Christophe Coppens, retour à ses premières amours : la mise en scène
Pendant vingt-et-un ans, il a fait les beaux jours de la mode et des accessoires, chapeautant Rihanna ou la princesse Mathilde. Puis, il a tout quitté. Il nous revient, serein, et signe la mise en scène, costumes et décors compris, de l’opéra de Leos Janacek, Foxie ! (La petite renarde rusée). Entretien.
Il est de retour à ses premières amours. Et à Bruxelles, physiquement. Christophe Coppens a quitté pour un temps la ville où désormais il vit et travaille, le ciel toujours bleu de Los Angeles, ses rues comme des autoroutes, ses lettres géantes qui à force ont cessé de défigurer de leur blancheur hollywoodienne le versant sud du Mont Lee. Dès début février, l’artiste, 47 ans, a pris ses quartiers dans les ateliers de La Monnaie. Il met en scène Foxie ! (La petite renarde rusée), de Leos Janacek, sous la direction d’Antonello Manacorda.
On est à J-39, il a pris soin de se préparer un thermos de tisane, les murs sont tendus de noir, une table au milieu de rien, dans cet espace tangible où prend vie une oeuvre, un piano, des gradins, des moodboards qui montrent ses intentions. Il préfère que l’on ne s’en approche pas, surtout ne pas tout dévoiler, l’effet de surprise lui convient. Le calme règne, c’est lundi, on ne répète pas, comme abandonné là, mais ce n’est qu’une impression, un élément de décor sur roulettes, les racines d’un arbre énorme au tronc coupé net. Sa version miniature existe aussi, il l’a ramenée d’Amérique, elle est signée studio Jim Henson, créateur du Muppet Show, rien n’est impossible dans le far far west. Depuis presque cinq ans, Christophe Coppens s’est trouvé un refuge là-bas, une tanière californienne, où, sans savoir de quoi demain sera fait, il peut s’enfermer dans son garage-atelier et peindre, sculpter, créer, voire découper ses costumes pour en faire d’étranges collages. Sa garde-robe ayant ainsi servi de matériau à ses premières oeuvres, il porte désormais des sweat-shirts.
En 2012, il entamait en effet un nouveau chapitre, artistique, délaissant le passé, la mode et l’accessoire qui avaient fait sa renommée, cessant de parer Beth Ditto, Rihanna, Grace Jones, la monarchie belge et autres princesses, les silhouettes d’Issey Miyake ou de Manish Arora. A l’époque, il se sentait écartelé, trop artiste pour être vraiment modiste, trop fantôme de chapelier pour être franchement artiste, il avait fini par jeter le gant. Depuis, Christophe Coppens a exposé ses Landscape 1 au Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam, ses Landscape 2 à Tokyo, ses Masks-Made in America à Los Angeles, dirigé un master au Sandberg Instituut d’Amsterdam, dessiné des masques pour sa complice de toujours, la chanteuse Roisin Murphy, et esquissé les costumes de To Be Sung, l’opéra de Pascal Dusapinmonté à La Monnaie l’année dernière.
L’amorce d’une nouvelle aventure, il l’ignorait encore. Avec ce petit sourire qui n’appartient qu’à lui, il pense tout haut » chapeau, Peter de Caluwe « , car le directeur général-intendant de notre » maison d’opéra fédéral » a osé lui proposer cette gageure. Tout, aujourd’hui, lui paraît tellement » naturel et logique « , Christophe Coppens n’a pourtant qu’une semaine de répétition derrière lui et six tout au plus de visions fulgurantes, d’intenses constructions et d’obsessions formalisées.
Comment avez-vous réagi quand le directeur de La Monnaie vous a proposé cette mise en scène ?
Je lui ai répondu » non, la mise en scène, c’est du passé « . Mais j’ai réfléchi. Et soudain, tout a pris sens, c’était tellement logique, j’ai commencé par le théâtre suivi de vingt-et-un ans de » distractions » mais même pendant ces années-là, quand je montrais une collection, le contexte, l’espace, le son, l’ambiance, voire l’odeur, tout était presque aussi important que les accessoires.
En réalité, je n’ai pratiquement jamais cessé de mettre en scène et de raconter des histoires. Bref, tout ce que j’avais fait avant, doublé de mes incessantes interrogations, pourquoi éprouvais-je autant la nécessité d’être et d’agir ainsi, tout est devenu très clair : je n’avais jamais arrêté de m’entraîner. Le lendemain, je lui ai dit oui, et que j’étais confiant, pour autant qu’il m’entoure de gens très doués et qui ne débutent pas dans le métier comme moi.
Le doute vous assaille-t-il parfois ?
Non, à part dans le processus de création et cela fait partie du travail, c’est positif. A chaque répétition, je doute au moins soixante fois mais ce sont de petits doutes qui font avancer. Pour le reste, j’éprouve une certaine confiance, elle est présente et naturelle – je me sens vraiment à ma place. Ce qui est bizarre parce que c’est un début et que tout est nouveau pour moi. Depuis six mois, chaque matin, je me réveille excité par tous ces mails, ces questions, ces soucis, ces propositions et plus il y en a, plus je suis content. Cet opéra était prévu pour 2018 mais il a été avancé pour des raisons de logistique. Je croyais avoir un an et demi pour étudier, j’avais acheté quatorze livres sur Janacek. J’avais envie de me plonger dedans, et puis on m’a annoncé que j’avais neuf mois de moins pour m’y préparer. J’ai hésité parce que j’avais aussi un autre projet au théâtre à Rotterdam et que le master dont je suis responsable à Amsterdam se termine en juin. Mais je n’ai pas voulu courir le risque que ce soit annulé. Cela m’arrangeait bien de me concentrer entièrement sur cet opéra. Le seul regret, c’est de n’avoir pas réussi à lire tous mes bouquins, je n’en ai feuilleté que trois ou quatre.
