La truite, trésor du Lesotho (en images)
A 2.100 mètres d’altitude, la rivière ondule au pied des montagnes arrondies du Lesotho, dans une enveloppante quiétude. Au loin, les éleveurs de truites sont à pied d’œuvre depuis le lever du soleil, c’est jour de « récolte ».
Le petit royaume enclavé d’Afrique australe, aux abondants cours d’eau, est devenu en moins de vingt ans l’un des premiers producteurs de la région du poisson d’eau douce à la chair délicate et recherchée.
Les villageois racontent manger des truites salées puis séchées au soleil depuis toujours. Sur les rives, de jeunes garçons les brandissent à bout de bras en direction des automobilistes.
Stephen Phakisi, 59 ans, a lancé en 2005 la production à une cinquantaine de kilomètres en amont du barrage de Katse (centre). Avec la construction du mastodonte en béton de 185 mètres de haut, la rivière Malibamatso s’est élargie, créant un bassin idéal.
Sur la mini chaîne de production flottante, des ouvriers en combinaisons étanches resserrent les filets. Les truites arc-en-ciel sont tirées des bassins par énormes paquets grouillants et visqueux.
Les hommes travaillent vite: anesthésiés, tués puis plongés dans la glace, seize tonnes de poissons sont moissonnées avant midi.
Champ inexploré
« Il a fallu payer sacrément cher pour en arriver là. Pendant cinq ans, ça n’a pas du tout été rentable », avoue à l’AFP l’homme d’affaires qui part d’un rire puissant. Les mauvaises surprises ont été nombreuses: poissons agonisants ventre en l’air, alevins à moitié morts après 16 heures de route depuis Le Cap…
Consultant touche-à-tout impliqué dans des projets gouvernementaux, M. Phakisi s’est lancé dans ce champ inexploré avec deux associés et sans y connaître grand-chose.
Il lui a fallu plusieurs années avant de trouver la nourriture qui engraisse les poissons en moins d’un an. Autant pour décrypter une eau qui, sous l’effet de l’érosion phénoménale qui use un territoire jamais sous les 1.400 mètres d’altitude, se transforme radicalement à la fin de la saison sèche: niveau, température, oxygène.
Aujourd’hui, l’éleveur produit 800 tonnes par an qu’il vend l’équivalent d’un peu plus de quatre euros le kilo. Hormis quelques restaurants locaux, toute sa production atterrit sur les rayons de la première chaîne de supermarchés haut de gamme d’Afrique du Sud voisine, où les portions conditionnées sous vide peuvent atteindre 50 euros le kilo.
Les deux fermes piscicoles du pays ne contribuent encore que faiblement à la petite économie au PIB de 2 milliards d’euros. Le secteur a rapporté près de 680.000 euros en 2020, selon l’organisme national de développement (LNDC), qui mise sur un sérieux « potentiel de croissance » avec la construction d’un nouveau barrage.
« Or blanc »
Depuis une trentaine d’années, le pays édifie des barrages babyloniens dont Katse est la pièce maîtresse ainsi qu’un complexe réseau de sous-terrains dans le cadre d’un accord avec l’Afrique du Sud: le Lesotho a fait de sa plus opulente richesse, l’eau, surnommée « l’or blanc », un produit commercialisable.
La nation de 2,2 millions d’habitants, parmi les plus pauvres de la planète, transfère 27 mètres cubes d’eau par seconde vers Pretoria et Johannesburg à quelque 470 km au nord, contre une redevance qui a rapporté près de 60,8 millions d’euros l’an dernier, selon le gouvernement.
« Nous vendons de l’eau à l’Afrique du Sud mais nous n’en avons pas dans nos propres maisons », tempête Joshua Sefali, chef de la communauté de Lejone, un village du rivage où les maisons de pierres et de chaume n’ont souvent ni eau, ni électricité.
Plusieurs milliers d’hectares ont été noyés pour la réalisation des grands projets. Certains ont perdu leur maison et leurs champs, contre compensation.
Un bonnet enfoncé sur la tête, Machaka Khalala, 31 ans, piétine sur le bord de la route. Ils sont des dizaines à attendre obstinément dans le froid avec des seaux. Chaque semaine, une des fermes de poissons distribue des restes. « Les têtes et les arêtes », dit-elle.
Son champ où elle cultivait du maïs et des épinards a été submergé. Elle a reçu 170 euros en contrepartie. Aujourd’hui elle survit en vendant dans la rue des « fat cakes », beignets typiques, pour le petit-déjeuner des travailleurs.