Michel Guérard, pionnier de la « cuisine minceur » et éternel influenceur

michel guerard pape de la cuisine minceur
© Joel Saget / AFP

A bientôt 90 ans, le chef français Michel Guérard continue à promouvoir la cuisine « minceur », son invention des années 70 qui a révolutionné la gastronomie mondiale et influence encore des assiettes qu’on veut « saines », même si on n’a pas de poids à perdre.

Avoir un nutritionniste dans les grands restaurants est devenu banal et, en servant plus de viande que de légumes avec des sauces trop riches, on risque aujourd’hui de passer pour un « has been ». 

Il suffit de regarder les chefs en vogue, sportifs et sveltes pour la plupart, pour deviner qu’ils cuisinent différemment d’un Fernand Point, premier chef à obtenir 3 étoiles Michelin en 1933, ou d’un Paul Bocuse, décédé en 2018 à l’âge de 91 ans et qui aimait le beurre, la crème, le vin et « pas des petits pois coupés en quatre ». 

« Les aînés m’ont raconté cette blague: +Tu vas manger chez Guérard, n’oublie pas ton ordonnance+. On le raillait un peu mais c’est lui qui avait raison. Il suffit d’ouvrir n’importe quel magazine, on ne parle que de ça aujourd’hui », résume pour l’AFP Michel Sarran, l’un de ses élèves qui a participé à un hommage à Michel Guérard fin novembre, organisé par le classement La Liste qui répertorie les 1.000 meilleurs restaurants du monde. 

« Si la cuisine était nobélisable, ce serait notre premier prix Nobel », souligne le chef toulousain aux deux macarons Michelin. 

Bien orientés

Installé en 1974 à la station thermale d’Eugénie-les-Bains (sud-ouest), Michel Guérard y développe une « cuisine minceur » savoureuse qui lui vaut la couverture de Time magazine, une première pour un chef.

« Il a introduit la sobriété dans la gourmandise en rendant la cuisine minceur non punitive », souligne Guy Savoy, « meilleur chef » du monde pour la sixième fois cette année d’après La Liste. 

Un certain Alain Ducasse, aujourd’hui le chef le plus étoilé au monde, a alors 18 ans et y fait son apprentissage. Il réalise un gâteau « minceur » de carottes fondantes au cerfeuil.

Aujourd’hui, ces élèves célèbres sont-ils à la hauteur de son héritage « minceur »? Michel Guérard estime qu’on peut mieux faire.  « Ils n’ont pas envie et c’est une erreur », dit-il à l’AFP. « Je ne désespère pas. »

Si l’idée de minceur est aujourd’hui « moins mise en avant » que celles de l’équilibre et de la qualité du produit, l’héritage de Guérard « joue encore à plein lorsqu’on parle d’une cuisine plus légère, saine, de légumes, des filières courtes », nuance Loïc Bienassis, historien de l’alimentation.

Michel Guerard Les Pres d'Eugenie  juin 2011 ,  Eugenie-Les-Bains,France.
Dans les cuisine de son restaurant Les Prés d’Eurgenie, à Eugénie les bains, en 2011

A 58 ans, l’Espagnol Joan Roca, qui tient un 3 étoiles à Gérone (nord-est de l’Espagne), élu deux fois meilleur restaurant du monde au 50 Best, confie à l’AFP avoir appris avec La cuisine minceur.

Il emploie un nutritionniste et un scientifique pour que sa « cuisine hédoniste » soit bien digérée, même si certains clients ne viennent qu’une fois par an. 

Christopher Coutanceau, 44 ans, 3 étoiles à la Rochelle, dit avoir « été bien orienté » alors qu’il est entré à 17 ans chez Guérard. « Je ne me vois pas travailler beaucoup le beurre et la crème, on met moins de sucre dans les desserts. »

Gourmandise en complément

Le Français doublement étoilé Daniel Boulud, installé à New York, se souvient lui des salades composées « d’avant-garde » de Guérard, à l’époque où on ne servait pas beaucoup de légumes dans la haute gastronomie. 

« La plus grande leçon, c’est sa créativité », souligne-t-il. 

Il en va de même pour Arnaud Donckele, un autre disciple de Guérard à six étoiles, qui a appris « une certaine liberté et une grande légèreté »… au sens figuré plutôt qu’en termes de valeur nutritive.

Arnaud Donckele
Arnaud Donckele © Getty

Auteur du concept de « naturalité », qui bannit la viande et réduit au minimum le beurre, Alain Ducasse soutient que compter les calories ne l’intéresse pas. 

« Peu de calories, c’est pour une période donnée pour régénérer le corps et l’esprit, on ne peut pas se nourrir » ainsi tout le temps. 

Et de rappeler que Michel Guérard avait également publié « La cuisine gourmande », « en complément, pas en opposition », de sa « cuisine minceur ».

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