Visite de Valence avec le designer Jaime Hayon
Jaime Hayon est un homme de parole. D’enthousiasme aussi. Cette visite très privée de sa ville d’adoption, qu’il nous avait promise dans la galerie de Rossana Orlando, à Milan, il y a quelques mois déjà, il n’était pas question pour lui de la bâcler.
» La journée est à nous et elle promet d’être belle, s’exclame-t-il devant l’Estación de Norte, imposante bâtisse de style Art nouveau – appelé ici Modernista – construite par l’architecte Demetrio Ribes au début du siècle dernier. Ce qui fait le charme du centre, c’est le mélange des genres. Certains endroits, comme la gare du Nord justement, sont magnifiquement restaurés. Mais il suffit de s’engouffrer dans une petite ruelle et c’est le chaos ! Certains commerces – des merceries, des quincailleries, des magasins de châles, de postiches ou d’éventails – proposent les mêmes articles dans le même décor qu’il y a cent ans. On est un peu hors du temps. »
En cette fin d’été propice à la belle lumière, Valence a décidé de sortir le grand jeu. Sous les palmiers de la Plaza del Ayuntamiento, la troisième ville d’Espagne, avec ses bâtiments couleurs pastel, se donne par endroit des airs de Buenos Aires. » Avant de m’installer ici, j’ai vécu à Barcelone, à Trévise, à Londres, aussi, rappelle celui qui à 22 ans à peine dirigeait déjà la section Design de la Fabrica, le centre de recherches en communication de Benetton. Quand Tys, notre petit garçon, est né en 2011, pour ma femme Nienke et moi, c’est devenu une évidence : nous avions envie d’une certaine douceur de vivre. Valence, c’est le cocktail parfait de tout ce que l’Espagne peut offrir de meilleur : c’est le Sud, donc il y a du soleil presque toute l’année, l’ambiance est relax, on se fait facilement des amis. Et on y mange divinement bien. Depuis que nous sommes arrivés, Valence nous a très bien traités. »
Dans son nouveau studio qui donne sur une petite rue piétonne, Jaime Hayon travaille en solo – un assistant l’aide toutefois pour informatiser ses croquis -, même s’il reste en contact quotidien avec ses équipes de Trévise et de Barcelone. » Ce que j’aime par-dessus tout, c’est dessiner, assure-t-il. Je ne fais que cela, tout le temps. Mes carnets sont ma première source d’inspiration. Je n’attends pas d’avoir un briefing pour imaginer un sofa, un vase ou un meuble de salle de bains. À l’inverse, quand Fritz Hansen ou Ceccotti me demandent un fauteuil ou un canapé, je cherche dans mes archives une idée qui pourrait convenir. » Une méthode freestyle qui jusqu’ici lui a plutôt bien réussi.
Lui qui osa créer pour Bd Barcelona un buffet bleu laqué de six mètres de long aux pieds conjointement Art déco, Louis XV et moderniste ne pouvait que se sentir à l’aise dans cette ancienne cité romaine conquise par les Maures avant de (re)devenir catholique et où cohabitent aujourd’hui sanctuaire baroque et cathédrale gothique, administrations néo-classiques et immeubles sixties façon Le Corbusier, sans oublier le nouveau temple archi de la Cité des Arts et des Sciences signé par le Catalan Santiago Calatrava. Plongée, entre branchitude et tradition revisitée, dans le petit monde de Jaime.
I.W.
