Notre expert ès flacons s’offre une dégustation qui, au passage, reflète une tendance. Cette semaine, place à un Coëf 2020 à très haut coefficient de plaisir. Témoin attentif des premières secousses du vin naturel en Belgique, Michel Verlinden s’intéresse à tout ce qui se boit, du verjus au vermouth. Il déguste parfois à l’aveugle mais toujours sans œillères.
Le prestigieux Château Lafleur est récemment sorti de l’appellation Pomerol. Il n’est pas nouveau que des domaines prennent des décisions douloureuses, et cette lame de fond ne va pas faiblir. Réchauffement climatique, évolution des goûts, rigidité des cahiers des charges… Les appellations apparaissent comme des carcans. À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Sébastien David est devenu l’une des figures de ces vignerons qui choisissent la liberté. Il a franchi le pas dès 2008 en embouteillant ses premiers vins de France, et pour le millésime 2016, il est allé encore plus loin: «J’ai sorti tout le domaine de l’appellation. Je veux vinifier comme je l’entends, pas comme l’INAO l’impose», m’explique-t-il − l’INAO est un organisme public créé en 1937 pour encadrer les appellations et leurs règles.
‘La matière est juteuse, profonde, et la finale s’étire sans lourdeur.’
Sa légitimité ne fait aucun doute: la famille David cultive ces vignes depuis près de quatre siècles et Sébastien connaît son terroir comme peu d’autres. «Les consommateurs cherchent aujourd’hui plus de fraîcheur, la consommation de blancs explose, alors que les rouges affichent toujours plus d’alcool. Moi, en deux ans, je peux adapter mes vignes à cette réalité. L’INAO, elle, met vingt ans à modifier un cahier des charges», résume Sébastien David.
Chez lui, le cabernet franc est élevé dans des amphores de terre cuite venues de cinq pays différents. «Un vigneron géorgien m’a dit un jour: ne sépare jamais l’enfant de la mère. C’est le rôle de l’amphore: envelopper le vin, le protéger.» Ce geste lui inspire une cuvée joyeuse et atypique. Son nom joue sur les mots – le coefficient de buvabilité, l’onomatopée «c’est dans l’œuf» – comme un clin d’œil à ce mode d’élevage.
Dans le verre, le millésime 2020 surprend par son équilibre: un fruit rouge clair et précis – framboise, cerise –, une trame fraîche et tendue, une touche florale. La matière est juteuse, profonde, et la finale s’étire sans lourdeur. Un vin qui s’impose par son énergie et sa sincérité. Une sincérité qui lui a valu… des démêlés administratifs. Les organismes officiels ont contesté sa mise en marché pour cause d’acidité volatile «hors norme». Loin des gratte-papier, Coëf illustre de manière éclatante le travail de ces vignerons qui résistent à l’uniformisation du goût.
Coëf 2020, Sébastien David, Vin de France, environ 22 euros. basin-marot.be
