Alain Hubert, explorateur: « Le plus grand danger, ce n’est pas le froid, c’est l’inaction »

Anne-Françoise Moyson

Cofondateur de la Fondation polaire internationale, Alain Hubert (1953) a relancé la recherche belge sur le continent antarctique, notamment à travers la station Princesse Elisabeth. A l’affiche de 2050, documentaire sur le travail scientifique de cette base zéro émission, il est aussi ambassadeur Rolex, marque horlogère qui soutient la climatologie via son Initiative Perpetual Planet.

La nature comme école, la montagne comme maître. J’ai grandi à côté de la forêt de Soignes et mes premières expéditions, je les ai faites dans les bois. Puis, à 15 ans, j’ai découvert la montagne en Autriche. Seul au-dessus des nuages, comme dans un tableau de Caspar David Friedrich, j’ai eu une révélation. J’ai su que ma vie passerait par cet environnement qui m’a appris l’humilité. En montagne, on ne lutte pas contre les éléments, on se bat contre soi-même. Cela m’a préparé aux espaces polaires et m’a enseigné que notre plus grande capacité, celle qui nous différencie des autres espèces, est notre faculté d’adaptation. Face à l’adversité, il faut ajuster son comportement pour avancer.

Il importe de passer du rêve pour soi à la responsabilité pour tous. J’ai eu 15 ans en 1968. Je suis issu d’une génération qui a eu la certitude qu’elle pourrait changer le monde. Cette évidence m’a rattrapé à l’aube des années 2000: j’ai vu dans la rue deux gamins qui se prenaient pour Dixie Dansercoer, mon partenaire dans la traversée à pied de l’Antarctique en 1997, et moi. Ils s’amusaient à rejouer notre expédition avec une caisse de fruits en carton. Un déclic. J’ai compris que ce que je faisais avait un impact. J’ai alors créé une fondation avec ma femme. On fait d’abord les choses par instinct, puis on en réalise la portée dans le regard des autres. Ma vie est celle d’un solitaire qui a su accepter de se laisser interpeller par autrui. Seul, on tourne en rond.

Le plus grand danger, ce n’est pas le froid, c’est l’inaction. C’est ma 21e saison en Antarctique, et j’y ai appris une règle essentielle: quand une tempête se lève, il ne faut jamais s’arrêter, sous peine de mourir. Cette vérité s’applique aussi à la crise climatique. Les solutions existent, mais l’inaction est alimentée par l’immobilisme politique et la peur du changement. Chaque année est une occasion manquée de renverser la tendance. La transition écologique ne peut plus être un concept abstrait, il faut cesser de repousser les décisions cruciales. Les Etats doivent modifier leur fiscalité pour encourager des comportements durables et donner aux citoyens les moyens d’agir. L’écologie ne doit pas être une contrainte punitive, mais une force motrice d’innovation et d’amélioration.

L’impossible n’existe que pour ceux qui y croient. J’aime beaucoup cette histoire qui raconte qu’un groupe d’hommes s’endort en pensant que son projet est irréalisable… et se réveille à cause du bruit de ceux qui, ne sachant pas que c’était impossible, sont en train de le réaliser. C’est ce qui s’est passé pour la station Princesse Elisabeth. Lorsque j’ai proposé ce nom, on m’a opposé un refus catégorique: «Impensable, il faut protéger la famille royale.» Ce à quoi j’ai répondu: «Il va falloir faire une exception…»

‘Ma vie est celle d’un solitaire qui a su accepter de se laisser interpeller par autrui.’

L’échec n’est pas une fin, c’est un passage. Notre société est tétanisée par l’échec, elle le stigmatise, alors qu’il est un élément fondamental de l’apprentissage. Dans l’Antarctique, chaque mission est une leçon de modestie: on ne triomphe pas toujours. L’exploration m’a enseigné que l’échec n’est pas un mur, mais une porte vers une meilleure compréhension. Trop souvent, nous cherchons à tout sécuriser, à nier le risque. Mais avancer, c’est accepter que l’on puisse tomber, et surtout, savoir se relever.

L’espoir peut surgir là où l’on ne l’attend pas. La Belgique a toujours joué un rôle majeur dans l’exploration polaire, bien au-delà de sa taille géographique. Nous avons été l’un des douze pays fondateurs du Traité sur l’Antarctique et notre implication scientifique y est reconnue. Je ne suis pas sûr que nous réalisions à quel point l’Antarctique est un laboratoire du futur, ni que notre pays occupe une place essentielle dans ce processus. Pourquoi? On a compris qu’il fallait travailler avec les autres.

Le mystère nourrit l’exploration. L’exploration ne se résume pas à des chiffres et des données, elle repose aussi sur une part d’inconnu. Si tout était calculé, optimisé, rationalisé, il n’y aurait plus d’élan, plus de désir. Ce mystère, c’est ce qui nous pousse à aller plus loin, à défier les limites. Plus j’avance, plus je sais que je ne sais rien. L’humilité permet d’ouvrir de nouvelles perspectives.

2050, d’Eric Goens, en salle. rolex.org, polarfoundation.org

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