Pourquoi le pastrami affole les foodies (+nos bonnes adresses en Belgique où le déguster)
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C’est l’histoire d’un morceau de bœuf qui a traversé un siècle, un océan et une révolution gastronomique. Longtemps réservé aux déjeuners ouvriers des immigrés juifs de New York, le pastrami est devenu un produit star de la street food. Trop gras? Trop fumé? Trop américain? Peut-être… mais irrésistible quoi qu’il en soit. Six adresses à Bruxelles et ailleurs en Belgique pour ne pas se louper.
Le pastrami, cette charcuterie emblématique des delicatessen new-yorkais, connaît un second souffle. Autrefois cantonné aux sandwichs gargantuesques servis dans les échoppes juives de Manhattan, il se fraie aujourd’hui un chemin dans les grandes villes européennes.
A l’origine du pastrami, il se dit qu’on trouverait le pastirma turc, une viande séchée, pressée et enrobée d’un mélange d’épices issue d’une technique utilisée par les marchands et les cavaliers de l’Empire ottoman pour conserver leur viande plus longtemps. En Roumanie, en Arménie et en Hongrie, cette tradition se serait peu à peu transformée : la viande, plutôt que d’être séchée à l’air libre, s’est vue saumurée et fumée, donnant naissance à une variante plus proche du pastrami moderne.
C’est avec l’immigration juive à la fin du XIXᵉ siècle que la préparation traverse l’Atlantique. À New York, les bouchers ashkénazes adaptent la recette aux contraintes locales : la poitrine de bœuf, un morceau bon marché et bien adapté à la conservation longue, devient la coupe privilégiée. Ils perfectionnent le processus en trois étapes clés : saumurage prolongé, enrobage d’épices et fumage, suivi d’une cuisson vapeur (le steaming) pour garantir une texture moelleuse et juteuse.
Le pastrami devient rapidement un pilier des delicatessen new-yorkais, ces épiceries-traiteurs où les communautés juives servent des spécialités d’Europe de l’Est. Katz’s Deli, fondé en 1888, devient l’un des temples de ce mets, son sandwich au pastrami – servi sur du pain de seigle avec moutarde – s’imposant comme un classique de la culture new-yorkaise. Longtemps, le phénomène reste cantonné aux États-Unis. Il faut attendre la montée en puissance de la street food et la fascination européenne pour les spécialités américaines pour voir le pastrami s’implanter sur le Vieux Continent.
Chaud ou froid?
Le pastrami peut se déguster de deux manières bien distinctes : froid, comme une charcuterie tranchée fine, ou chaud, où il révèle toute sa gourmandise. Mais au-delà de la température, c’est souvent le morceau de viande utilisé qui détermine ces différences.
Le pastrami froid, celui que l’on trouve sur les étals des bouchers-charcutiers, est généralement préparé à partir de gîte noix (ou plate cuisse), un morceau plus maigre et plus compact. Il est fumé et cuit comme un jambon de bœuf, puis refroidi. Sa texture est plus ferme, son goût fumé moins intense, et il se rapproche davantage d’une viande de salaison que du pastrami new-yorkais traditionnel.
À l’inverse, le pastrami chaud est presque toujours issu de brisket (la poitrine de bœuf), un morceau plus gras et persillé, qui demande un long processus de saumure, de fumage et surtout de cuisson vapeur pour atteindre cette texture juteuse et filandreuse qui le caractérise. Réchauffé doucement, il devient fondant, avec une intensité aromatique renforcée par le rub (lire plus bas) et le fumage. C’est ce pastrami-là qui a fait la réputation des delicatessen new-yorkais, où les tranches épaisses et moelleuses, servies bien chaudes, explosent en bouche dans un équilibre parfait entre viande, épices et fumé.
Artisanal vs industriel: quand le pastrami perd son âme
Face à l’essor du pastrami en Europe, deux tendances coexistent aujourd’hui : d’un côté, une production artisanale, respectueuse des méthodes traditionnelles ; de l’autre, un pastrami industrialisé, souvent aseptisé et standardisé, loin de l’expérience sensorielle que l’on est en droit d’attendre.
Le pastrami artisanal repose sur un travail de patience et une sélection rigoureuse de la coupe. Traditionnellement, c’est la poitrine de bœuf qui est utilisée, un muscle ferme et persillé qui, après un long traitement, développe une tendreté exceptionnelle. Les meilleures versions sont issues de viandes élevées en pâturage, où le gras, infiltré dans la chair, contribue à la richesse aromatique. La saumure, réalisée sur cinq à sept jours, permet à la viande de s’imprégner lentement des épices et du sel, assurant une diffusion homogène des saveurs.
Une étape importante est celle du fumage, réalisé avec des bois spécifiques (caryer, pommier, chêne…) qui apportent des arômes subtils et complexes. Cette phase, qui dure plusieurs heures à basse température, donne au pastrami sa profondeur caractéristique. Enfin, la cuisson vapeur permet d’attendrir la viande sans la dessécher, garantissant ce moelleux qui fait tout le succès du pastrami authentique.