» Valence est au bord de la mer et nous nous y rendons dès que nous le pouvons. Playa del Saler est un site protégé au milieu des dunes, proche de la réserve naturelle de l’Albufera où se trouvent les rizières. On se croirait presque dans les Hamptons ! De-là, on peut faire une grande balade à vélo jusqu’à la Cité des Arts et des Sciences de Calatrava. «
» Un magnifique hôtel design dans le bon sens du terme. Francesc Rifé, l’architecte d’intérieur en charge de ce projet, a vraiment apporté énormément d’attention aux détails. Il a surtout réussi à intégrer harmonieusement les vestiges historiques qui se trouvaient dans le bâtiment : une mosaïque datant de l’époque romaine, un morceau des remparts de la ville lorsqu’elle était sous la domination des Maures, quelques arches gothiques sans oublier la façade XIXe de ce qui fut autrefois le palais du marquis de Caro. Un lieu chaleureux – les meubles sont beaux et confortables, il y a du bois naturel un peu partout – où l’on a envie de se poser. « 14, c/Almirante. www.carohotel.com
» Le premier atout de ce resto qui fait aussi dans l’épicerie fine, c’est sa localisation. Il faut s’imaginer ici, le soir, à l’une des tables qui donnent sur la petite place, en face. On y mange aussi super bien et les meubles design, à l’intérieur, sont très bien choisis. Même le graphisme des menus est soigné. Dans la salle du fond, ils ont même installé un écran pour que l’on puisse organiser des lunchs de travail. Les convives qui veulent une ambiance plus tamisée peuvent régler eux-mêmes l’intensité de la lumière au-dessus de leur table rien qu’en touchant l’ampoule du bout des doigts. « 4, Creu Nova. www.deli-rant.com
» L’une des rares épiceries bio, organisée en coopérative, de Valence. C’est un concept relativement nouveau ici car bio ou pas, les fruits et légumes proviennent la plupart du temps des champs de la région. J’y achète du vin notamment. L’aménagement est particulièrement réussi. J’aime surtout les choix graphiques qui sont posés. Les dessins sur les murs, le fait que sur les bouteilles de vin on se contente d’écrire un gros chiffre en noir sur fond blanc. »16, c/ Sant Vicent. www.puntdesabor.com
» L’ancien bureau de poste a été complètement restauré. Il faut y entrer rien que pour voir la coupole en verre Art déco. On est plongé dans un décor d’une autre époque et en même temps, on prend son ticket comme dans n’importe quelle administration moderne. Ma mère m’a toujours dit que sous Franco, se rendre à la poste était une expérience épouvantable : l’atmosphère était pesante, comme dans une prison. Je ne peux pas m’imaginer ce que cela devait être d’avoir 30 ans sous la dictature franquiste. » 24, Plaza del Ayuntamiento
» La sélection d’artistes qui exposent est toujours intéressante. En ce moment, l’espace, qui a lui seul vaut le détour car les salles s’étendent sur plusieurs étages est mis à la disposition de vingt jeunes plasticiens venus du monde entier et sélectionnés parmi 921 candidats. » 6, c/Bonaire. www.luisadelantadovalencia.com
» Je travaille avec Lladró depuis 2006 en tant que directeur artistique. Ce fabricant de porcelaine spécialisé dans les figurines est installé à Valence et il est possible de visiter les ateliers qui se trouvent un peu à l’extérieur du centre. «
» Il y a beaucoup de magasins de design à Valence mais celui-ci est incontestablement le plus cool. Le patron Julio travaille avec des marques qui sortent du lot, qui ont un vrai parti pris comme Edra, Fornasetti, Ceccotti, Baccarat, Bitossi… Il n’a pas peur de présenter des objets excentriques. C’est aussi un studio d’architecture d’intérieur spécialisé entre autres dans l’aménagement de restaurants. » 24, c/Cirilo Amoros. www.guixeres.com
» J’achète mon fromage, les légumes et mon poisson ici. J’adore le manchego (NDLR : un fromage au lait de brebis à pâte dure), surtout avec un bon verre de vin rouge. Il n’y pas mieux comme endroit pour faire l’expérience de la vraie vie à l’espagnole parce que, contrairement à celui de Barcelone, ce marché n’est pas un lieu uniquement fréquenté par les touristes. Et ça se voit tout de suite. Le bâtiment en lui-même, succession de coupoles, de verrières et de céramiques, vaut le détour. On y trouve aussi des turrones, une variété de nougat, et de l’Aqua de Valencia, un apéritif local très léger à base de vin pétillant et de jus d’orange. À boire très frais ! « Plaza del Mercado. www.mercadocentralvalencia.es
