Le long de la côte sud-ouest du Groenland se déploie un décor magique de fjords aux eaux cristallines, de glaciers imposants et d’icebergs vertigineux. Embarquez à bord d’un luxueux brise-glace pour une expérience unique, à la découverte de la culture inuit et d’une nature à l’état le plus pur.
Depuis le hublot de l’avion, le Groenland éblouit: fjords aux sommets acérés, eau d’un bleu profond semée de glaçons, et, au-delà, l’immense calotte glaciaire qui gonfle comme un coussin et remplit tout l’horizon. Le Groenland est un nom aussi trompeur que poétique. Car il n’est pas aussi « vert » que ce qu’il indique. Mais il a été imaginé par le Viking norvégien Erik le Rouge pour attirer des colons. Les peuples autochtones, les Inuits, appellent d’ailleurs leur pays Kalaallit Nunaat, «le pays des hommes».

Luxueux navire
L’arrivée se fait à Nuuk, capitale de l’île. Des maisons en bois aux couleurs de bonbons tranchent avec les sommets enneigés. Dans le port, le Commandant Charcot scintille au soleil: notre hôtel flottant pour les deux prochaines semaines. Ce brise-glace élégant de la compagnie française Ponant, baptisé en hommage au pionnier polaire Jean-Baptiste Charcot, est une prouesse technique. Premier navire d’expédition français à atteindre le pôle Nord géographique — le sommet de la Terre — il peut briser jusqu’à deux mètres et demi de glace. Avec sa certification Polar Class PC2, il appartient à la deuxième classe de brise-glaces la plus élevée.

Mais le Charcot n’est pas qu’un concentré de puissance: c’est aussi un navire responsable. Grâce à une motorisation hybride électrique alimentée au gaz naturel liquéfié, il émet moins de CO₂ et de particules fines que les navires classiques. L’eau potable est produite à bord en filtrant l’eau de mer, puis embouteillée dans des flacons en verre réutilisables. À chaque voyage, une équipe de scientifiques embarque: depuis les deux laboratoires, des sondes sous-marines sont mises à l’eau et des mesures sont effectuées pour améliorer la compréhension du climat polaire. Ce navire marie ainsi aventure, confort et science.
La silhouette de ce bateau imposant nous mènera bientôt vers des lieux où le monde habité s’arrête. L’équipage, tiré à quatre épingles, nous accueille dans un lobby élégant. Après le briefing de sécurité obligatoire, coupe de champagne en main, direction la cabine: lit king-size, coin salon avec balcon, salle de bains et produits haut de gamme, minibar et corbeille de fruits frais. Sur le lit, deux parkas orange — indispensables lors des excursions, et, plus tard, souvenirs palpables du voyage.

Pause baleines
À bord, deux restaurants gastronomiques signés par le chef étoilé Alain Ducasse, une piscine couverte, un pont extérieur avec brasero et lagune chauffée, un spa avec sauna et «chambre de neige», des bars feutrés et une salle de sport vitrées. Les teintes sable et les matières douces reflètent la quiétude et la force du paysage polaire. Au Salon Anori, l’apéritif est servi. Ferdinand, le barman philippin, shake une exquise création. Et moins d’une demi-heure plus tard, la voix du capitaine annonce des baleines à proximité. Parkas enfilées, nous nous précipitons dehors. Au loin, gerbes d’eau et dos sombres glissent lentement sur le bleu d’acier. Le ton du voyage est donné!

Le soir, le restaurant Nuna ouvre ses portes et propose un consommé clair de légumes, carpaccio de courgettes, bar croustillant à la sauce citronnée, pommes caramélisées et glace au yaourt — tout est exécuté à la perfection. Service digne d’un étoilé. À travers les baies, les premiers blocs de glace défilent, bleutés dans la lumière du soir. Digestif servi au bar de l’observatoire, face à la proue, un saxophoniste installe une ambiance chaude et intime.

Leçon d’icebergs
Au petit matin, le zodiac accoste à Sisimiut, une bourgade aux maisons colorées. Au loin, on entend les aboiements des chiens prêts à tracter un traîneau. Après une balade, on s’installe à quatre sur la grande luge, recouverte d’épaisses couvertures. Jens, le musher siffle et les treize chiens s’élancent. On glisse au travers d’un paysage immaculé, franchissant un lac gelé qui miroite dans la lumière du matin. Les chiens halètent et tirent de toutes leurs forces sur la pente. Leur souffle fait des nuages dans l’air piquant, si frais qu’il crépite presque. Au cœur de ce blanc absolu, le paysage subjugue par sa simplicité. Le silence est si intense qu’il en devient palpable.

