« Truck art »: des baskets belles comme des camions
Haider Ali trempe son pinceau dans une goutte de peinture irisée, puis esquisse de premiers motifs sur une paire de chaussures de sport d’un blanc immaculé, déclinant dans une profusion de couleurs une nouvelle variation d’un art typique de la culture pakistanaise.
Le Pakistan est réputé pour son exubérant « truck art », qui consiste à décorer les camions d’illustrations aux teintes vives et bariolées, représentant des animaux, divinités, motifs floraux ou religieux, ornés de calligraphies variées. Cet art traditionnel transforme les autoroutes et villes pakistanaises en un caléidoscope de couleurs chatoyantes. Haider Ali, l’un des virtuoses pakistanais du « truck art », a maintenant décidé de le transposer sur des baskets.
« Un client est venu me voir des Etats-Unis, me demandant de peindre des chaussures », explique-t-il à l’AFP, dans son studio de la cité portuaire de Karachi (Sud). « Je lui ai donné un prix exorbitant pour le décourager, mais il a dit d’accord. Alors j’ai décidé de le faire », ajoute-t-il.
Il lui faut jusqu’à quatre jours de travail méticuleux pour des chaussures peinturlurées selon les souhaits des clients, triés sur le volet et qui doivent débourser 400 dollars (365 euros) par paire. Depuis qu’il a commencé cette activité en janvier, il a déjà produit huit paires, vendues au Pakistan et à l’étranger.
Et les commandes ne cessent d’affluer, sous l’influence des réseaux sociaux. « Je n’arrête pas d’avoir de nouvelles idées », raconte le peintre, âgé de 42 ans. « C’est dans la nature humaine que de nous décorer nous-mêmes (le corps) et les choses qui nous entourent. »
Les jambes croisées dans son studio situé sur un toit, il fait pivoter une paire de Nikes montantes, laissant apparaître un faucon d’un rose étincelant, au-dessus d’un oeil fixe jaune, bordés d’arrondis à l’effet hypnotisant. Un autre paire, prête à être expédiée, figure un paon aux tons scintillants.
Certains considèrent que le « truck art » est né dans les années 1940, quand des camionneurs ont commencé à créer des logos tape-à-l’oeil pour faire connaître les marques à un public largement illettré. D’autres assurent que la surenchère de couleurs a commencé avec les efforts de chauffeurs de bus pour attirer de nouveaux passagers. Aujourd’hui, le « truck art » est l’un des aspects les mieux exportés de la culture pakistanaise, tranchant avec la réputation plutôt austère de conservatisme social du pays.
Haider Ali lui-même vient d’une famille de « truck artists », qui gagnaient tout juste de quoi vivre au bord des routes en décorant les camions. En déambulant sur une aire de stationnement pour camions du quartier de Yusuf Goth à Karachi, ses lunettes de soleil et son léger bombement du torse lui donnent l’air d’une célébrité. « Quand je me sens connecté à mon art, je suis intensément concentré », dit-il. « Si je fais une pause, les idées arrêtent de couler. »
Haider Ali s’est fait connaître en dehors de son pays avec une exposition en 2002 pour l’institution muséographique Smithsonian de Washington, devenant ainsi un ambassadeur international du « truck art ». Il a depuis appliqué son art à un avion, un Coccinelle Volkswagen et même au corps d’une femme lors d’un festival aux Etats-Unis. Son talent lui garantit de ne plus avoir à vivre dans le vacarme des bords de routes et une entière liberté créatrice accordée par ses clients. Mais comme pour les camions, la décoration ne tiendra qu’un temps sur les chaussures. Après quelques années, elle se craquellera et s’effacera, offrant un canevas tout neuf pour une nouvelle oeuvre d’art.
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