Sur la route du thé en Turquie, un intense voyage entre mer et montagne

Turquie thé
© Sebastiaan Bedaux

Bienvenue dans le nord-est de la Turquie, où se cachent des paysages de montagnes à couper le souffle. Une escapade aussi courte qu’intense à travers des décors verdoyants qui forment le berceau du thé turc.

«Rakim: 1000, nüfus: 1». Traduction de ce message inscrit sur le panneau en bois au-dessus de la clôture rouge: nous nous trouvons à 1.000 mètres au-dessus du niveau de la mer et le village que nous contemplons, de l’autre côté de la gorge d’un vert profond, ne compte qu’un seul habitant. Cette personne, c’est Osman, un Turc sympathique qui tient à sa vie privée et qui, pour cette raison précise, vit sur un flanc de montagne presque inaccessible. Le seul moyen d’entrer et de sortir de sa cabane est d’emprunter une cage rouge accrochée à un câble très fin. Nos genoux flageolants trahissent notre peur de ce qui va suivre: un voyage dans un «téléférik» branlant au-dessus d’un décor vertigineux. 

«Ce n’est pas le seul téléphérique de Turquie, mais c’est le plus unique», explique Volkan, notre guide dans cette région de la mer Noire où se côtoient mer, montagnes et frontière terrestre (avec la Géorgie). Volkan n’a jamais fait la traversée lui-même, mais il est plus enthousiaste et confiant que nous. Nous nous installons dans la cage, sifflons pour signaler que nous sommes prêts à Osman et sentons l’appareil se mettre en branle. La crainte fait rapidement place à l’émerveillement, grâce à un décor verdoyant et montagneux qui semble s’étendre à l’infini. «Je suis fier d’être turc, et je le dis sans me vanter: c’est l’un des pays les plus diversifiés au monde.» 

Thé et cornemuse

Après un petit-déjeuner chez Osman, quelques litres de thé turc inclus – le pays est le cinquième producteur de thé au monde, et il est justement produit ici –, notre chauffeur s’enfonce dans les montagnes au volant de son 4×4, sur des routes de campagne cahoteuses et le long de précipices redoutables, jusqu’à Pokut Yaylası, niché dans les Pontiques. Au loin, on aperçoit Kaçkar Dağı, le plus haut sommet de cette région de la mer Noire avec ses 3.937 mètres. Mais nous sommes distraits par les cabanes en bois du village qui s’étend devant nous, le son des cloches de vache, l’odeur du fromage fondu et les prairies herbeuses qui descendent en pente raide pour se jeter dans de vastes forêts de conifères. 

Le jardin de thé de Çeçeva, la plantation de thé la plus spectaculaire de Turquie. © Sebastiaan Bedaux

Ici ou là, on croise des touristes portant le hijab. «Cette partie de la Turquie est un peu plus conservatrice que le reste du pays, confie Volkan. Nous ne recevons pas beaucoup de voyageurs européens. En revanche, nous attirons beaucoup d’Arabes, qui viennent ici surtout pour la nature. Ils passent parfois des journées entières à pique-niquer dans l’herbe, parce qu’il n’y a pas d’herbe qui pousse dans leur pays.» Dans un chalet de montagne voisin, nous commandons un «sucuk», une saucisse de bœuf dans un petit pain, tandis que le jeune homme à côté de nous fait siffler sa cornemuse turque et que les nombreux randonneurs remuent leurs jambes fatiguées au rythme de la musique. 

La beauté de l’eau

Le lendemain matin, nous mettons le cap vers la Géorgie, mais nous bifurquons juste avant la frontière vers Borçka, capitale peu inspirante de la province d’Artvin. Les routes sont d’une qualité exécrable, mais la nature environnante compense largement les cahots, avec ses imposants ponts de pierre qui rappellent le Mostar bosnien. Nous passons devant des cascades, des ruisseaux sinueux (où se pratique le rafting en eaux vives pendant les mois les plus humides) et des falaises abruptes, pour finalement nous arrêter à Karagöl, l’une des nombreuses merveilles naturelles de la région. Karagöl signifie «lac noir», mais, comme la mer Noire, le lien entre son nom et sa couleur est flou. L’eau de ce fabuleux lac de montagne est d’un magnifique vert olive, se fondant parfaitement dans l’environnement boisé du parc naturel. 

