Visite du labo Proef, où l’on prépare la nourriture du futur
Sources de protéines végétales révolutionnaires, fermentation de précision et fromage à base de chou-fleur: dans le réputé laboratoire culinaire Proef, en Flandre-Orientale, le biologiste Maxime Willems met au point des produits innovants en collaboration avec des ingénieurs agroalimentaires. Ici, la nourriture de l’avenir est cultivée dans une boîte de Petri.
«Nous soutenons des start-up sur le plan scientifique, mais nous avons aussi énormément de connaissances dans le domaine des saveurs et des tendances. Cette combinaison est unique», explique Maxime Willems alors que nous découvrons le laboratoire où plusieurs machines supersoniques resplendissent. Chez Proef, un chef étoilé peut par exemple mettre sa technique au point ou un géant de l’alimentation demander conseil. «Mais c’est aussi une couveuse pour ‘starters’ ambitieux, car j’aime faire décoller les idées ingénieuses. J’aide à tester et concevoir avec des food entrepreneurs, tant débutants qu’expérimentés. Nous sommes une entreprise de petite taille et flexible et nous visons à présenter un produit commercialisable en six mois à un an, ce qui, par rapport à de grands labos, est hyper rapide.»
Un collègue en tablier long vient demander à notre hôte de goûter le contenu du petit récipient qu’il a en main. Celui-ci y trempe les lèvres et approuve d’un hochement de la tête. «Il s’agit d’un mélange destiné à un cocktail premium en conserve, précise Maxime. L’expert Paul Morel a développé un breuvage à base du gin belge original Amuerte. Nous transformons sa recette en une version qui peut être produite et mise en conserve à grande échelle. Sa création contient de la menthe mexicaine, un ingrédient exclusif impossible à dénicher en grandes quantités. En menant des recherches sur son profil gustatif, nous avons réussi à reproduire son goût grâce à des arômes d’estragon, de poivron vert et de menthe poivrée, des saveurs qui, elles, se trouvent facilement.»
Le mycélium pour remplacer la fécule
80% des projets développés ici sont d’origine végétale. «C’est assurément l’avenir de notre alimentation. Le défi dans le cas des produits végétaux est de créer un goût puissant et une texture agréable. Pour ce faire, la fermentation est capitale. Ces dernières années, de nombreuses recherches ont été menées sur ce processus. Ce n’est plus un procédé instable dont le résultat est aléatoire. Nous disposons d’énormément de connaissances scientifiques qui nous permettent de travailler avec grande précision. En laissant une certaine culture faire son œuvre, nous pouvons créer une protéine ou un arôme.» Actuellement, Proef met au point un fromage fermenté qui n’est pas ultratransformé, mais qui se caractérise par une forte saveur umami grâce à la fermentation de précision. Ceci, après avoir, par le passé, déjà développé un fromage fondant à base de chou-fleur.
Le mycélium, le réseau filamenteux souterrain de champignons, est lui aussi intéressant pour la création de produits végétaux. «Celui-ci est invisible: il se ramifie sous le sol, et c’est un ingrédient extraordinaire. Lors de l’inoculation de petits morceaux de légumes, par exemple, le mycélium les lie à la manière d’une fécule.» Il peut ainsi remplacer de nombreux additifs. Un autre atout est son goût: comme c’est une composante du champignon, il offre une petite couche gustative supplémentaire au produit. Dans le cadre d’un grand projet européen visant à développer de nouvelles protéines végétales, Proef fait actuellement office de cuisine test. «Des universités et d’autres organismes de recherche planchent sur la distillation de protéines d’algues, de haricots et de mycélium. Nous analysons leurs protéines pour voir si on peut en faire de bonnes choses. Leur goût est-il plaisant? Ont-ils un pouvoir liant suffisant et une texture agréable? Il est vraiment exaltant de pouvoir participer à un projet aussi ambitieux et international.»
