité, les lumières se font plus rares, les autres convois aussi. Des arrêts sont prévus aux gares des villes prestigieuses d’Aix-la-Chapelle, Coblence, Francfort, Nuremberg, puis des plus mystérieuses Regensburg, Wels, Amstetten ou St-Pölten. Dans un souci de respect, le micro du contrôleur est éteint depuis Bruxelles, le navetteur ne sait donc jamais où il se situe vraiment… mais dans ce contexte nocturne féerique, presque hors du temps, ça n’a finalement pas beaucoup d’importance.
Nuit active et café chaud
Il faut un peu de jugeote pour abaisser les lits encastrés dans le mur. Sur le plus aérien, la sensation de hauteur est réelle, la protection en forme de ceinture de sécurité améliorée est donc bienvenue. C’est justement sous le toit que se situe le plus grand rangement pour les valises, bien qu’il soit inutile d’emporter des bagages trop volumineux, au risque de réduire drastiquement la place du « passager du sommet ». La nuit débute, pleine d’objectifs plus ou moins réalisables. Parvenir à intégrer les bondissements et ralentissements du convoi dans son sommeil? Parfaitement faisable. Mettre en sourdine les ronflements ou les cris du voisin, s’il n’est pas encore en âge de passer ses nuits? Un rien moins évident. Parfois, il arrive que les lumières s’allument soudainement, sans possibilité de les éteindre, réveillant tout le wagon sans trop d’explication. Un court-circuit, sans doute. Au réveil, peu après l’arrivée en Autriche, et probablement lorsque les autres cabines ont fait leur toilette, il n’y a plus d’eau au lavabo. Le voyage en train de nuit n’est pas une aventure au sens extrême du terme, mais ce n’est pas non plus une croisière de luxe, autant le savoir. Au petit matin, la gelée tapisse délicatement les plaines autrichiennes, laissant imaginer un sacré froid à l’extérieur quand le compartiment est à température idéale grâce à un thermostat spécifique. Les paysages verdoyants et boisés ont une saveur d’Ardenne. Avec un ciel bleu et le soleil levant, le spectacle vaut le détour. A 8 heures, le steward annonce l’arrivée à Linz et le petit-déjeuner, compris dans le prix du billet en voiture-lit. D’une qualité bien supérieure aux snacks, il est servi directement dans le compartiment et est composé de six éléments, boisson comprise – bien que le thé et le café soient à volonté. L’odeur de l’Americano chaud face au panorama glacé réchauffe les coeurs.
Une fois en gare de Vienne Hauptbahnhof, il est possible de poursuivre le voyage, que ce soit en Autriche ou (notamment) en direction de Venise, à dix autres heures de là. Par l’entremise d’une, voire de plusieurs correspondances, « la SNCB propose des voyages en train vers 3 600 destinations internationales, détaille sa porte-parole Marianne Hiernaux. La SNCB joue également un rôle actif dans la mise en place d’éventuels nouveaux trains de nuit. Des discussions sont en cours pour d’autres projets, dans le cadre desquels la société assumera un rôle de soutien et fournira la locomotive, les accompagnateurs et conducteurs de train pour le trajet en Belgique. » Il y a quelques mois, la compagnie privée European Sleeper a introduit des demandes auprès d’Infrabel pour ouvrir des lignes entre Bruxelles et Prague (via Amsterdam et Berlin) avec trois liaisons par semaine. De nouveaux circuits qui permettraient peut-être d’enrichir une carte ferroviaire européenne qui, d’après une enquête de Mediapart, peine à se développer. Dans un article publié fin décembre, les journalistes Laure Brillaud et Leila Minano dévoilent que 41% des lignes transfrontalières existantes en Europe ne sont plus opérationnelles. Elles soulignent également le sous-investissement chronique – « Sur les deux dernières décennies (…) dans toute l’Europe, (…) la route a bénéficié de 500 milliards d’euros de plus que le rail » – et la compétition acharnée que se mènent différents opérateurs pour expliquer les véritables casse-têtes qui entourent chaque achat d’un billet international.
Immeuble à couleurs et quartier bobo
En attendant, à la sortie du Nightjet, Vienne se découvre d’abord par le quartier Favoriten, au sud de la ville. Il est facile de se sortir des très modernes rues d’affaires qui le peuplent, de transiter par les Jardins du Belvédère puis d’aboutir dans des coins résidentiels plus calmes mais dotés de charmants bâtiments aux façades baroques ou d’Art Nouveau. La « Ville des rêves » abrite des incontournables, comme la très gothique cathédrale Saint-Etienne, la promenade en calèche, la découverte de l’Hôtel de Ville ou le Quartier des musées érigé dans les anciennes écuries impériales. Puis il y a le Vienne (un peu) moins connu. Celui des bords de Danube, rempli d’oeuvres de street-art. Ou encore celui du troisième arrondissement Landstraße, où se situe la fascinante Hundertwasserhaus, un immeuble né de l’imaginaire de l’architecte viennois Friedensreich Hundertwasser, qui a pensé l’ensemble en adéquation totale avec la nature, tout en multipliant les couleurs, les styles et les plantes.
Pour échapper à la foule, le pont Rotuden enjambe un petit bras du Danube et mène directement au Parc Prater. Le plus grand espace vert de la ville est doté d’un parc d’attractions où la célèbre Grand Roue tourne toute l’année avec ses authentiques nacelles. A l’une des sorties, le campus de l’université mérite le détour. Sorte de Louvain-la-Neuve up to date où l’on circule uniquement à pieds ou à vélo, il abrite toute une série de bâtiments neufs comme ce véritable navire suspendu qui semble constitué des différents pontons d’un paquebot. Partout, on ne s’étonne guère de croiser des femmes d’un certain âge avec un chapeau en fourrure se promener en trottinette électronique, des cyclistes trimballer des arbres ou des sportifs téméraires jouer au ping-pong en plein hiver. Une cité moderne et aux ambiances variées, comme à Neubau, le quartier dit « bobo » où se mélangent concept-stores, boutiques de vinyles et restos du monde. De là, la gare n’est plus qu’à un jet de pierres pour reprendre le Nightjet en sens inverse… le jour-même. La recette parfaite du city-trip sans avion et sans nuit d’hôtel.
En pratique
- Tarifs par personne (aller-retour): Place assise: dès 29,90 euros. En voiture-couchette: dès 49,90 euros. Cabine privatisée et lit: dès 89,90 euros.
- Fréquence: Tous les lundis, mercredis et vendredis soirs au départ de Bruxelles et de Liège. Tous les dimanches, mardis et jeudis soirs au départ de Vienne.
- Infos et réservations sncb-international.com oebb.at/en/
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