Le dérèglement climatique nous privera-t-il de notre café?
Sécheresses à répétition, cyclones déchaînés et autres phénomènes météorologiques extrêmes: celui qui, face à ces tristes prévisions, voudrait se consoler avec un petit noir en sera peut-être bientôt dépourvu.
Le réchauffement climatique constitue une réelle menace pour notre café quotidien. Les caféiers figurent en effet parmi les cultures les plus sensibles aux changements de climat. Des études ont démontré que la moitié des territoires aujourd’hui adaptés pour les faire pousser ne le seront plus dans un avenir proche.
Tim Willems est cultivateur au Nicaragua. Il possède sa propre ferme mais accompagne aussi 45 agriculteurs de la région dans la culture et achète leurs récoltes à un tarif bien au-dessus des capricieux prix du marché. « Nous vendons directement aux importateurs et aux torréfacteurs. Nous fonctionnons sur un principe de confiance : j’ai longtemps travaillé dans cet univers en Belgique et mes clients savent que s’ils achètent du café chez nous, celui-ci a été cultivé avec le moins possible d’herbicides et que les conditions de travail sont bonnes. Il existe beaucoup de labels, mais pour moi, un lien direct entre le paysan et l’acheteur est toujours la meilleure garantie. »
Quand nous lui demandons s’il entrevoit déjà les répercussions du changement climatique, il le confirme : « C’est un énorme problème. Nous cultivons du café sur des terrains en basse altitude, nous allons être les premières victimes de l’augmentation des températures. Avec pour conséquences plus de maladies et de moins bonnes récoltes. Je conseille à nos agriculteurs qui ont des parcelles en basse altitude de ne plus investir dans la plantation de caféiers mais de cacaoyers, qui résistent un peu mieux à la chaleur. Le cacao a aussi l’avantage d’offrir plusieurs récoltes par an : ce qui veut dire que l’argent rentre plusieurs fois, contrairement au café. » Autre problème : la pluie, car ce type de plantes a d’abord besoin d’une longue période de sécheresse puis d’une longue période humide. « Aujourd’hui, il pleut pendant la période sèche et il fait sec à la saison des pluies. Et il passe beaucoup plus d’ouragans », déplore Tim.
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Des grains robustes
Pour les terrains situés plus haut, Tim passe pour l’instant à des variétés plus résistantes. «Il y a deux grandes variétés de café: robusta et arabica. Pour du café de qualité, on utilise traditionnellement la seconde, au goût plus raffiné mais plus fragile. Pour cette raison, nous expérimentons de plus en plus la plantation d’une sorte de croisement entre arabica et robusta pour mieux encaisser les chocs. Le défi est de parvenir à un goût pas trop amer. Nous avons découvert que pas mal de problèmes peuvent être réglés grâce à la fermentation de ces grains hybrides après récolte, en jouant avec les variables. Si les agriculteurs veulent installer de nouveaux plants, nous conseillons de changer leur manière de travailler.»
Le fait que le recours aux technologies constitue une part importante de la solution nous est aussi confirmé par Jean Heylen de Top of the Crop, importateur de café vert. «La fermentation est faite de la même façon depuis un siècle, mais nous sommes forcés de revoir ce procédé: les agriculteurs avec qui je collabore effectuent des tests pour remplacer l’eau par du jus de baies de café. On peut donner ainsi plus de profondeur à un produit qui sinon serait fade.»
Mais si les terrains en basse altitude deviennent trop chauds, ne suffirait-il pas de planter tout le café plus haut? «Ce n’est malheureusement pas une option, affirme Jean Heylen. Les endroits où le climat est adapté sont souvent couverts par la forêt tropicale, dont le défrichage aurait un impact négatif encore plus grand pour la planète. Et en altitude, il est aussi souvent plus difficile de cultiver, récolter et transporter du café de manière rentable.»
Un produit de luxe
Mais alors que l’offre en café diminue, la demande augmente. «Nous devons prendre conscience que des pays où l’on boit traditionnellement du thé comme la Chine, l’Inde ou la Malaisie développent un intérêt grandissant pour le café, avance Jean Heylen. Les jeunes trouvent que c’est une boisson plus tendance.» Conséquence: le prix du café part à la hausse. «Je remarque déjà que les tarifs ont énormément augmenté, confie Jens Crabbé du torréfacteur Mok. Les prix de tous les cafés à travers le monde sont influencés par les récoltes au Brésil, qui est le plus grand producteur mondial: si la récolte est mauvaise là-bas – comme l’année dernière, suite à une vague de froid inattendue –, la demande en provenance d’autres pays augmente et les prix grimpent. En répercutant cela, plus l’inflation et les prix de l’énergie, je me retrouve avec un cappuccino à 5 euros. C’est la réalité: une tasse de café de qualité est en train de devenir un produit de luxe que tout le monde ne pourra plus se permettre.»
‘Une tasse de café de qualité est en train de devenir un produit de luxe que tout le monde ne pourra plus se permettre.’
Jens Crabbé du torréfacteur Mok
Autre problème: le manque de personnes désireuses de travailler dans les cultures. «Les ouvriers sont exploités depuis des années parce que les agriculteurs sont trop peu payés pour leur café, souligne Tim Willems. Beaucoup sont partis pour tenter leur chance dans des domaines plus prospères.» Jean Heylen complète: «Investir dans un avenir durable ne se limite pas à s’attaquer au problème climatique. L’aspect économique de la durabilité ne peut être sous-estimé. Un bon prix pour le paysan fait en sorte qu’il ne doive pas prendre de raccourci: c’est comme ça qu’on est sûr d’avoir un produit équitable. Je préfère travailler avec des coopératives pour donner un coup de boost à toute une région. Le scénario idéal est d’acheter pendant plusieurs années et à un prix fixe à la même coopérative: au fil des ans, on va voir la région prospérer, des écoles se construire, des infrastructures se développer. Pour entreprendre de manière durable, il faut considérer l’agriculteur comme un entrepreneur et être un partenaire stable.»
Un substitut convaincant
Faut-il dès lors chercher une alternative à notre cher kawa? David Klingen est de cet avis. Il dirige Northern Wonder, du café néerlandais qui n’utilise pas de grains de café. «Si les énormes populations d’Asie commencent à boire autant de café que nous Occidentaux, nous allons avoir un gros problème, avertit-il. Nous devons imaginer une solution. Sinon, le café – la sixième culture à être la cause de la déforestation – va nous amener à abattre encore plus de forêts. Il y a de nombreuses initiatives positives qui ont toutes du mérite, mais moi je suis pour les solutions radicales. C’est pour cela que j’utilise des ingrédients locaux que nous torréfions et qui sont moulus comme des grains de café. Notre première version vient d’arriver sur le marché: en capsules ou moulue, avec ou sans caféine. Tous les arômes se retrouvent dans une tasse de ce café sans café. Mais nous continuons nos recherches pour lancer une version 2.0, dont la saveur se rapproche encore plus du nectar traditionnel. Ainsi nous pourrons convaincre encore plus de gens. Si on regarde le marché en pleine explosion des substituts de viande, ce n’est pas une idée si naïve.»
Et que faire si on veut continuer à boire son petit expresso? «Faire confiance à une marque est important, conclut Tim Willems. Regardez au-delà du marketing des grandes boîtes qui mettent la photo d’un paysan sur leur emballage. Parlez avec votre vendeur ou votre barista et voyez si vos valeurs correspondent à leur approche.»
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