Quel avenir pour les côtes françaises, menacées par la montée des eaux?
Reculer dans les terres un camping littoral ou une ferme d’agneaux de prés-salés: des projets de « repli stratégique » voient le jour en France, face à la mer qui grignote les côtes mais l’argent manque pour financer ce grand déménagement pourtant inéluctable avec le changement climatique.
Dans le nord de la France, dans la commune normande de Quiberville, « on a décidé de relocaliser notre camping », actuellement à 50 m du rivage, « ici à 700 m de la mer pour éviter les inondations qui ont meurtri ce camping et pour prendre en compte le changement climatique, le recul du trait de côte », explique Jean-François Bloc, maire depuis 34 ans de cette petite station balnéaire. Derrière lui, s’affairent les pelleteuses sur le terrain du futur « camping nature » annoncé pour l’été 2023.
Avec le réchauffement de la surface des océans, la fréquence des cyclones (ou ouragans ou typhons) plus intenses augmente. Le risque de phénomènes de vagues-submersions (aussi appelées submersions marines) s’amplifie aussi, provoquant notamment des inondations.
Ce « repli stratégique » dans les terres face aux risques est prôné depuis une dizaine d’années par les autorités françaises, après des décennies « où on a bétonné un peu partout » et accéléré ainsi l’érosion, selon un haut fonctionnaire. La tempête Xynthia, qui a fait 59 morts dans plusieurs pays d’Europe occidentale en 2010, a également marqué un tournant.
La mise en oeuvre de cette « relocalisation » demeure pourtant « très rare », souligne Stéphane Costa, référent scientifique.
Pour lui, il est « urgent » d’agir. D’ici 2100, le niveau de la mer devrait augmenter d’un mètre environ. Et « au moins 50.000 logements » devraient être concernés en France par l’érosion et par le risque de submersion, selon les autorités.
Face au recul du trait de côte, le maire de Quiberville vient d’exproprier pour destruction une maison en bord de falaise. Ce n’est ni la première, ni la dernière. Et le camping en bord de plage, poumon économique de la commune, a été inondé plusieurs fois dans les années 2000.
« En 1999, on a eu 140 caravanes qui flottaient. En 1977, j’ai vu la mer casser la route. Les morceaux de béton sautaient, c’était comme un bombardement. On peut assister à nouveau à ça », souligne M. Bloc.
« Pendant des décennies, ce territoire comme tant d’autres, a lutté contre la nature. Aujourd’hui au lieu de faire des murs, mettre des pompes, on choisit d’enlever les équipements submersibles pour ouvrir la vallée à la mer », explique Régis Leymarie, coordinateur du projet.
Après le déménagement du camping, le tuyau étroit (1,5 m de diamètre) par lequel le fleuve de la Saâne se jette actuellement dans la mer, va être remplacé par un pont de 10 m de longueur. En 2025, le fleuve retrouvera ainsi un lit plus large, et les campeurs n’auront plus la vue sur la plage mais sur la vallée.
Sans fonds européens, pas de projet
Et « un jour ou l’autre, il faudra (aussi) déplacer » la route littorale « très fortement menacée », avertit M. Costa.
Ce projet est « une première étape », qui a déjà mis dix ans à aboutir, souligne Nicolas Leforestier, président du syndicat des bassins versants de la Saâne.
Il n’a dû son salut qu’à l’obtention de fonds européens. Le nouveau camping évalué à 8,7 millions d’euros a été financé à environ 70% par l’UE et à 30% par les collectivités locales.
Car en « France il n’y a quasi pas d’argent pour l’adaptation au changement climatique », constate M. Leymarie.
A 40 km de Quiberville, Criel-sur-Mer mène aussi une « étude pour laisser entrer la mer ». Mais au-delà du financement, « le repli stratégique, il va se faire où? », alors qu’il faut éviter l’artificialisation des terres agricoles, interroge le maire Alain Trouessin.
Flambée de l’immobilier
A Montmartin-sur-Mer (nord-ouest), David Lecordier, éleveur de moutons de prés-salés s’est fait lui aussi à l’idée de quitter son « cadre idyllique resté un peu sauvage ». Le Normand a vu un hectare de la ferme héritée de ses parents partir à la mer et trois autres devenir inondables.
Mais le prix que lui propose le Conservatoire du littoral pour racheter ses terres est loin de financer son projet d’achat de gîtes pour accueillir des touristes un peu plus loin du rivage.
« On va pas non plus aller à 20 km dans les terres », où l’immobilier est moins cher mais « où les touristes ne passent pas », argumente-t-il.
Au total, « l’impact financier de l’érosion est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros », selon l’Association nationale des élus du littoral (ANEL).
Interrogé par l’AFP, le ministère français de la Transition écologique indique « réfléchir » à la question des financements à long terme, qui pourront inclure le privé, et souligne avoir débloqué 10 millions d’euros en tout pour 2021-2024 pour Gouville-sur-Mer (Normandie), Saint-Jean-de-Luz et Lacanau (Sud-Ouest). « S’il y avait eu plus de territoires matures, on aurait pu accompagner plus de territoires », assure-t-on.
A l’exception du déplacement dans les terres de parkings à Saint-Jean-de-Luz et d’un poste de secours et d’une boutique à Lacanau, les 10 millions –même abondés par les collectivités– ne financent dans les faits pas de travaux de relocalisation mais uniquement l’étude du déménagement de campings, habitations, commerces, station d’épuration, selon les collectivités concernées.
En attendant, Lacanau (5.000 habitants) projette une digue à 30 millions d’euros en co-financement, après avoir constaté « l’infaisabilité financière et juridique » du déplacement de 1.200 logements évalués à 300 millions d’euros en 2013.