«J’ai envisagé de vendre un rein pour obtenir un dossard à Tokyo» ou l’obsession pour les voyages marathon

Marathon
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Mare Hotterbeekx
Mare Hotterbeekx Journaliste Knack Weekend

Les marathons n’ont jamais autant fait courir les foules. Au point que ses adeptes, désormais, rallient les villes du monde entier pour assouvir leur passion. Autant dire que la folie de l’asphalte est devenue une industrie qui prend son pied.

De la course qui l’a mené dans les quartiers les plus emblématiques de Londres, Laurent Raphaël (55 ans) n’a que peu de souvenirs des bâtiments ou des coins de nature qu’il a croisés. Ce qu’il n’est pas près d’oublier en revanche, c’est la foule qui l’entourait. Celle des coureurs toujours omniprésents à ses côtés, mais aussi le public présent en masse le long du parcours pour soutenir les milliers de marathoniens venus parfois de très loin pour battre le pavé.

Après un premier essai réussi à Bruxelles il y a dix ans, il a décidé de tenter Londres puis Berlin. La hype qui entoure aujourd’hui les marathons n’en était alors qu’à ses débuts. «Bien sûr, on entendait déjà parler de gens qui faisaient le tour de la terre pour enchaîner les marathons, se souvient-il. Mais la frénésie n’était pas la même. Ça restait une pratique de niche. Un peu comme l’est encore le trail aujourd’hui.»

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Désormais, nous connaissons presque tous quelqu’un prêt à sauter dans un train ou un avion pour souffrir pendant 42,195 kilomètres. Les dossards des grandes courses s’arrachent avec la même frénésie que les billets pour Tomorrowland. Et il n’est pas rare d’apercevoir sur la ligne de départ des superstars comme Harry Styles parmi les coureurs anonymes.

Ce qui avait commencé dans les années 1970 comme un sport de niche rassemblant une poignée de coureurs est devenu un phénomène de masse prisé par la classe moyenne supérieure. Pour le marathon de Londres, par exemple, 1,1 million de candidats ont tenté d’obtenir, via la loterie, l’un des 55.000 dossards disponibles. Les six autres grands marathons majeurs – New York, Berlin, Chicago, Boston, Sydney et Tokyo – affichent des records similaires.

‘Il y a une ambiance de fête, voire de festival. Et pour beaucoup, le décor compte plus qu’un record personnel: on part à la fois pour voir une ville et pour être vu.’

«Depuis le Covid, la popularité des marathons a littéralement explosé, pointe Jens Brouns, responsable des voyages marathon chez TUI Sports, qui vend plusieurs formules clé sur porte. La demande pour les dossards des marathons réputés dépasse de centaines de fois l’offre. Chaque jour, nous recevons entre 40 et 50 nouvelles inscriptions via notre formulaire de demande d’information. Il y a deux semaines, nous avons lancé notre voyage pour Tokyo 2026: en moins d’une heure, tous les billets étaient partis. Et la demande augmente chaque année.»

Le lieu, le public et le prestige

Stefano Biccai (47 ans) a déjà plus de 45 courses à son actif, en Belgique et à l’étranger. «C’est incroyable qu’un sport aussi monotone rencontre un tel succès, s’étonne-t-il. Quand j’ai couru mon premier marathon en 2006, tout le monde me prenait pour un fou.

Harry Styles marathon Berlijn
À Berlin, le chanteur Harry Styles a couru sous un pseudonyme.

Aujourd’hui, tu es presque une exception si tu n’en as jamais couru un. Au départ, je ne comptais en faire qu’un seul, mais c’est addictif. Courir, c’est une manière de découvrir le monde et de rencontrer des gens partageant la même passion.» Le Bruxellois compte désormais des amis aux quatre coins du globe. «Avec un couple d’Italiens, nous nous retrouvons chaque année pour une course quelque part. Et on prolonge le séjour de quelques jours. Après un tel effort, le cocktail en terrasse a une saveur incomparable.»

Pour Steve Willaert (51 ans), courir et voyager vont également de pair. Avec un ami, il s’est inscrit cette année au marathon de Berlin, son onzième. «Pour moi, ce genre de voyage ne se résume pas à courir ou à battre un record personnel. J’ai envie de profiter pleinement de la ville et de l’ambiance.» Laurent Raphaël fait le même constat. «À Londres, c’était l’occasion pour moi de retrouver ma fille. À Berlin, j’étais parti avec deux amis.

Nous avons prolongé le séjour pour faire le tour des musées. Imaginer que l’on découvre vraiment la ville pendant la course, c’est un mythe: chacun est concentré sur sa foulée et ne voit pas vraiment ce qui l’entoure, à part la foule à perte de vue.»

Le lieu, le public, le parcours et le prestige: tels sont, selon le professeur de sociologie du sport Jeroen Scheerder (KU Leuven), les moteurs des adeptes de ces «racecations». Il étudie le phénomène de la course à pied depuis plus de vingt ans. «Finir un marathon reste un symbole de statut social, assure-t-il. Et le faire à l’étranger a fière allure sur une carte de visite, surtout s’il s’agit de l’un des «Big Seven». Courir dans une grande métropole a quelque chose d’éclatant.

Marathon Berlin
© Getty Images

Les grands marathons attirent des milliers de coureurs, mais aussi un nombre bien supérieur de supporters. Cela crée une ambiance de fête, voire de festival. Les études montrent que pour beaucoup, ce décor compte plus qu’un record personnel: on ne part pas seulement pour voir une ville, mais aussi pour être vu.»

Le stress du dossard

La popularité de ces voyages fait jouer à plein la loi de l’offre et de la demande. Pour prendre le départ, il faut non seulement de la discipline, mais aussi de la chance, de la patience et un portefeuille bien garni.«En marge du système de loterie réservé à tout le monde, d’autres critères plus sélectifs peuvent entrer en jeu, précise Jens Brouns. À Boston, il faut se qualifier sur base du temps, mais les exigences sont très élevées pour les coureurs amateurs. Un homme de 46 ans doit par exemple boucler un marathon en 3h15. C’est hors de portée pour la plupart.»

Ainsi, de plus en plus d’agences de voyage proposent des formules marathon comprenant un dossard garanti, le vol, l’hôtel et une assistance sur place. «Même pour les tour-opérateurs, obtenir ces places n’est pas simple. Les prix sont aussi plus élevés. Comptez entre 300 et 1.000 euros en moyenne, rien que pour le dossard». En ajoutant les vols et l’hébergement, la facture pour un marathon européen peut grimper jusqu’à 1.000 euros. Hors d’Europe, elle peut atteindre les 3.500 euros pour quelques jours de voyage.

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«J’ai un instant envisagé de vendre un organe pour obtenir mon dossard pour Tokyo», plaisante Stefano Biccai. «à la base, je voulais rester à l’écart du cirque commercial qui entoure ces courses, mais j’ai fini par céder. J’en ai déjà terminé cinq sur sept. En mars, je m’envole pour Tokyo, le plus difficile d’accès: les habitants de l’île et les Japonais y sont prioritaires.» Pour décrocher ce précieux sésame, il a participé plusieurs années de suite à la loterie et s’est inscrit sur les listes d’attente de plusieurs agences dans deux pays. Steve Willaert, lui, a obtenu plusieurs fois son dossard en récoltant des fonds pour une association caritative.

Une machine marketing bien huilée

Les marathons ne profitent pas qu’aux organisateurs ou aux agences: les sponsors se régalent aussi. Les marques de sport lancent des tenues spéciales ou des éditions limitées qui s’écoulent à toute vitesse. De multinationales apposent leur nom sur les arches de départ et les médailles, associant leur image à la persévérance et à la discipline.

Une stratégie payante, comme l’a bien compris Zalando. Le géant du commerce en ligne a considérablement élargi son offre de vêtements de course et la met en avant à travers un partenariat de trois ans avec le marathon de Berlin. «Avec ce genre d’événements, nous voulons aller à la rencontre des coureurs dans leur univers», explique Matthew Glyn, responsable du pôle sport du géant du commerce en ligne.

