« Tu simules? », la question indigeste quand on ne mange plus de viande
Si la croissance progressive de l’offre pourrait laisser penser que ceux qui ne mangent plus de produits d’origine animale se nourrissent d’amour, d’eau fraîche et de substituts de viande, ces derniers sont en réalité une denrée qui divise les végétariens.
Lesquels se diviseraient en deux camps, pour faire simple: ceux qui simulent, et les autres. Soit ceux qui remplacent avec appétit viande, charcuterie et autres fromages par leurs substituts végétaux et ceux qui font la fine bouche face à ces ersatz, pour des questions de conviction ou de goût.
Un schisme qui peut échapper de prime abord aux omnivores, lesquels s’y retrouvent le plus souvent confronté à l’heure de passer à table. L’auteure de cet article, par exemple, s’est vue refuser les offrandes sans viande disséminées parmi les options végé-unfriendly d’un récent apéro entre amis au prétexte que l’invité pour lesquels elle les avait achetés ne mangeait « aucun substitut de viande ». « Mais… Ils sont végétariens… ». Oui, mais ce n’est pas si simple.
L’argument du changement
Ainsi que le résume la société néo-zélandaise Zenzo & Tonzu, spécialiste de la préparation de plats sains et vegan, « oubliez la viande, oubliez les substituts de viande, mangez de vraies plantes ». L’argument sous-jacent, qui motive une partie des végétariens et des vegans à refuser de substituer bacon et aiguillettes de poulet pour leur contrepartie à base de légumes : cela perpétue une manière de s’alimenter avec laquelle ils veulent rompre. En l’occurence, en ne mangeant plus de viande ni, pour les vegans, de produits d’origine animale, et en faisant un effort conscient pour ne pas perpétuer le triptyque occidental « viande + légumes + féculent » dans leur assiette une fois ce changement effectué. « Au début, je me suis jetée sur tous les substituts de viande que je trouvais, et puis j’ai réalisé après quelques mois que je n’avais pas vraiment l’impression d’avoir changé de régime » confie Justine, architecte liégeoise convertie au végétarisme il y a quelques années après avoir eu de plus en plus de mal à digérer le fait de manger des animaux, elle qui les aime tant quand ils sont vivants.
Fondamentalement, je mangeais tout pareil qu’avant, même si, officiellement, c’était végé. Je commençais la journée par une tartine de filet américain à base de carottes, à midi, je me faisais une salade avec un substitut d’aiguillettes de poulet, et le soir, j’avais le choix entre saucisses, schnitzel, viande pour pitas, burger… Au final, j’étais coincée dans un entre-deux bizarre où je ne mangeais plus de « vraie » viande, mais je n’avais pas coupé le cordon pour de bon ».
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Dans un récent article pour le magazine Plant Based News, centré, comme son nom l’indique, sur l’actualité végéta*ienne, Giles Mitchell s’interrogeait sur la pertinence de manger des substituts allant jusqu’à imiter le sang qui coule à chaque toucher de fourchette quand on s’oppose à la souffrance animale. Et d’évoquer, en guise de réponse, le skeuomorphisme, soit la capacité, en design digital, à imiter l’apparence d’un objet réel lors de la conception d’un objet virtuel.
Nombre de personnes qui ne mangent plus de viande n’ont aucun problème à avouer qu’ils adorent son goût, même s’ils ne veulent plus en manger pour des raisons idéologiques ou environnementales. Cela ne m’empêche pas de me dire qu’un végétarien qui achète une « fausse saucisse » n’a pas de sens, voire même, cela m’a longtemps profondément irrité. Alors que bon, l’avantage du « faux poulet », c’est qu’aucun poulet n’a souffert pour le préparer »
concède Giles Mitchell.
