Quand les oeuvres d’art s’invitent dans les chambres d’hôtels (+ 5 adresses arty)
Pour déjouer la concurrence, l’hôtel s’est peu à peu transformé en lieu de vie. Désormais, il devient aussi un vecteur et un acteur de culture. Peinture, musique, littérature, spectacle… On ne se contente plus de décorer le lobby d’oeuvres clinquantes: on laisse les arts se promener dans tous les coins et aller à la rencontre des clients. Un luxe (souvent) de bon goût.
S’endormir aux côtés d’un portrait sur toile du XVIIIe, de vases chinois de la période Kangxi ou d’une sculpture de Bodhisattva issue de l’aube de notre ère: le pitch ressemble presque au film La Nuit au musée, mais c’est bien la promesse d’un hôtel parisien. Rouvert en grande pompe l’an dernier, le Lutetia a choisi de faire décorer sa suite présidentielle par un couple de collectionneurs, en partenariat avec le Carré Rive Gauche, une association de galeristes et d’antiquaires répartis au coeur de l’arty Saint-Germain. Jean-Louis Herlédan, son président, détaille le projet: « Nous voulions créer une expérience unique en offrant un panorama sur l’histoire des arts, de la préhistoire aux oeuvres contemporaines. Sans donner l’impression aux occupants de dormir dans un musée, mais dans un lieu décoré par des collectionneurs avertis. C’est une première. Quelques hôtels ont déjà essayé de reconstituer l’appartement d’une personnalité, comme celui de Coco Chanel au Ritz, mais sans présenter un grand nombre de sculptures ou de peintures originales. Ici, il y en a une trentaine, jusque dans les pièces d’eau. » Et elles valent jusqu’à une centaine de milliers d’euros la pièce…
Cela fait longtemps que les halls d’accueil, les salles de restauration ou les couloirs des palaces et autres établissements haut de gamme sont habillés par des oeuvres des plus grands noms de l’histoire de l’art. Et les vernissages sont désormais légion dans les hôtels. Mais avec cette installation dans l’intimité d’une suite, la tendance fait un pas en avant. « Cela se faisait uniquement dans les parties communes, car il y avait toujours cette appréhension de l’enfant qui prend un stylo sur le bureau et fait un gribouillage sur une toile; une chambre, c’est avant tout un lieu de vie, explique Jean-Louis Herlédan. Mais les différents acteurs du Carré Rive Gauche ont accepté de confier des oeuvres à titre gracieux (qui peuvent être achetées par les hôtes, NDLR). C’est un élément positif pour notre image, et cela a déjà généré de nombreuses visites de nos galeries. »
Eloge de l’ultralocal
A côté de la notion de « vivre une expérience » – chouchou du secteur touristique depuis quelques années -, celle de « voisinage » séduit de plus en plus l’hôtellerie. L’idée: associer à l’enseigne un talent né et élevé sur place, histoire d’intégrer le lieu dans un tissu local, lui donner ce cachet d’authenticité qui guide les voyageurs dans leurs choix. « Les hôtels sont des lieux de séjour, de business, de divertissement, et ils doivent servir les intérêts de leur environnement. C’est particulièrement vrai pour les arts. Nous nous appuyons toujours sur des partenaires locaux, explique Hugo Vincente, directeur « brand & culture » pour le groupe américain ASH Hotels qui excelle dans la conception de ce type d’établissements. Pour The Siren Hotel, nous avons eu la chance d’être introduits auprès de Bill Rauhauser, photographe basé à Detroit qui avait une grande collection de clichés de la ville, capturée avant sa faillite économique, et qui dépeint un art de vivre qui nous a beaucoup inspirés. Nous avons obtenu l’autorisation de distribuer son travail, mais aussi d’utiliser des tirages dans chaque chambre. »
Pour public averti
De nombreux fleurons de l’hôtellerie-restauration vendent désormais bien plus qu’un cocon confortable pour la nuit ou un repas de qualité: c’est tout un style de vie que les clients viennent chercher. « Alors qu’autrefois, un lieu pouvait être suffisamment attirant grâce au confort des logements, ou à sa localisation, les hôtels ont dû se différencier dans un secteur de plus en plus saturé. L’art et la culture ont contribué à cette différenciation quand les chefs célèbres, les installations incroyables ou les spas sont devenus des éléments qui passent presque inaperçus. » La formule peut sembler facile à reproduire, mais la réalité est toute autre, au-delà de la recherche de cohérence de l’ensemble du projet, il convient d’avoir du flair sur le choix des artistes et de la subtilité dans la mise en place. « Les clients sont perspicaces et au courant de ce qui se fait, note Hugo Vincente. La plupart du temps, ils apprécieront une interaction culturelle cohérente par rapport au lieu, mais ils seront aussi capables de repérer les gimmicks et ce qui n’est pas authentique. » Le voyageur entend s’imprégner de l’âme des lieux, percevoir l’esprit de la communauté à laquelle il espère prendre part pour découvrir la destination. En intégrant notamment la culture, l’hôtel tente de prouver qu’il peut être cet acteur de la « vraie vie » face, notamment, aux locations d’appartement.
