La success story américaine de la cheffe d’origine bretonne Dominique Crenn
« C’est un truc émotionnel »: Dominique Crenn, 3 étoiles Michelin et meilleure cheffe au monde en 2016, ouvre un restaurant de cuisine « sans frontières » en France, qu’elle a quittée il y a plus de 30 ans pour une brillante carrière aux Etats-Unis.
Sourire blanc éclatant, look élaboré avec sa casquette gavroche, la cheffe de 58 ans se donne en spectacle quand elle se fait interviewer, pose en photo ou fait le tour des tables, embarquant dans son univers fantasque et chaleureux.
« A la Dominique »: c’est ainsi que la cheffe à la tête de trois établissements à San Francisco définit sa cuisine « d’amour, de partage et sans frontières » qu’on trouvera au « Golden Poppy », son premier restaurant à Paris.
« Ma compagne, l’actrice américaine Maria Bello, est tombée amoureuse de Paris », où le couple a un appartement depuis deux ans. « Vous allez me voir souvent en cuisine » ici, promet Dominique Crenn.
Il est « extrêmement rare » que les chefs français qui s’expatrient reviennent en France, note Jörg Zipprick, cofondateur de l’agrégateur La Liste des 1.000 meilleurs restaurants au monde.
« Elle mène sa carrière avec beaucoup d’intelligence et a introduit les codes de Hollywood – toujours bien coiffée, habillée différemment et rarement en cheffe. (…) Elle a sa propre marque », souligne-t-il.
« La France, c’est mon pays. Je suis née à Versailles et j’ai été adoptée quand j’avais 18 mois », raconte Dominique Crenn à l’AFP.
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Être différent
Ce sont les petits plats bretons de sa mère adoptive — qui vient de décéder — et de sa grand-mère qui définissent sa façon de cuisiner. Elle ne fait pas de viande, faute de trouver une qualité comparable à celle de son enfance pour le lièvre sauvage, la langue de boeuf ou l’agneau, surtout aux Etats-Unis.
Comme les deux cheffes les plus étoilées au monde, Anne-Sophie Pic et Hélène Darroze, Dominique Crenn est diplômée d’une école de commerce, mais autodidacte en cuisine.
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« C’est notre grand-mère, notre mère, toujours les femmes, qui ont fait la cuisine. Et, soudainement, la cuisine professionnelle a été inventée par des hommes ».
Consacrée en 2016 meilleure femme cheffe au monde par 50 Best, elle dit cependant avoir « horreur » de la cuisine et des récompenses genrées.
Cette notoriété médiatique lui a cependant permis « de faire passer énormément de messages engagés et de faire bouger les lignes en cuisine », estime Hélène Pietrini, directrice de La Liste et ancienne de 50 Best, qui salue son « leadership inclusif » au féminin.
Avant de partir à 21 ans aux Etats-Unis, Dominique Crenn découvre aussi l’univers des restaurants étoilés où l’amène son père, homme politique. Elle est fascinée par « la symphonie du mouvement ».
La famille voyage beaucoup et va découvrir des goûts inconnus. Aujourd’hui, elle aime « manger chez des gens » ou « dans un restaurant avec trois tables dont personne ne parle et qui fait une cuisine de fou ».
« La cuisine, c’est un mouvement et la France d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était il y a 20 ans. (…) Il faut respecter la tradition et offrir quelque chose d’autre ».
En 2017 lorsqu’elle cuisine un déjeuner pour Emmanuel Macron et des chefs étoilés à l’Elysée, elle fait un plat de riz grillé, langoustines et dashi (bouillon japonais), tandis que quatre autres chefs proposent des plats classiques français.
Massage des ormeaux
Le chef français Guy Savoy s’était déplacé à San Francisco pour dîner chez Dominique Crenn il y a une dizaine d’années, alors qu’elle était « totalement inconnue », sur les conseils de convives.
« C’était un choc. J’arrive dans ce lieu tellement dépouillé, qui m’a d’emblée beaucoup plu. La cuisine est d’une pureté incroyable, puis l’arrivée de Dominique pour voir si tout allait bien… C’était une soirée mémorable, on s’y sentait bien », raconte-t-il à l’AFP.
Son restaurant en France « est une bonne nouvelle: avec sa singularité, elle va apporte un pan dans le paysage » gastronomique, poursuit-il. « Elle a fait son tour du monde et elle a ressorti son propre style ».
Au menu notamment: des ormeaux avec des sauces « à la mexicaine ». « On les masse bien, manuellement, c’est délicieux. Le matin, toute l’équipe est dessus pendant 30 minutes », raconte la cheffe à propos de ce coquillage à chair ferme, rarement servi.