Des burgers à partir des déchets d’une brasserie
La start-up belge Davai, qui produit des dumplings végétariens, fait figure de success-story pour Proef. «C’est ici que les étudiants-entrepreneurs ont fabriqué leurs boulettes pour leurs tout premiers clients. L’entreprise de transformation de viande Ter Beke en a acheté une partie. Même l’industrie de la viande comprend qu’elle a intérêt à investir dans des produits végétaux pour assurer son avenir.» Pour la société Revyve, une spin-off du géant Ab InBev, le laboratoire s’est lancé dans les flux de déchets du processus de brassage. «La brasserie fabriquait une poudre protéinée à partir des résidus, sans savoir qu’en faire. Ici, nous en avons fait des burgers végétaux, des petits pains et des sauces. L’entreprise a pu utiliser ces prototypes. C’est le genre d’exemples dans lesquels l’expérience gustative et la high-tech se rencontrent, pour notre plus grand bonheur.»
Des biscuits aux épinards pour les enfants
Un groupe de produits en particulier connaît un développement croissant: les repas et les snacks sains pour les plus petits. «Les parents sont toujours plus conscients de l’importance de servir de la nourriture de qualité à leurs enfants, mais ils cherchent aussi le confort, et nous remarquons que de plus en plus de start-up se concentrent sur ces objectifs.» Ainsi, les purées pour bébés Nami sont préparées ici et sont ensuite emballées sous haute pression, de manière à conserver toutes les vitamines et tous les nutriments. Les petits pots se conservent jusqu’à quatorze jours au frigo. Autre projet? Les snacks de Moqqi, ces biscuits qui se composent à 40% de légumes. Il en existe à base de betterave rouge et de cacao ou d’épinard et de menthe. «Etonnamment, ce dernier est le plus populaire auprès du jeune panel de test. Nous sommes fiers de pouvoir dire que ce sont les seuls biscuits sur le marché qui ont un Nutri-Score A.»
Un gin sans alcool
La production de boissons non alcoolisées progresse pour sa part à la vitesse grand V. «Chaque semaine, on me demande de mettre au point un gin sans alcool, mais c’est seulement lorsque le producteur belge Copperhead m’a contacté que j’y ai répondu favorablement. Ils ne voulaient pas d’une eau aromatisée, mais d’un équivalent de qualité de leur gin qui comporte des notes de cardamome et d’agrumes.» Proef a mis au point un processus de fabrication complexe: «Tout d’abord, nous faisons macérer les épices de leur boisson à base d’alcool. Ensuite, cette eau épicée fermente avec une culture de kéfir et enfin, nous ajoutons des extraits CO2. Ce sont des extraits supercritiques à base de CO2 liquide: leur fabrication est très onéreuse, mais ils sont vraiment puissants. Résultat: une boisson non alcoolisée qui peut rivaliser avec un vrai gin en matière de piquant et de corps.»
Pour ses propres expérimentations, Maxime s’inspire des collaborations avec des chefs. «Nous les aidons à développer des fermentations ou des boissons non alcoolisées avec des appareils ou des techniques qu’ils n’utilisent pas dans leur cuisine.» Ainsi, il travaille pour le chocolatier Julius Persoone qui, par le biais de la fermentation, voulait créer des saveurs sauvages qu’on n’associe pas immédiatement au chocolat. «Nous avons élaboré une ganache à base de tomate fermentée. Cela confère des notes de fruit exotique qui ne demandent pas de chercher des ingrédients à l’autre bout du monde.» Chez Proef, on trouve aussi des fermentations destinées au chef 2-étoiles Michaël Vrijmoed. «Pour créer des couches gustatives intéressantes pour son menu à base de légumes, nous avons recours à une technique japonaise ancestrale qui consiste à saumurer les légumes dans du son de riz. Nous apportons une touche belge en humidifiant le tout avec de la bière. Il en résulte des légumes légèrement acides avec une saveur umami complexe.»
Une saucisse sèche végétale
Cette année, Proef lancera son premier produit maison. «Ce sera une saucisse sèche végétale, explique Maxime. Je voulais créer quelque chose de décalé. Elle fera sensation sur une planche apéritive face à un chorizo piquant ou à un fromage affiné. Elle se compose de haricots rouges auxquels la fermentation confère un goût puissant. La prochaine création que nous sortirons, une sauce soja sans soja, est déjà dans les starting-blocks. On attache de plus en plus d’importance à l’origine des produits et aux allergènes. En remplaçant le soja par un ingrédient local, nous faisons d’une pierre deux coups. Le goût relevé de la sauce provient de la fermentation de champignons. Nous travaillerons avec Eclo qui en cultive dans la cave de l’ancien abattoir d’Anderlecht.»
Deux créations qu’il nous tarde de découvrir.
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