En Albanie, le vin s’adapte au climat dans la douleur
Les températures en hausse, les chutes de grêle et les maladies ont malmené les raisins de Mirdita et laissé les viticulteurs albanais démunis. Après des décennies à cultiver la vigne, ils doivent s’adapter à un monde réchauffé.
A Prosek, petit village de cette région viticole, Gjon Barllokgjonaj a vu sa production détruite. « Il ne me reste plus rien, j’ai tout perdu », se lamente ce presque septuagénaire. Le mildiou et l’oïdium favorisés par un printemps chaud avec beaucoup d’orages et de fortes pluies, puis des températures trop élevées suivies de sécheresse, ont tué ses raisins.
Il ne produira pas de vin cette année, et s’est résolu à acheter du raisin pour produire un peu de son raki, l’eau de vie traditionnelle des familles albanaises.
Au fond du jardin, Zhelena, 69 ans, son épouse attise les flammes sous deux grands chaudrons de cuivre de deux siècle d’âge. A l’intérieur, les raisins fermentées du cépage Kallmet feront un raki fort, mais très aromatique, après être passé par un système de distillation artisanale. Les filets clairs qui s’en dégagent titrent à une vingtaine de degrés.
« Certaines zones, bien que petites et isolées ont été touchées par de violentes tempêtes de grêle qui ont eu des conséquences néfastes sur la production de raisins », explique à l’AFP, Elton Basha, professeur à l’Université de l’Agriculture à Tirana.
Véritable cauchemar des viticulteurs, les maladies fongiques ont été particulièrement virulentes cette année.
Liza Ndoji a 70 ans et environ un hectare de vignoble. Comme beaucoup de familles dans la région de Bukmira, elle produit quelques bouteilles de vin couleur rubis, qui plaît, dit-on, jusqu’au Vatican. Mais cette année, ses grains de Kallmet sont flétris.
« Rien n’a jamais été facile mais cette année a été la pire. » De quelques 60 quintaux de raisins l’année dernière, ses vignes n’en ont produit à ce jour que sept.
Aller plus haut
Dans les vignes, « tout devient plus compliqué: stress hydrique, gel, sécheresse, maladie », abonde Zef Ndoji, un vigneron de Bukmira. Avec sa femme, ils cultivent à 500 mètres d’altitude, ce qui leur a permis de ne perdre qu’un tiers de leurs vignes.
L’Albanie compte plus de 11.000 hectares de vignes de différents cépages qui produisent 190.000 à 195.000 tonnes par an, selon les chiffres officiels.
« Même si l’Albanie jouit d’une diversité de microclimat bien favorables pour les vignes », explique M. Basha, « face aux nouveaux défis, les petits agriculteurs qui représentent une part considérable de la production du raisin n’ont pas eu les moyens de s’adapter ».
Rigels Kacorri, dont la famille cultive 25,5 hectares de Kallmet, collabore depuis plusieurs années avec plus de 60 petits vignerons de la région auxquels il achète le raisin.
Cette année, il a surtout privilégié des sols à quelques 600 mètres d’altitude, parsemés de piquets en acier plus résistants à la corrosion et en mesure de supporter l’humidité du sol. Il s’est mis également à développer des nouvelles technologies pour surveiller les plantes, l’irrigation…
Mais hors de question de changer pour des cépages plus résistants, plus adaptés à l’altitude ou génétiquement modifiables: il tient aux cépages autochtones de Kallmet qui font pour lui « le vrai goût du bon vin ».
Le jeune homme veut croire que « parfois, une infortune procure des avantages », et que cela poussera les vignerons à joindre leurs forces pour mieux s’adapter au climat.
Ailleurs dans le pays, certains envisagent de cultiver leur vigne… sous serre, pour la protéger des intempéries.
Mais Zef Ndoji est très méfiant. « Le vin produit de raisins sous serre ne peut jamais avoir l’odorat de l’amitié. Qui a besoin des rayons du soleil de son milieu naturel. »