Connaissiez-vous cet antépénultième opéra de Leos Janacek ?
Non, j’ai immédiatement adoré la musique. Cependant, j’étais perplexe, je ne m’étais jamais imaginé débuter ainsi, mettre en scène des animaux interprétés par des êtres humains… Peter de Caluwe m’a rassuré, il m’a conseillé d’embrasser cet opéra avec mon regard, je l’ai écouté et encore écouté, j’ai visionné plusieurs versions en DVD et dans la musique, j’ai lu autre chose. J’ai alors développé un concept totalement différent. Je peux juste dévoiler ceci : on n’y verra aucun animal mais des adolescents. Car l’histoire parle des humains, de leur nature et j’essaie d’aborder cela sous deux angles : celui de l’ado qui découvre sa sexualité et le monde qui l’entoure, et celui de l’homme mûr qui voit arriver l’inéluctable. Ces deux univers se rencontrent, se heurtent, ils sont le miroir l’un de l’autre et se repoussent en même temps. Je mets également l’accent sur le chemin de Foxie, j’en ai fait un opéra féministe, qui parle d’empowerment des femmes – je les ai toujours trouvées supérieures aux hommes en général.
Est-ce pour cela que vous en avez changé le titre ?
J’en ai fait un sous-titre. Car pour moi, cette femme-renarde n’a rien de » rusé « , d’ailleurs la traduction n’est pas correcte, en tchèque, il est question des aventures de la petite renarde » aux oreilles pointues « . J’ai donc proposé Foxie, plus direct, cela correspond mieux à l’esprit de l’adaptation.
Quel a été votre processus de travail ?
Tout est venu simultanément. L’idée de base est née très vite – l’espace, l’adaptation des rôles, le groupe de vingt-cinq jeunes représentant la génération Z, je voulais être dans la réalité.
Nous avons eu une première répétition, dix d’entre eux sont chanteurs, les autres ne viennent pas spécialement du théâtre ou de l’académie, c’est un groupe multiculturel, tous milieux et toutes couleurs confondus, sans être pour autant » United colors of Benetton « . Ils sont géniaux. On a formé un cercle et parlé de tout pendant une heure et demie. J’ai été clair, je suis un » middle-aged man » et je ne veux pas de ma vision sur eux, c’est à eux de nous nourrir. On construit petit à petit, sinon cela sonnera faux. Je ne veux rien forcer, grâce à la confiance, on obtiendra le meilleur des résultats. D’autant qu’ils sont sur scène du début à la fin et qu’ils sont à la fois le miroir et la confrontation.
En 2012, vous décidiez de clore le chapitre mode et vous vous installiez à Los Angeles, loin de votre passé surtout. Cette rupture violente était-elle nécessaire à votre création ?
Il est certain que jamais je n’aurais pu imaginer mettre en scène un tel opéra en parallèle de mes activités. Je n’aurais pas eu la clarté d’esprit ou la fraîcheur pour m’en approcher, trop de soucis à régler. Ces dernières années m’ont permis de ralentir, de me concentrer sur ce qui m’importe, de rechercher aux tréfonds de mon travail ce que j’ai envie d’exprimer. Même si ce n’était pas toujours évident de survivre, cela m’a aidé à en arriver où j’en suis. Car tout ce que j’ai créé a toujours été de l’ordre de la mise en scène et du storytelling.
A 15 ans, je suivais des cours de théâtre à l’académie de Saint-Nicolas, puis je me suis inscris au Conservatoire de Bruxelles où j’ai découvert que je n’étais pas un très bon acteur – je regardais trop l’effet de l’action, où était l’éclairage, la position des comédiens. On m’a conseillé d’étudier la mise en scène. Imaginez ensuite que, au début des années 90, je n’aie pas eu besoin de façonner des chapeaux pour l’une des pièces de théâtre sur laquelle je travaillais, que la presse ne les ait pas repérés, que je n’aie pas présenté ma première collection, ouvert des boutiques, organisé un défilé, fondé l’Atelier Coppens, lancé une collection haute couture… Tout ce que j’ai réalisé influence mon approche actuelle. C’est une longue préparation pour en arriver là et je dois dire, mais très prudemment, que j’éprouve un sentiment très juste à travailler ainsi. J’espère que sur mon CV on ne lira pas uniquement: » Il a un jour mis en scène un opéra. »
Vous qui vous sentiez » écartelé « , êtes-vous dorénavant rassemblé ?
C’est le mot exact. C’est la première fois que j’utilise tout ce que je sais faire en même temps, et à fond, sans concessions.
Foxie (La petite renarde rusée) de Leos Janacek, Palais de la Monnaie (Tour & Taxis), à 1000 Bruxelles. www.lamonnaie.be Du 17 mars au 2 avril prochains. p>
PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON
» FOXIE, J’EN AI FAIT UN OPÉRA FÉMINISTE, QUI PARLE D’EMPOWERMENT DES FEMMES – JE LES AI TOUJOURS TROUVÉES SUPÉRIEURES AUX HOMMES. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici