Ils changent le monde | Khalid Al-Kharki, chef cuisinier du centre d’accueil l’Ilot: « Je veux que ceux qui mangent ici se sentent bien »

Isabelle Willot

Il y 8 ans, Khalid Al-Kharki a fui l’Irak où il était menacé de mort par Daesh. Anciennement chef dans un hôtel de luxe de Bagdad, il dirige depuis le mois d’août les cuisines du nouveau centre d’accueil  de L’Îlot, à Saint-Gilles. Il y prépare chaque jour des centaines de repas pour les plus démunis.

A l’approche de midi, l’effervescence est à son comble dans la cuisine flambant neuve du tout nouveau centre de jour de L’Ilot, à Saint-Gilles. Khalid Al-Kharki (39 ans) y finalise la préparation de son tajine de poissons aux légumes épicé juste comme il faut.

Cette petite touche orientale qu’il glisse de temps à autre dans ses plats, c’est sa marque de fabrique à lui et il en est très fier.  Comme dessert, il y aura même du moelleux au chocolat maison, la chance aux cartons d’œufs frais arrivés dans les dons qui servent presque exclusivement à alimenter le restaurant où s’attablent cinq jours sur sept les personnes qui ont poussé la porte de l’association en quête d’un peu de chaleur, d’une douche et d’un repas pour tenir le coup.

Cette précarité, Khalid l’a connue lui aussi en arrivant sur le sol belge il y a huit ans. Menacé de mort par Daesh, celui qui était alors chef à Bagdad dans un établissement de luxe fuit l’Irak, parcourant des milliers de kilomètres avant de demander l’asile dans notre pays. « A la fin de mes études secondaires, j’ai voulu travailler dans l’hôtellerie, nous raconte-t-il. J’ai décroché un diplôme en management puis j’ai été engagé dans un grand hôtel de la capitale où j’ai fait mon apprentissage en occupant pour ainsi dire toutes les fonctions en cuisine. »

L’arrivée en Belgique

Comme beaucoup de demandeurs d’asile, Khalid, arrivé seul en Belgique, se retrouve vite démuni. C’est d’abord en tant que bénéficiaire qu’il découvre L’Ilot. « Je n’avais pas le droit de travailler et en même temps je n’avais jamais eu autant de temps libre de ma vie, poursuit-il. Cela ne pouvait pas durer. Je voulais au moins pouvoir mettre mes compétences à la disposition des autres. C’était aussi un moyen d’apprendre le français dont je ne parlais pas un mot en arrivant en Belgique, car à l’école j’avais appris l’anglais. Je suis allé voir le directeur, Philip De Buck, pour lui proposer mes services. »

Khalid rejoint alors l’équipe de bénévoles, le temps que sa situation se régularise. Aujourd’hui, c’est lui qui dirige la brigade qui fournit quotidiennement au minimum 150 repas pour le centre de jour mais aussi pour les maisons d’accueil que gère L’Ilot.

Un chiffre qui peut grimper encore lorsqu’il s’agit d’alimenter le food truck du Ralliement des Fourchettes ou de venir en aide à des associations partenaires. « Mon objectif, c’est de proposer une cuisine saine et savoureuse, insiste-t-il. En limitant la consommation de viande et en favorisant les légumes. La santé alimentaire est l’une de nos priorités car trop de personnes en situation de précarité se dégradent physiquement à cause d’une alimentation pas ou peu équilibrée. » 

Une nouvelle famille

Autre mantra de notre passionné ? « Zéro déchet, zéro achat… enfin presque, plaisante-t-il. Nous fonctionnons avec 90 % de dons. Je n’achète que des produits de base que nous ne recevons pas ou très peu comme les épices, les laitages, le beurre ou l’huile. »

A chaque arrivage des invendus – 130 tonnes sont ainsi récoltées chaque année –, c’est le branle-bas de combat en cuisine. « On trie, on congèle ce qui peut l’être, on range dans la réserve, dans les chambres froides et on établit les menus en fonction de ce que l’on reçoit. Tout en sachant que nos repas doivent convenir à différents publics : des adultes mais aussi des familles qui sont hébergées dans nos centres d’urgence. »

Grâce aux dons financiers indispensables au bon fonctionnement de L’Ilot, Khalid peut aussi se permettre quelques extras, ce sera le cas pour les fêtes où il compte bien mettre de la dinde farcie à la carte. « Je suis heureux en Belgique, poursuit-il. Je m’y suis fait des amis. J’apprends même le néerlandais, je suis des cours chaque semaine. L’Ilot aujourd’hui, c’est un peu ma nouvelle famille. Lorsque j’avais besoin d’aide, notamment dans mes démarches pour obtenir mes papiers, j’ai pu compter sur tout le monde ici. A mon tour, je donne des coups de main aujourd’hui. Mon second par exemple, qui vient de Syrie, a suivi un parcours assez semblable au mien. J’aime encadrer les stagiaires qui passent par nos cuisines. Les aider ensuite à trouver un boulot dans un bon restaurant. »

S’il attache beaucoup d’importance à la composition de ses plats, Khalid met aussi un point d’honneur à soigner le dressage des assiettes. « C’est une question de respect, insiste-t-il. Je veux que les gens qui mangent ici se sentent bien, que ça leur donne envie. »

Les habitués d’ailleurs réclament son poulet rôti, ses légumes farcis qu’il adore préparer malgré le supplément de travail que cela va demander. « J’aime cuisiner de bonnes choses et y mettre tout mon cœur », ajoute-t-il tout sourire derrière sa longue barbe poivre et sel. Un jour peut-être, si la situation là-bas le lui permet, il aimerait monter en Irak une structure semblable à celle de L’Ilot. En attendant, il espère que son chemin pourra en inspirer certains, les aider à ne pas perdre courage. Et à rêver grand comme il le fait maintenant.  

Pour soutenir L’Ilot : ilot.be/faire-un-don

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