Le tango (bière grenadine) fait son retour à Bruxelles

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Le come-back du tango (la boisson, pas la danse) à Bruxelles (et au-delà?) © Getty images
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Après s’être fait rare depuis le début des années 2000, le tango – mélange de bière et de grenadine -revient faire un tour dans les verres bruxellois. En version revisitée, il s’affiche désormais avec des ingrédients bio et locaux, porté notamment par l’enseigne Pistolet Original qui s’est associée pour l’occasion avec la Brasserie de la Senne. Dans les allées de la Foire du Midi, où certains l’osent même avec une gueuze Cantillon, cette boisson coule à flots.

Dominique, 100 % Marollienne, s’installe à la terrasse bondée du Bij/Chez Jansens & Jansens, adresse dans son jus qui fait le plein chaque été pendant la Foire du Midi. Façade inchangée, bardage patiné, va-et-vient continu de serveurs chargés de plateaux : le lieu vibre au rythme de la fête qui bat son plein. L’air, quant à lui, se charge de l’odeur poivrée des caricoles qui s’échappe de l’échoppe voisine, bientôt rejointe par des bouffées chaudes de frites croustillantes, dorées dans la graisse de bœuf. En apercevant à la carte Rodenbach à la pompe, la sexagénaire ne résiste pas : « Un Rodenbach grenadine… et une croquette aux crevettes ! »

Le verre arrive, robe rouge rubis éclatante, traversée de reflets cerise, et bulle fine : l’acidité vive de la rouge-brune se marie avec la douceur fruitée du sirop, comme un retour aux années d’insouciance. Qui aurait pu croire que la Rodenbach grenadine ferait son grand retour ? Personne… mais il est certain qu’à Roulers, où elle est produite, on doit se frotter les mains. Produit emblématique des roodbruin bieren, cette fermentation mixte plus très prisée dans la capitale doit sa réputation à une méthode de fabrication longue, exigeant un long processus de maturation – le résultat d’un mélange de 75% de bière jeune et de 25% de bière mûrie en fût de chêne pendant deux ans. La voici qui revient sur le devant de la scène à la faveur du… tango.

Un classique réhabilité et réinventé

Le tango, c’est ce mélange de bière et de grenadine qui a longtemps accompagné les premiers pas au comptoir. En Belgique, il se sert le plus souvent avec une pils ; en France, il prend le nom de Monaco lorsqu’on y ajoute un trait de limonade. Boisson de café par excellence, il a connu un long passage à vide, victime de l’image un peu datée des sirops industriels et de l’évolution des goûts vers des bières plus sèches ou plus houblonnées.

À Bruxelles, l’enseigne Pistolet Original a tout récemment choisi de le réhabiliter en version artisanale avec la Brasserie de la Senne. Objectif : retrouver la fraîcheur et la gaieté du tango, tout en évitant les excès sucrés et les ingrédients standardisés. La base choisie est la Petit Boulba, bière de table légère marquée par l’amertume, rehaussée d’un sirop de grenadine bio de l’entreprise familiale Grizzly BOB (à Seneffe) et de jus bio de canneberge signé Pajottenlander (Meise). Pour Yvan de Baets, cofondateur de la Brasserie de la Senne, « le premier tango » est toujours gravé dans la mémoire : « Je m’en souviendrai toujours comme d’une sorte de passage vers le monde des adultes d’alors… »

Goût collectif

Signe fort de l’extension du domaine de cette hype naissante, dans certains cafés bruxellois, une autre réinterprétation se fait de plus en plus courante : des clients, jeunes et urbains, panachent gueuze Cantillon et grenadine. Un crime de lèse-majesté ?

Pour Jean Van Roy (Cantillon), le mélange évoque de mauvais souvenirs : « On s’est longtemps battus contre ça, surtout dans les années 70… Des brasseries comme Belle-Vue (NDLR : aujourd’hui dans l’escarcelle du groupe AB InBev) misaient à fond sur le sucre. » Mais le gardien du lambic rappelle également qu’autrefois, un rituel bien ancré consistait à adoucir la bière avec un morceau de sucre écrasé au stoemper, ce pilon à sucre pour lequel les verres étaient conçus avec un fond plus épais. « On broyait le sucre directement dans le verre pour atténuer l’acidité », précise-t-il.

« Certains mélanges sublimaient nos bières. »

Cette habitude, aujourd’hui disparue, donne un certain sens historique à la présence de grenadine dans la gueuze : elle prolonge, sous une forme contemporaine, un geste ancien pensé pour tempérer la vivacité du breuvage. Mais le contexte n’est plus le même : les lambics actuels offrent une acidité plus équilibrée, transformant l’ajout de sucre ou de sirop en choix délibéré plutôt qu’en nécessité.

Jean Van Roy admet toutefois avoir changé de position : « Ça me faisait un petit pincement quand on parlait de grenadine mais les produits évoluent. Un sirop industriel des années 70, c’est non. Mais si c’est artisanal et bien fait, pourquoi pas ? Après tout, j’étais sceptique quand les mixologistes se sont emparés de nos produits alors qu’en réalité j’ai eu de bonnes surprises, certains mélanges sublimaient nos bières. »

Le retour du tango et des Rodenbach grenadine traduit peut-être une lassitude face aux sophistications parfois caricaturales du mouvement craft – IPA ultra-houblonnées ou NEIPA saturées d’arômes tropicaux. Ici, pas de dégustation cérébrale mais une adhésion à un goût sacrant la mémoire collective et le plaisir d’être ensemble.

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