» Tous les plus grands chefs viennent s’approvisionner au Mercado. Ricard Camarena dont le resto principal Arrop a même une étoile au Michelin vient d’ouvrir un bar à tapas en plein coeur du marché. On s’y bouscule. C’est une cuisine ouverte. La déco est particulièrement bien pensée. «
» Mon restaurant préféré, tenu par mon amie Claudia. C’est toujours plein ! Mieux vaut réserver si l’on veut être certain d’avoir une table. Chaque fois que je viens, je découvre de nouvelles saveurs. On a tort de résumer la cuisine espagnole à la gastronomie moléculaire de Ferran Adria. La nouvelle génération de chefs aime travailler les produits du terroir, simplement. J’ai découvert cet endroit quand il venait tout juste d’ouvrir. C’est d’abord le design qui m’a attiré. Je rêverais d’ouvrir mon propre restaurant. M’impliquer aussi derrière les fourneaux et pas seulement dans l’aménagement de l’espace, ce que j’ai déjà eu l’occasion de faire plusieurs fois. À la maison, je me relaxe en cuisinant. Je joue avec les ingrédients, les épices, les herbes. C’est magique ! Parce que ça fait voyager. » 9, c/ Avellanas. www.mardevellanes.com
» Ces deux artistes espagnols ne sont peut-être pas aussi connus que Banksy mais leurs oeuvres se retrouvent un peu partout dans la vieille ville. En particulier sur les murs des bâtiments qui vont faire l’objet d’une rénovation. Leurs tags sont toujours très poétiques. On peut en voir quelques-uns juste à côté du Deli_rant. Jusqu’à quand ? Mystère. »
» Dans la région de Valence, on cultive une variété de tomates énormes et très en chair qu’on appelle tout simplement les tomates de Valence. Je les plonge quelques instants dans l’eau bouillante pour les éplucher. Je creuse un trou au centre pour éliminer la partie plus dure et je farcis avec un bloc de thon émietté. J’ajoute par-dessus un filet d’huile d’olive et du sel de Guérande. Il suffit ensuite de découper des tranches. Et de déguster. «
» Mon ami Danubio est l’un des propriétaires de ce wine bar où Nienke et moi adorons nous poser pour boire un verre de vin et grignoter un bout. Avec Danubio, je me suis lancé dans la production d’un vin rouge fruité très agréable à boire : c’est un assemblage de Bobal et de Tempranillo, deux cépages de la région. Une sacrée aventure. Son nom ? Palegrarte, que l’on peut traduire par » ce qui vous rend heureux « . C’est moi qui ai dessiné l’étiquette. Les premières bouteilles sont prêtes à boire. J’espère que d’ici peu on le trouvera aussi dans les bons restaurants de la ville. » 14, c/ Conde de Altea. buenoparacomer.es
» Je viens très souvent ici car c’est la seule salle de Valence qui programme des classiques en version originale. C’est un petit cinéma à l’ancienne et le foyer est tout simplement incroyable. On dirait un vieux diner américain, complètement improbable en Espagne. Il y a même une scène pour accueillir des musiciens. C’est inspirant parce que c’est étrange, comme hors du temps. Tout est dans les détails : la porte de l’ascenseur ressemble à celle de l’Empire State Building. « 17, Plaza del Ayuntamiento
» Ici, pas une céramique n’a bougé depuis 1836 ! C’est la plus ancienne horchateria de la ville. Les vrais Valenciens s’y retrouvent le dimanche après la messe. On y sert une boisson typique de la région. Disponible aussi sous forme de granita, l’horchata s’obtient à partir d’amandes de terre, les chufas. C’est très rafraichissant (NDLR : contrairement à sa couleur café crème, ce liquide sucré a davantage un goût de jus de carotte que de latte). On peut tremper dedans un petit gâteau moelleux et sucré que l’on appelle farton. » 11, Plaza de Santa Catalina.
» Chez ce bouquiniste, on trouve non seulement des livres rares mais aussi des gravures anciennes. Je peux passer des heures ici à regarder les dessins. « 14, c/ San Fernando
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