Un marathon constitue aussi un atout touristique majeur, qui attire une foule considérable et génère des revenus importants pour les villes organisatrices. Les prix des vols et des hôtels doublent, les restaurants et bars le long du parcours affichent complets. Et la course produit une quantité phénoménale de vidéos et photos des coureurs et supporters devant les lieux emblématiques de la ville: une mine d’or pour la promotion touristique.

«Le marathonien est un touriste atypique, explique Jeroen Scheerder. Ses dépenses sont planifiées à l’avance et il n’a souvent pas le temps de visiter les musées ou les sites culturels. La plupart ne restent que quelques jours après la course. Pourtant, pour les villes, les marathons constituent un outil formidable de relations publiques. Les métropoles capables de rassembler des milliers de coureurs s’offrent une image sportive et positive. Les problèmes urbains habituels passent dès lors à l’arrière-plan.»

Cinq marathons sensationnels

Envie d’enfiler vos baskets pour une course dans un décor mémorable? Ces cinq marathons moins prisés – à condition de réserver à temps – offrent un parcours exceptionnel.

1—Midnight Sun Marathon à Tromsø, Norvège

C’est sans doute l’un des marathons les plus singuliers d’Europe. Le départ ne se fait pas au lever du soleil, mais en soirée, sous la lumière envoûtante du soleil de minuit. Les températures fraîches et la montée corsée sur l’emblématique pont de Tromsø rendent le parcours exigeant. Mais l’atmosphère intime et les quelque 9.000 participants garantissent une expérience unique. Ceux qui souhaitent profiter d’une aventure arctique hivernale peuvent opter pour la Polar Night Run en janvier, où les aurores boréales illuminent parfois la route.

Le 3 janvier et le 4 juin 2026. msm.no

2—Le marathon d’Athènes, Grèce

Pour un rendez-vous avec l’Histoire, direction Athènes. Ce marathon (l’édition 2025 est sold out) vous fait littéralement courir dans les pas du messager grec Philippidès, chargé d’annoncer la victoire des Grecs sur les Perses lors de la bataille de Marathon. L’itinéraire relie la ville de Marathon au mythique stade panathénaïque, où se sont tenus les premiers Jeux olympiques modernes en 1896. Le parcours, jalonné de nombreuses montées, est ardu. Mais les décors sont remarquables.

En novembre 2026. athensauthenticmarathon.gr

3—Le marathon du lac de Constance

Traverser trois contrées en une seule course? C’est possible lors du marathon des Trois Pays autour du lac de Constance. Le départ se fait dans la ville thermale allemande de Lindau. On longe ensuite le lac, on traverse des villages autrichiens pittoresques et on passe par la commune suisse de St. Margrethen avant de revenir à Bregenz pour franchir la ligne d’arrivée dans le stade. Le tracé, presque entièrement autour du lac et dominé par les cimes enneigées, reste étonnamment plat − idéal pour souffrir (un peu) avec les yeux ébahis.

Le 10 octobre 2026. sparkasse-3-laender-marathon.at

4—Le marathon de la Riviera, de Nice à Cannes, France

C’est le deuxième plus grand marathon de France, mais il reste accessible: bien que la course 2025 soit sold out, il est facile d’obtenir un dossard, et le prix d’inscription demeure très raisonnable. La course s’élance depuis la Promenade des Anglais à Nice et s’achève sur le boulevard de la Croisette à Cannes, à deux pas du célèbre palais des festivals. En chemin, les coureurs profitent de températures douces et de vues splendides sur la mer, les palmiers et les montagnes.

En novembre 2026. marathon06.com

5— Le marathon d’Helsinki, Finlande

Ce parcours combine le meilleur des deux mondes: paysages idylliques au bord de l’eau et sections rapides à travers la ville, jalonnées de monuments emblématiques. Les coureurs bénéficient de températures agréables et d’un tracé relativement plat à travers les agréables décors finlandais.

Le 22 août 2026. helsinkimarathon.fi

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