Le Commandant Charcot met le cap sur la baie de Disko, elle s’étend sur des centaines de kilomètres. Après un petit déjeuner léger — œufs et caviar — nous parcourons le pont-promenade de 300 mètres qui entoure le navire. Les bancs chauffés par la chaleur résiduelle des moteurs protègent du froid. Le panorama est captivant: chaîne de montagnes infinie dessinée au pinceau fin et brume féerique sur l’eau.
Au travers d’une longue-vue, on aperçoit un iceberg démesuré. Et d’autres suivent, sous toutes les formes, tailles et nuances de bleu.
De l’Arctique au Titanix
Le capitaine Étienne Garcia explique que ces icebergs proviennent du glacier Jakobshavn, l’un des plus actifs au monde. Il se jette dans le fjord glaciaire d’Ilulissat, site du patrimoine mondial de l’UNESCO et foyer de générations d’Inuits depuis des millénaires. C’est sans doute ici qu’est né l’iceberg qui a fait couler le Titanic. Il détaille aussi la différence entre glace terrestre et glace de mer, entre growlers (petits fragments de glace de moins d’un mètre), bergy bits (mesurent entre un et cinq mètres) et icebergs (au moins 500 m² de surface).
Plus ils sont bleus, plus ils sont anciens et compacts. Et l’expression «la partie émergée de l’iceberg» est littéralement vraie: à peine 10% émergent. Une muraille d’azur glisse le long de la coque et est vieille de milliers d’années.

Rando glacée
Dans la nuit, cap au nord — le mercure chute. La mer se fige, et le navire, frémissant, force davantage. À l’aube, à hauteur du village de Qasigiannguit, les moteurs s’arrêtent. Des voix montent de la banquise: l’équipe d’expédition mesure l’épaisseur de la glace à l’aide de longues perches métalliques. Avec un peu de chance, nous ferons notre première randonnée sur la glace et peut-être une ascension. Après une demi-heure d’inspection, feu vert. Dehors, -10 °C. Crampons, baudriers, piolets: nous posons nos premiers pas sur la mer gelée. La coque semble coincée dans la glace, nulle eau n’est visible. Petit briefing par Ludo, guide de montagne. Fusil vissé sur le dos, il met en garde: «des ours polaires vivent ici».

Encordés, nous escaladons rochers moussus et pentes glacées, nous nous enfonçons parfois jusqu’aux hanches dans la poudreuse. Une passagère chinoise glisse en tentant un selfie; son iPhone disparaît dans une fissure. «La distraction peut être fatale ici. La concentration est primordiale», sermonne Ludo. Après quelques heures, nous atteignons le sommet, fourbus et en sueur. Le soleil perce. En contrebas, notre navire semble minuscule, immobile et prisonnier de la glace. La magie opère.
On ne vient pas ici pour être vu, mais pour voir ce que l’on ne voit nulle part ailleurs.
Retour à bord: nouveau craquement sourd de la glace. La brume tombe, l’atmosphère se fait plus mystérieuse. La corne retentit pour prévenir pêcheurs et chasseurs locaux, souvent sans radio. Sur l’hélideck, à nos côtés, on rencontre un couple d’aventuriers norvégien, Eli et Ariane, routards de l’Arctique. «On ne vient pas ici pour être vu, dit Ariane en souriant, mais pour voir ce que l’on ne voit nulle part ailleurs.» À peine ses mots dissipés qu’un passager crie: «Un ours!» Sur les plaques verglacées, se déplace cet animal polaire — nanoq en groenlandais. Il progresse, prudent, puissant et élégant, avant de disparaître dans la brume.
Chasseurs inuits
Le Charcot frémit en poursuivant sa route vers le nord, à travers la baie de Baffin, l’une des mers les plus froides au monde. La glace dépasse deux mètres. Par moments, le navire rebrousse chemin, cherche un autre passage. Sous un soleil brillant, nous pénétrons dans un fjord pour trouver un site de débarquement. Au loin, deux chasseurs inuits arrivent à toute allure en traîneau. Ils agitent les bras: nous ne sommes pas les bienvenus.
C’est leur territoire de chasse, sur la banquise, ils traquent le phoque, dont la viande et la peau les aident à passer l’hiver. Notre présence ferait fuir le gibier.
Au rythme des habitants
Le capitaine Garcia n’hésite pas et effectue un lent demi-tour. Ici, les règles sont celles des habitants, pas celles d’un navire high-tech. L’arrivée se fera quelques dizaines de kilomètres plus loin. Nous enfilons nos combinaisons thermiques et restons bouche bée devant le spectacle irréel. L’air est glacé, à gauche, à 150 kilomètres, le Canada; à droite, le Groenland et sous nos pieds, plus d’un kilomètre d’eau.

La vie à bord
Au fil des jours, la vie à bord trouve son rythme. Les matins, séances de sport face à une nature intacte, jus frais au bar detox, sauna ou massage. Dîners et soupers raffinés qui font sourire même les palais les plus exigeants et spectacles de danse ou de chant le soir. Entre-temps, scientifiques et historiens donnent des conférences sur le changement climatique, l’environnement et la culture groenlandaise. Et quand le temps se montre trop capricieux pour une excursion, on savoure le simple fait de rester à l’intérieur, près d’un hublot, à contempler ce paysage qui défile lentement. Impossible de se lasser. Le craquement de la glace contre la coque devient un son familier, apaisant.