Toutes les gammes
« Les hôteliers ont été très concurrencés ces dernières années, notamment avec la montée en puissance d’Airbnb et toutes les alternatives de séjour… Ils ont du mal à renouveler leur clientèle et à attirer la jeune génération en quête d’expériences uniques et inoubliables à partager sur les réseaux sociaux », décrypte Oytun Saritayli, marketing manager d’EquipHotel, salon bisannuel de référence pour les tendances hôtelières. L’experte cite en exemple le très sélect groupe Soho House qui possède une collection privée impressionnante, entre Damien Hirst et Tacita Dean, ou encore L’Arlatan à Arles, un ensemble médiéval confié au plasticien Jorge Pardo par la mécène Maja Hoffmann (Fondation LUMA). Par-delà les adresses de prestiges acquises à la cause, Oytun Saritayli note que les hôtels plus « grand public » ont déjà rejoint la danse: « Le groupe Accor, notamment, organise des concerts dans certains de ses Ibis styles. Et les 25hours hotels s’inspirent fortement des lieux où ils s’implantent, développant une démarche de « dénicheurs et placeurs d’oeuvres d’art » dans leurs établissements. »
De son côté, Marion Szabo, responsable commerciale en charge du design et du mobilier pour le salon, pointe la diversité des initiatives créatives qui participent à la création d’une « atmosphère unique de souvenirs de l’hôtel en tant que destination » et tendent à faire de l’établissement un lieu de rendez-vous récurrent. « Aux arts plastiques et à la littérature, se mêlent les compositions florales et végétales, l’atmosphère olfactive ou musicale, et bien sûr les techniques artisanales utilisées pour fabriquer les mobiliers et la décoration. A chaque hôtel son identité, son image. »
Et la musique fut
Des catalogues de films confiés à des cinéphiles, des bibliothèques garnies par des auteurs ou des critiques de renom, ou des playlists composées avec soin: sur le terrain musical aussi, les hôtels sont sur la balle. Certains vont même jusqu’à enregistrer leur propre album, comme l’a fait le parisien Molitor. Non pas une compilation à la Buddha-Bar, mais un véritable panorama d’artistes émergentes – comme la Belge Claire Laffut – avec lesquelles l’enseigne a produit des chansons inédites. « Quand l’album a été entendu en live sur place pour la première fois, c’était indéniable qu’il avait été fait pour ce lieu, se rappelle Stan Neff, le producteur. Les chanteurs ont joué le jeu, à l’instar du titre qui évoque le vocabulaire lié à la piscine ». Car le 5-étoiles est connu pour son grand bain autour duquel se déploient les étages des chambres et les mythiques cabines. « Voilà pourquoi nous avons choisi des voix féminines. Molitor a été un acteur de libération de la femme: c’est ici qu’on a vu les premiers bikinis. » Chaque interprète a pu s’imprégner de l’ambiance en séjournant à l’hôtel avant de passer en studio. « Il y a une liberté artistique totale avec un projet comme celui-là, s’enthousiasme Stan Neff. Pas d’obligation de vente d’albums, par exemple. En plus, on avait choisi de le sortir d’abord en vinyle, illustré par un street-artiste. Pour l’écouter ou se le procurer, il fallait venir sur place. La diffusion streaming n’est venue qu’après. » L’hôtel, devenu une sorte de mécène, y a gagné en visibilité, tandis que certains clients réservent désormais une chambre afin de s’imprégner de l’énergie d’un lieu où fut tourné le clip de la chanson Nude (Claire Laffut et Yseult). Un nouveau mariage entre hospitalité et création qui a tout d’une formule gagnant-gagnant…
Pour un repas surréaliste
Situé à Majorque, le Belmond Residencia a accroché pas moins de 33 oeuvres originales signées par Miró dans sa salle de restaurant. Les toiles sont prêtées par la succession de l’artiste jusqu’en septembre 2020. L’hôtel propose aussi des visites guidées du village d’artistes de Deià, en compagnie d’une conservatrice locale.
Pour un coup de blues
Dans le berceau du jazz, l’Ace New Orleans joue la partition musicale jusqu’au bout, avec des vinyles et une platine dans les chambres, un club apprécié des têtes d’affiche et des aficionados du coin. L’établissement s’implique même dans la réédition de musique locale oubliée.
Pour un déjeuner littéraire
Pour prendre un petit-déjeuner à côté d’un écrivain en plein processus créatif, les initiatives se multiplient un peu partout. C’est notamment le cas à l’hôtel The Standard, dans l’East Village new-yorkais, qui travaille en partenariat avec la revue littéraire britannique Paris Review afin d’accueillir des artistes en résidence.
Pour une croisière poétique
Parfois, l’art s’invite sous la forme de spectacles. C’est le cas chez MSC Croisières, qui a signé un partenariat avec le célèbre Cirque du Soleil afin d’offrir des shows poétiques et vibrants à bord de ses navires. Non pas ceux que l’on trouve déjà sur la terre ferme, mais bien des créations inédites.
Pour un sommeil inspirant
Géré par des collectionneurs, l’hôtel Burrus, à Vaison la Romaine, a flairé la tendance avant l’heure. Chaque année, ses 35 chambres sont investies par des peintres, des photographes ou des plasticiens qui disséminent leurs créations dans toutes les pièces. Une manière de mettre en lumière les artistes de la région, tout en permettant aux voyageurs de les rencontrer intimement le temps d’un festival baptisé Supervues.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici