Chaque semaine, notre journaliste culinaire ouvre les portes d’un restaurant qui lui fait de l’æil… ou qui fait l’actu. Cette semaine, cap sur le restaurant l’entretien, à Leuze, dont « l’environnement ingrat » est composé par une cuisine inspirée.
Si l’immense baie vitrée laisse s’engouffrer la lumière sans retenue, elle met aussi le nez du mangeur face à un spectacle pas forcément réjouissant : une laide chaussée et ses contours de proto zoning commercial. Il reste que cette situation n’est pas illogique ou délirante pour un restaurant ayant pris ses quartiers à l’étage d’un showroom BMW de Leuze. D’où le nom, L’Entretien, qui, malgré l’ingratitude de son environnement, connaît un succès qui méritait qu’on se déplace. Installé en embuscade dans un coin de la salle, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il va falloir du talent pour nous éviter la déprime.

«Entretien» peut aussi signifier «conversation», «dialogue». On choisit donc de bouder le dehors pour se concentrer sur la salle dominée par le noir et le bois clair, ainsi que sur la belle cuisine ouverte où officient Robin Haquenne et son bras droit, dans une chorégraphie aussi muette que rigoureuse.
Malgré une situation peu engageante, l’adresse tient la route.
Très vite, se dessinent les contours d’une expérience ultraritualisée – carte des boissons apéritives baptisée « drink experience », amuse-bouche, sommelier un rien coincé… – apprise sur le bout des doigts. N’empêche, la boisson sans alcool choisie – un Moli Hua Cha – dépote. Il y a une vraie maîtrise et de l’originalité dans ce mélange thé vert chinois, jasmin et jus de citron. Idem pour les bouchées apéritives dont on retient la caressante brioche nappée d’une duxelles de portobello couverte de lardo di colonnata fondant.
Pour éviter la récitation, la partition monotone, on invente soudain le prétexte fallacieux, dont on n’est pas fier rétrospectivement, d’un déjeuner express – il nous faut partir endéans l’heure. Ce coup d’accélérateur laisse de marbre, c’est dire l’adresse rodée. La très belle composition de Saint-Jacques en carpaccio, « imaginée par le chef en souvenir d’un week-end à Dieppe », est tranchante. Le bouillon tiède est iodé comme un séjour face à la mer, sans la moindre surdose de sel. Une préparation verticale, pénétrante.
La lotte qui suit n’est pas moins abyssale. Elle s’accompagne de très expressifs panais fumés au feu de bois, de trompettes de la mort et d’une sauce dashi et shiitaké assez renversante. En moins de 60 minutes, on a déjeuné délicieusement. Il ne reste plus qu’à saluer et s’incliner.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.