Les distillateurs de mahua, une liqueur indienne à base de fleurs séchées, voient grand.
Ces petits bourgeons bruns ressemblent à des gommes de crayon couleur cire d’oreille. Quiconque ose en goûter un découvre une saveur proche de celle de la datte. Ce sont les fleurs du mahua, un arbre indigène d’Inde. Distillées, elles donnent un alcool puissant qui évoque le grappa ou un whisky non vieilli : floral et légèrement sucré, avec des notes de pomme et de fruits rouges, et une finale longue et nette. Cette eau-de-vie pourrait bien s’inviter bientôt dans un bar près de chez vous.
Les tribus indiennes fabriquent du mahua—nom de l’alcool autant que de l’arbre—depuis des siècles. Les familles ne cueillent pas les fleurs, elles les ramassent une fois tombées, garantissant ainsi leur maturité et leur teneur maximale en sucre. Après fermentation, elles sont distillées dans des pots en argile.
Dans ces communautés, le mahua accompagne les naissances, mariages et funérailles. Une riche tradition orale s’y attache. Selon une tribu, une petite dose de mahua rend les gens « perruche »—gais et bavards à l’excès—; une dose plus généreuse les rend « tigres », rugissants et fanfarons ; trop de mahua, enfin, et les buveurs deviennent cochons ou souris, « roulant par terre, se vautrant dans la boue ou cherchant un trou où se cacher ».
La distillation reste artisanale, souvent clandestine. La boisson fut interdite par le Raj britannique à la fin du XIXᵉ siècle, officiellement pour protéger la santé publique (beaucoup estiment plutôt qu’il s’agissait de défendre les spiritueux importés de Grande-Bretagne). Même après l’indépendance en 1947, certains États ont maintenu l’interdiction, si bien que nombre d’amateurs consomment encore du tord-boyaux local, vendu à bas prix mais parfois mortel. Ailleurs, les bureaucrates ont lourdement taxé la production et restreint la vente.
Après des années de lobbying de Desmond Nazareth, fondateur de la distillerie goanaise DesmondJi, l’État a assoupli en 2018 sa législation sur l’alcool et autorisé la commercialisation en magasin. D’autres régions, dont le Karnataka, le Maharashtra et le Madhya Pradesh, ont suivi. DesmondJi produit aujourd’hui environ 10 000 bouteilles de mahua par an, distribuées dans 500 points de vente à travers plusieurs États. Six Brothers, basé à Dahanu, s’est lancé en 2024 dans une production haut de gamme. Beaucoup espèrent que cette boisson deviendra, avec le temps, un trésor national comparable à la tequila mexicaine.
Les distillateurs indiens visent désormais des buveurs curieux au-delà de leurs frontières. Mah, élaboré à partir de fleurs de mahua et distillé à Cognac, est déjà disponible en France. DesmondJi cherche des distributeurs en Grande-Bretagne ; Six Brothers se déguste dans des bars à cocktails londoniens. Les mixologues soulignent que la douceur subtile du mahua s’accommode mieux de mélanges simples, comme le citron vert ou le vermouth.
Le mahua n’est pas le seul spiritueux indien à nourrir de grandes ambitions. Le feni, alcool goanais obtenu à partir de sève de cocotier ou de noix de cajou, gagne aussi en visibilité à l’Ouest ; dommage qu’il ait, dit-on, un goût de pieds. Le mahua, lui, dispose de deux atouts. Le premier : une histoire séduisante pour les urbains de gauche férus d’artisanat et de produits « indigènes ». Le second, plus décisif : il est tout simplement délicieux.