Il reste que l’identité d’un pastrami, au-delà du choix de la viande et du fumage, dépend aussi du rub. Ce mélange d’épices, appliqué généreusement sur la viande avant la phase de fumage, constitue une signature propre à chaque artisan. Il existe en la matière autant de variantes que de charcutiers et de chefs. Les fondamentaux restent le poivre noir concassé et la coriandre moulue, qui lui donnent son goût caractéristique, mais certains y ajoutent du paprika fumé, du piment, de la moutarde en poudre, voire même du café moulu pour un effet plus intense.
À l’inverse, le pastrami industriel privilégie la rapidité et la rentabilité au détriment du goût. Plutôt que d’utiliser une poitrine entière, les fabricants emploient souvent des morceaux reconstitués, issus de muscles variés et agglomérés grâce à des additifs et des agents de liaison. La saumure est remplacée par une injection directe de saumure sous pression, un procédé qui réduit drastiquement le temps de maturation mais uniformise aussi la saveur.
Le fumage, au lieu d’être naturel, est souvent remplacé par de la fumée liquide, un arôme artificiel appliqué pour imiter le goût du vrai bois brûlé. Résultat : une viande dont la saveur manque de profondeur et où l’arrière-goût fumé paraît artificiel. La texture, quant à elle, est plus sèche, la cuisson étant souvent faite sous vide ou à haute température pour accélérer la production.
Un simple coup d’œil permet de distinguer les deux : un bon pastrami artisanal affiche une croûte sombre et irrégulière, marquée par les épices entières, tandis qu’un pastrami industriel présente souvent une couleur uniforme, sans véritable croûte et avec une texture trop homogène.
Pourquoi un tel engouement aujourd’hui?
Si le pastrami séduit autant, c’est parce qu’il répond parfaitement aux tendances actuelles. Il s’inscrit d’abord dans le renouveau des viandes fumées, une vague initiée par le succès du barbecue texan et du pulled pork. Ensuite, il s’impose comme un marqueur de street food haut de gamme, à l’image du smash burger ou du lobster roll, souvent réinterprété en version artisanale et premium. Son goût réconfortant, entre tradition et modernité, évoque l’authenticité des delis new-yorkais tout en s’adaptant aux envies contemporaines. Enfin, sa polyvalence culinaire le rend incontournable : bien au-delà du sandwich, il trouve sa place dans des tacos, des salades, sur des pizzas et même dans des créations gastronomiques.
Nos adresses favorites
1. Holy Smoke à Bruxelles
Dans la foulée de la crise sanitaire, période pendant laquelle ils ont eu le temps de se pencher de manière obsessionnelle sur ce souvenir d’enfance, Gabriel Ejzenbaum et Agathe Legrand proposent, uniquement sur le temps du déjeuner, trois versions du sandwichs au pastrami: on rye (comprendre comme à NYC, c’est-à-dire servi avec de la moutarde sur un pain de seigle au cumin en provenance de l’enseigne anversoise Kleinblatt); reuben (accompagné de choucroute, de fromage et de moutarde au miel) ;ou encore PLT (en écho au célèbre BLT).
Le plus? Un pastrami fait maison de A à Z à partir de brisket de Black Angus venu des Etats-Unis (Creekstone Farms) ayant la particularité d’être cuit uniquement sur un fumoir texan de deux tonnes (pas de steaming, donc). En plus de cette cuisson low and slow imparable, il faut pointer un long saumurage qui ne radine pas sur les épices.
2. Jacq’s à Bruxelles
Cette toastery réputée pour ses grilled cheese propose un pastrami reuben qui ne dit pas son nom.
Le plus? Le fournisseur de pastrami trois étoiles, à savoir l’enseigne parisienne Will’s Smoked Meat, réputée pour travailler avec Jean-François Piège. On aime également le pain, même s’il n’est pas de seigle, signé par Romina Büx, et les oignons rouges en pickles.
3. Spek & Boonen à Bruxelles
Boucher-star des Marolles, Bjorn Boonen s’est fait un nom dans la capitale en raison de sa rigueur et de son attachement aux vertus de l’élevage en plein air. Dans sa petite boucherie de la rue Blaes, il prépare un pastrami charcutier de grande qualité.
Le plus? Un «jambon de bœuf» cuit 100% au four (donc pas fumé) faisant valoir une croûte super gourmande de poivre noir et de coriandre.
4. Sababa à Watermael-Boitsfort
Venue d’Israël, la cheffe Adi Sivan a débarqué en Belgique avec dans ses valises toute la gourmandise de la street food made in Tel Aviv.
Le plus? L’association mortelle pastrami fait maison et pain challah bio. Sans oublier, la moutarde, les cornichons, les herbes et la mayonnaise aux herbes.
5. Johnny Pastrami à Bruxelles
La recette du pastrami se passe de génération en génération dans la famille de Jonathan Polakowski.
Le plus? Du Black Angus irlandais mariné dans la saumure pendant au moins 10 jours et un rub classé secret Defense.
6. Quite Frankly à Anvers
Dans un décor d’american diner tiré au cordeau, Steven Vijverman décline des spécialités parvenues, souvent au travers du cinéma, jusqu’aux imaginaires européens : pastrami reuben, double cheeseburger, turkey sandwich, sploppy joe ou fried bologna.
Le plus? La portion énorme qui étire les mâchoires et les pickles de petits concombres libanais, absolument irrésistibles, marinés dans l’aneth.
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