Karagöl, le magnifique lac de cratère à deux pas de la frontière géorgienne © Sebastiaan Bedaux

Sur le chemin du retour vers Rize, où nous avons réservé un hôtel et qui fut d’ailleurs la dernière ville de l’Empire romain, nous nous arrêtons à la cascade de Mençuna, le spécimen le plus impressionnant de toute la région, où l’eau s’écrase 100 mètres plus bas afin de créer une piscine naturelle. Au menu pour y accéder: 700 marches… mais la vue est exceptionnelle. 

© Sebastiaan Bedaux

Route vertigineuse

Au réveil, nous repartons vers les hauteurs. «La Turquie possède aussi de nombreuses régions côtières magnifiques, mais ici, l’attraction principale, ce sont ces montagnes qui se jettent presque dans la mer. Et pour nous, Turcs, l’eau est bien trop froide pour une baignade.» 

La gastronomie, elle aussi, possède sa propre identité. «La mer Noire influence beaucoup notre cuisine. Alors que dans le sud de la Turquie, on sert beaucoup de viande, ici, nous mangeons plus de poisson.» Pendant le trajet vers Ayder, un plateau montagneux regorgeant d’hôtels et de restaurants fréquentés par des touristes arabes, nous cherchons à comprendre l’attrait de cette foule pour les lieux. Mais Volkan ne comprend pas trop non plus pourquoi l’endroit est si populaire. 

Heureusement, notre destination finale se situe un peu plus loin, et surtout plus haut. Notre véhicule tout-terrain vrombit et rugit à chaque virage en épingle à cheveux en direction du Huser Highland. Cette route aurait clairement sa place sur la liste des routes les plus dangereuses du monde. Notre jeune chauffeur, prénommé Recep comme le président du pays, n’a pas l’air d’accord et s’élance sans crainte dans les montagnes, pour finalement nous déposer sur un plateau à 2.400 mètres au-dessus du niveau de la mer. La vue est tout simplement phénoménale: le soleil embrase les décors déchiquetés à perte de vue, tandis que les nuages dérivent juste au-dessus de nos têtes en direction de la mer.

De Sümela à Sainte-Sophie

La journée suivante commence dans un lieu éblouissant: la plantation de thé de Çeçeva à Haremtepe, le berceau de la région du thé. Parmi les buissons, nous engageons la conversation avec quelques touristes turcs, mais l’exercice est fastidieux: «Dans ce coin reculé du pays, vous ne trouverez pas beaucoup de gens qui parlent une autre langue que le turc», explique Volkan. Une heure et demie plus tard, nous nous retrouvons dans une partie encore plus authentique de la Turquie, au monastère de Sümela, construit à flanc de falaise dans les montagnes du parc national d’Altındere. Le monastère est très apprécié des pèlerins chrétiens et des randonneurs, qui s’y reposent, dans une nature intacte, en admirant une multitude de fresques anciennes.

Sainte-Sophie, à Trabzon. © Sebastiaan Bedaux

Un peu plus loin, nous arrivons à notre destination finale, Trabzon, la plus grande ville de la côte turque de la mer Noire, où une Sainte-Sophie – plus petite que celle d’Istanbul, mais avec la même histoire puisqu’elle fut jadis une église et aujourd’hui une mosquée – rappelle encore l’époque byzantine. C’est ici que nous disons au revoir à Volkan, en lui promettant de revenir un jour… 

En pratique

Y aller: Nous avons voyagé avec Turkish Airlines jusqu’à Rize, avec une courte escale à Istanbul, et nous sommes revenus par Trabzon (comptez 3 heures de vol pour Istanbul et une heure et demie pour Rize ou Trabzon). Plus d’infos: turkishairlines.com

Période idéale: Dans cette région turque de la mer Noire, les saisons sont très marquées, et chacune d’entre elles a son charme. Nous y sommes allés début septembre, avec des températures atteignant 30 degrés. Quelle que soit la saison, il faut s’attendre à des précipitations. C’est l’endroit le plus pluvieux (et donc le plus vert) du pays.

Sur place: Une voiture de location 4×4 n’est pas un luxe. Pour ceux qui préfèrent ne pas conduire eux-mêmes, de nombreuses entreprises touristiques locales proposent des excursions guidées d’une journée ou de plusieurs jours. 

Plus d’infos: goturkiye.com

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