Reste que certains sont prêts à passer devant le rayon substituts de leur supermarché sans même ralentir le roulement du caddie, mûs par la continuité du cheminement idéologique qui les a poussés à arrêter de manger de la viande. Et il ne s’agit pas-là du seul argument qui joue en la défaveur de ces produits pourtant toujours plus populaires, en ce compris chez les omnivores.
Une question de goût
Lesquels sont de plus en plus nombreux à intégrer des substituts végétariens dans leur diète, pour des raisons qui vont d’inquiétudes quant à l’effet de leur consommation de viande sur la planète à des considérations budgétaires en passant par une simple question de goût.
Le filet américain à base de carottes mentionné par Justine? Charles, doctorant à l’ULB, ne jure désormais plus que par cette tartinade orange vif sur son sandwich du midi, tandis que les aiguillettes de « poulet pané » végétarien sont en rotation régulière dans ses menus du soir.
Non seulement je trouve qu’elles ont très bon goût, mais en plus, je n’ai jamais de mauvaise surprise style croquer une bouchée et voir au bout de ma fourchette un petit amas sanguinolent dans le blanc. Je réalise que ça peut sembler paradoxal de manger de la viande et d’être dégoûté par ça, mais c’est comme ça. Et puis les « fish sticks » végétariens sont super bons aussi, surtout qu’en plus, ils n’empestent pas tout l’appart’ quand je les fais cuire » s’enthousiasme celui qui, sans se revendiquer végétarien, fait désormais de plus en plus d’incursions au rayon substituts de viande lors de ses courses hebdomadaires.
Mais attention, si les carnivores qui troquent certaines protéines animales pour des simili-carnés le font la plupart de temps en se convaincant de faire du bien à la planète et à leur santé, il s’agit toutefois de ne pas en abuser.
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Le sain du sain
« Une demi-heure après avoir mangé, j’ai commencé à avoir d’horribles crampes d’estomac et la langue aussi pâteuse que si je m’étais gorgée de junk food » relate pour le Guardian Bee Wilson au sujet de son test d’un burger où la viande hachée avait été remplacée par un « steak » Beyond Burger. Et de rapidement réaliser la source de son inconfort.
Quand j’ai scruté les ingrédients, je me suis dit que je n’aurais jamais choisi d’ingurgiter de l’huile de noix de coco raffinée, de la maltodextrine, de l’isolat de protéines de pois ou encore de la gomme arabique s’ils ne m’avaient pas été présentés comme une alternative à la viande » regrette la journaliste britannique.
Un témoignage qui rejoint les recommandations de l’indice Siga, qui évalue le degré de transformation des aliments et préconise de ne consommer que 15% de produits transformés par jour, soit une à deux portions maximum.
Or les substituts de viande sont, par définition, pour la plupart transformés à outrance: on n’obtient pas un rendu steak juteux à base de végétaux sans quelques tours de passe-passe.
Test Achats recommande pour sa part de lire attentivement les étiquettes et d’opter pour des substituts dont la teneur en sel ne dépasse pas 1.3g aux 100 grammes, rappelant que les substituts de viande prêts à l’emploi ne sont pas toujours une alternative nutritive à la viande.
Pour les personnes qui ne consomment plus de protéines d’origine animale, afin d’éviter les carences, « un substitut est optimal s’il contient plus de 12g de protéines et au moins 0,8 mg de fer et 0,24 microgramme de vitamines B12 pour 100 g », ce qui n’est pas toujours garanti et nécessite de prendre le temps de décrypter l’étiquette avant de mettre un produit dans le caddie. « La qualité des produits est aussi variée que l’offre», affirme Annina Pauli, diététicienne BSc HES du centre de nutrition de Zurich, qui regrette auprès de Sanitas que «souvent, ces produits contiennent beaucoup de matières grasses, divers sucres ajoutés comme la maltodextrine et le glucose, des arômes, des colorants et des épaississants ».
Au fond, il en va de même pour les substituts que pour la viande elle-même: une consommation excessive est mauvaise pour la santé, surtout si les produits choisis ne sont pas de qualité.
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