Notre expert ès flacons Michel Verlinden s’offre une dégustation qui reflète une tendance. Cette semaine: les vieux millésimes achetés pour célébrer une date symbolique, exercice ô combien périlleux.
Mariage, hommage, jalon amoureux… Nombreuses sont les occasions de déboucher un vintage commémoratif. La manœuvre est simple si l’on a été prévoyant. Elle se complique s’il faut remuer ciel et terre.
Avec la fin d’année en ligne de mire, la curiosité m’a poussé à tenter l’affaire – non pas sur l’année 67 qui m’a vu naître, les prix sont dissuasifs, mais sur 95, millésime lié à l’apparition de mon aîné. À dire vrai, j’étais plus que méfiant, ayant le souvenir de cet ami ravi d’exhumer de vieux flacons de la cave paternelle, immanquablement passés. À mes yeux, l’opération s’apparente à l’achat d’un billet de loterie dont le prix est inversement proportionnel aux chances de gain.
Où chercher ? Internet ? Pas question, les arnaques pullulent. J’ai alors sollicité plusieurs cavistes ayant pignon sur rue, notamment Jean-Pascal Dherte, professionnel installé à Ath. Ses propositions allaient d’un magnum Montage Saint-Emilion sans étiquette (50 euros) jusqu’à un flacon «parfait» de Cheval Blanc (500 euros).
Cet assemblage de plus de sept cépages a traversé le temps avec une élégance folle
N’étant ni amateur de bordeaux, ni un buveur d’étiquettes, en tout cas pas celles-là, j’ai décliné. Au Chai des Grands Vins, à Bruxelles, on m’a vivement conseillé un Château d’Yquem en me garantissant que je ne serais pas déçu… Là aussi pour plus de 500 euros. Pour éviter de laisser le prix vampiriser l’expérience j’ai continué mes sollicitations, jusqu’à ce que Jean-François Basin, de l’importateur bruxellois Basin & Marot, me parle d’un Daumas Gassac rouge de 1995 stocké dans sa cave personnelle, à la bonne température, depuis trente ans.
«Disons 40 euros», m’a-t-il répondu par SMS quand je m’inquiétais du prix. Pour qui a vu le film Mondovino (2004) ou connaît l’histoire de ce mas du Languedoc associé au couple Véronique et (feu) Aimé Guibert, le nom est mythique qui évoque à la fois la résistance à l’uniformisation du goût et la revanche des régions viticoles méprisées.
Et la dégustation? Une onction. Cet assemblage de plus de sept cépages (68% de cabernet sauvignon) a traversé le temps avec une élégance folle. Épaulé le matin pour le soir et carafé délicatement au moment du service. Ce jus titrant 12,9% d’alcool a bouleversé la tablée par la fraîcheur des notes herbacées et du soyeux de – bingo ! – ce tirage gagnant.