Retour vers le passé
Après deux jours en mer, on atteint Qassiarsuk, au sud du Groenland, unique région agricole de tout l’Arctique. Erik le Rouge s’y établit en 985, et l’on y voit encore les traces de cette première colonie. Aujourd’hui, à peine quarante habitants vivent d’agriculture et d’élevage — ou plutôt survivent, car on peine à imaginer comment ils traversent les longs mois d’hiver, dans leurs petites maisons de bois. On nous observe de loin, puis chacun reprend son travail comme si nous étions invisibles. Des enfants jouent sur des motoneiges immobiles; une vieille dame nettoie un seau de poissons sur sa terrasse. Dans un petit café, flottent des effluves de bois brûlé et de mer. Sur le comptoir, de la viande de baleine séchée — qu’on décline poliment. Une bonne soupe fumante nous réchauffe en un instant.

Plus au sud, halte à Qaqortoq, ville au passé singulier: l’explorateur Knud Rasmussen et le pionnier de l’aviation américaine Charles Lindbergh y ont séjourné tous deux, dans le plus ancien bâtiment de la ville — jadis hospice, aujourd’hui musée. L’eau est presque libre de glace; en zodiac, nous remontons un fjord jusqu’à un endroit où la vie semble s’arrêter. L’eau clapote, l’air est clair et vif. À terre, nous marchons sur des collines ondulées couvertes de mousse roussâtre, souple sous nos bottes étanches. Les teintes et le relief évoquent un paysage écossais, en plus rude et plus silencieux.
À l’horizon, de la vapeur de sources chaudes s’élèvent. On enfile nos maillots avant de glisser lentement dans une eau tiède. Le fond est doux, presque spongieux. La peau picote, les muscles se relâchent avec une odeur de terre et de souffre dans les narines. Le temps, pour un instant, semble réellement suspendu.

Destination finale
La perle du sud est enfin atteinte: le fjord Prince Christian Sund. De part et d’autre de ce dernier, des murailles de granit se dressent à pic, entaillées par des langues glaciaires qui descendent lentement de l’intérieur des terres vers la mer. L’eau bleu profond n’est pas encore complètement prise et la météo est idéale pour le kayak. On enfile nos combinaisons. Le froid pique à travers les gants, les doigts picotent. Nous pagayons à distance prudente d’un glacier imposant, sculpture laiteuse qui gémit sous son propre poids. De gros flocons de neige voltigent. Le Groenland n’est pas une destination que l’on coche, c’est une expérience qui continue de vibrer longtemps.
En pratique
- Le Groenland est une région autonome du Danemark, mais un passeport international est requis. Air Greenland, en collaboration avec KLM, vous emmène de Bruxelles à Nuuk via Copenhague en 9h15. Toutefois, de nombreuses croisières partent d’Islande vers le Groenland, ce qui rend les vols nettement plus avantageux. Bruxelles–Nuuk à partir de 1 150 € A/R – airgreenland.com, Bruxelles–Reykjavik à partir de 367 € A/R – icelandair.com
- Ponant propose divers itinéraires dans la zone arctique, le long de la côte groenlandaise. À bord du navire d’expédition hybride Le Commandant Charcot, vous dormez dans l’une des 134 suites ou cabines, de20 à 115 m², toutes dotées d’une salle de bains, d’une grande baie coulissante et d’un balcon privé.
Croisière de 16 jours tout compris vers le Groenland occidental, le 28/04/2027, à partir de 21.690 € par personne (hors vols).
Quand s’y rendre?
La saison des croisières s’étend de mai à septembre. En été, les jours sont extrêmement longs (soleil de minuit), les fjords plus accessibles et la mer plus stable. En septembre, premières chances d’aurores boréaleset conditions d’expédition agréables.
Groenland immaculé
Plus grand île du monde, le Groenland est couvert à 80% de glace. Au centre, cette couche atteint trois kilomètres d’épaisseur. Le pays est si vaste qu’il compte trois fuseaux horaires, mais si peu peuplé que certains hameaux ne dépassent pas trente habitants. La calotte est inhabitable; hommes et animaux vivent contraints le long des côtes. Sur 56.000 habitants, plus de 80% sont Inuits, citoyens danois d’une région autonome. Pour la plupart, la vie reste intimement liée à la chasse et à la pêche, comme depuis des générations.
Aucune route ne relie les villes et villages — seulement montagnes, fjords et glace éternelle. On voyage en bateau, hélicoptère ou petit avion à hélice (si la météo et le budget le permettent). Pour les courtes distances: traîneaux à chiens, motoneiges et kayaks. Le sol rocheux et le climat rude laissent peu de place à l’agriculture; les denrées fraîches, mais aussi matériaux de construction, vêtements, etc., sont importés. Un monde isolé, âpre et fascinant.
Plus d’infos: visitgreenland.com
Texte: Sonja Peeters, photos: Tom Van Noten